Fini le suspense ! Un suspens qui n’en était pas un en réalité. Depuis de nombreux mois, des pressions étaient exercées sur le docteur Denis Mukwege par une frange importante de la Société civile, principalement du Sud-Kivu, et leurs soutiens à Kinshasa. Le célèbre médecin de l’hôpital de Panzi, prix Nobel de la paix 2018 , devait se présenter à la présidentielle du 20 décembre 2023. Finalement, c’est chose faite ce mardi 3 octobre 2023, «l’homme qui répare les femmes» a déposé sa candidature auprès de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), vingt-quatre heures après avoir rendu officielle sa candidature dans la grande salle de la paroisse Notre-Dame de Fatima à Gombe (Kinshasa). Son programme serait organisé autour de 12 piliers, dont les deux principaux sont d’une part, la paix, la sécurité et la défense, en luttant contre la balkanisation du pays, et d’autre part, la justice et l’État de droit.
Pour le dépôt du dossier de candidature du docteur Denis Mukwege ce mardi 3 octobre 2023, d’importantes dispositions sécuritaires avaient été prises dès le matin devant le siège de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), ceinturé par un important détachement de police.
S’adressant brièvement à ses sympathisants sur les marches de la CENI, le candidat Mukwege à déclaré qu’il applaudira le vainqueur si l’élection se déroule en toute transparence. «Mais si votre vote vous est volé, vous serez alors en droit de mener une révolution démocratique», leur a-t-il signifié.
UN REQUISITOIRE SANS APPEL
Rendant officielle sa candidature la veille, le prix Nobel de la paix a dressé un violent réquisitoire contre la gouvernance du régime actuel. «Je ne viens pas pour la continuité. L’heure n’est pas au compromis avec les antivaleurs», a-t-il lancé aux centaines de sympathisants venus l’écouter. «Il faut avoir le courage de renoncer à son confort personnel par patriotisme, pour l’intérêt national. Celui qui n’a pas le courage de s’indigner et de se révolter n’a pas le droit de se plaindre, a dit Martin Luther King» a-t-il prévenu.
Dénonçant un torrent de promesses qui lui sont faites par des gouvernants inconséquents, irresponsables et incompétents, l’insécurité, la faim, la maladie, le chômage, l’humiliation sont le lot quotidien du peuple congolais devenu la honte du continent et la risée du monde, bien que le pays est doté d’un incommensurable potentiel de développement. «Terrassé de l’intérieur par la mauvaise gouvernance et de l’extérieur par des rapaces qui depuis trop longtemps font main basse sur ses richesses, il est plus que jamais menacé d’implosion et de balkanisation».
Pendant ce temps, «ceux qui sont attirés par le pouvoir sont dans l’Union sacrée et soi-disant «du bon côté de leur histoire». Nous, nous sommes avec le peuple, nous sommes du bon côté des intérêts de notre peuple».
«JE SUIS PRET»
Lors de son adresse la veille du dépôt de sa candidature, le docteur Mukwege a remercié «les vaillantes femmes du Congo» qui se sont cotisées, a-t-il affirmé, pour réunir les 160 millions de francs destinés à payer sa caution avant de fustiger «l’alternance ignominieuse, imposée par un arrangement pernicieux qui n’a fait que changer de visages des dirigeants sans extirper le cancer de pratiques corrompues et prédatrices et sans apporter de nouvelles valeurs fondatrices destinées à inciter chacune des filles et des fils de notre pays à apporter dans la dignité et dans l’ardeur sa pierre au redressement du pays ». Mais pour y arriver, une seule recette : le travail, l’effort, la discipline et le sérieux.
Denis Mukwege a néanmoins tenu à tirer la sonnette d’alarme : «La fraude est d’ores et déjà programmée. Nous le savons tous. Ne soyez pas naïfs. Votre devoir n’est pas seulement d’aller voter. Il est aussi de vous assurer que votre vote ne sera pas volé. Le vote est un des moments-clés d’une démocratie; nul n’a le droit de l’usurper au risque de mettre en marche une révolution démocratique», concluant que pour sa part, il est prêt à réaliser ce projet avec le peuple.
LA NOUVELLE DONNE
En République Démocratique du Congo, tout comme à travers le monde, le docteur Denis Mukwege jouit d’une grande admiration au regard du grand travail qu’il continue à abattre, depuis son hôpital de Panzi, dans la province du Sud-Kivu, pour assister les femmes et jeunes filles victimes du viol, devenu, selon lui, une «arme de guerre» dans l’Est de la RDC.
Nobel de la paix en 2018, Denis Mukwege dispose donc d’une aura incontestable. Vainqueur auparavant du prix Sakharov de l’Union européenne, Denis Mukwege a un carnet d’adresses tout aussi impressionnant. Il connaît les méandres d’une communauté internationale, souvent passive, face au drame perpétuel qui s’abat depuis une vingtaine d’années sur la RDC. Il connaît la communauté internationale et vice-versa. Entre les deux, il y a donc un lien qui s’est tissé, du reste renforcé par son Nobel de la paix en 2018.
Sur papier, Dr Denis Mukwege est un challenger de poigne pour le Président Félix Tshisekedi, candidat de l’Union sacrée de la nation à la présidentielle du 20 décembre 2023.
Politiquement vierge, Denis Mukwege rentre cependant dans la course avec un gros handicap à surmonter. Il est issu de la Société civile, dans son format le plus original. La politique – encore moins la politique dans sa forme la plus vile et cruelle – Denis Mukwege n’en sait pas trop, contrairement au Président Félix Tshisekedi qui a été formé dans ce moule, depuis son enfance, côtoyant son défunt père, le lider maximo Etienne Tshisekedi wa Mulumba.
C’est face à Félix Tshisekedi, Dr Denis Mukwege a encore des choses à apprendre. Il arrive dans un secteur où tous les coups sont permis, même les plus abjects pour affaiblir ou disqualifier un adversaire politique.
UNE CANDIDATURE PORTEE PAR LA SOCIETE CIVILE
Depuis des années, en RDC comme lors de ses déplacements à l’étranger, Denis Mukwege déplore l’impunité, réclame un tribunal international et plaide pour une «justice transitionnelle» pour panser les plaies des populations de l’Est de la RDC, meurtries depuis près de 30 ans par les violences de groupes armés et rébellions. «Nous ne pouvons pas attendre pour agir […], demain ce sera tard, c’est aujourd’hui, c’est pourquoi je suis prêt et que j’y vais maintenant», a-t-il martelé lundi, en se décrivant comme «un citoyen révolté».
L’annonce du docteur Mukwege intervient après des mois de conjectures sur ses intentions. Depuis l’année dernière, ses soutiens, dont beaucoup d’intellectuels congolais, le poussaient à se jeter dans dans l’arène politique, un terrain sur lequel il ne s’était pas encore aventuré, même si sa voix est depuis longtemps très critique à l’égard du pouvoir en place.
Le 16 septembre 2023, depuis sa ville de Bukavu, dans l’Est de la RDC, il avait annoncé avoir reçu de ses partisans les 100.000 dollars US de caution requis par la commission électorale pour tout dépôt de candidature à la présidentielle.
«Quand le peuple décide de prendre le pouvoir, aucun système ne peut s’y opposer», leur avait-il alors dit, sans dévoiler ses intentions.
Sur le terrain, deux structures appuient sa candidature : «Appel patriotique», issu de la Société civile, et l’ACRN (Alliance des Congolais pour la refondation de la nation), une plate-forme politique.
Depuis le dépôt de sa candidature, le mardi 3 octobre 2023, Denis Mukwege a donc quitté la peau de médecin, prenant toute la responsabilité d’un sérieux challenger à la présidentielle de décembre prochain.
La candidature de Denis Mukwege vient s’ajouter à celles des anciens premiers ministres Augustin Matata Ponyo et Adolphe Muzito, de l’opposant Franck Diongo et Rex Kazadi. Sont attendus avant l’échéance du 8 octobre : Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle de 2018, le leader du parti politique Ensemble pour la république Moïse Katumbi et… le président sortant Félix Tshisekedi.
Econews