Jamais un ministre des Finances n’a été autant critiqué pour sa gestion que Nicolas Kazadi. Accusé de laxisme sans précédent, l’ancien argentier national est pointé du doigt pour avoir dilapidé les fonds publics, plongeant le Trésor public dans une crise sans précédent. Avec plus d’un milliard de dollars US de dépenses d’urgence non justifiées en 2023, la Banque Centrale du Congo (BCC) peine aujourd’hui à clôturer ses comptes. Une situation alarmante que «Africa Intelligence» décrypte en profondeur.
Faute de pouvoir régulariser les dépenses exécutées en urgence à la demande de l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi, la Banque Centrale du Congo (BCC) est toujours incapable de clôturer le compte général du Trésor public pour l’exercice 2023.
Quelque 3.262 milliards de francs congolais, soit environ 1,14 milliard de dollars US, est le montant des dépenses exécutées en urgence en 2023 qui n’ont toujours pas été régularisées – sur un total de 1,5 milliard de dollars. Cette somme apparaît dans une correspondance adressée le 8 novembre 2024 par Jules Alingete Key, à la tête de l’Inspection générale des finances (IGF), à la première ministre, Judith Suminwa Tuluka.
Depuis la réception de cette lettre, dont Africa Intelligence s’est procuré une copie, l’exécutif est confronté à un choix délicat. Faute de pièces justificatives attachées à ces dépenses, la Banque centrale du Congo (BCC) n’a toujours pas pu clore le compte général du Trésor public pour l’exercice 2023.
Pour sortir de l’impasse, Jules Alingete Key évoque dans sa lettre la nécessité d’une « décision politique d’autorité ».
En d’autres termes, il s’agit pour le gouvernement de régulariser d’office et en bloc ces dépenses, malgré des soupçons sur «d’éventuelles malversations financières», comme le souligne Jules Alingete. Ce scénario est actuellement étudié au sommet de l’État. Une réunion s’est tenue à ce sujet à la mi-novembre, en présence du ministre du budget, Aimé Boji Sangara, de représentants de l’IGF et de la BCC.
Depuis sa nomination, en avril, Judith Suminwa Tuluka s’est engagée à diminuer sensiblement les dépenses exécutées en urgence. Celles-ci avaient cru de manière exponentielle sous le gouvernement de Sama Lukonde Kyenge, jusqu’à atteindre 17,7 % des dépenses totales de l’État en 2023, selon les données du Fonds monétaire international (FMI). Un ratio encore loin de l’objectif fixé à 10 % par l’institution de Bretton Woods, dans le cadre de son accord au titre de la facilité élargie de crédit accordée à la RDC.
ABSENCE D’ORTHODOXIE BUDGETAIRE
L’IGF tente de documenter depuis plusieurs mois cette dérive budgétaire, qui s’explique en partie seulement par l’effort de guerre contre la rébellion du M23 dans les provinces orientales, et dont l’ampleur est jugée propice aux détournements de fonds publics. Pour tenter d’y voir clair, Jules Alingete a missionné plusieurs de ses agents en août afin de contrôler les paiements en urgence envoyés en régularisation dans la chaîne de la dépense publique.
Africa Intelligence a eu accès à leur rapport, qui offre un aperçu saisissant de l’absence d’orthodoxie budgétaire dans la conduite des finances de l’État congolais. Ainsi, selon les inspecteurs, aucun des 253 dossiers examinés par leurs soins ne présente de pièce justificative valide et ne peut donc être régularisé.
La plupart de ces paiements étaient, du reste, inéligibles à la procédure en urgence, qui concerne les dépenses générées par «un acte imprévisible» comme un conflit armé, une catastrophe naturelle, ou encore une épidémie. On retrouve ainsi, pêle-mêle, les frais de mission de membres de cabinets ministériels à New York, à Luanda ou à Dubaï, les primes accordées aux policiers qui assurent la protection de l’ancien grand argentier Nicolas Kazadi, les indemnités de sortie en faveur des membres du premier gouvernement de Sama Lukonde, et aussi les frais d’entretien et de réparation des véhicules présidentiels.
CIRCUIT PARALLELE
Plus incongru, la présence dans la liste du paiement des indemnités de sortie de l’ancien premier ministre Étienne Tshisekedi, père de l’actuel président, versées à son épouse Marthe Kasalu Jibikilayi, près de trois décennies après son départ de la primature et dix-sept ans après son décès.
Si la pratique de recourir à l’excès au paiement en urgence n’est pas nouvelle, elle a atteint une ampleur inédite avec Nicolas Kazadi, en fonction d’avril 2021 à mars 2024. Au point de susciter l’ire de la Cour des comptes, qui s’en était fait l’écho dans un référé adressé en janvier 2023 au premier ministre. Le premier président de la cour, Jimmy Munganga, déplorait alors que «le ministre, par de simples correspondances, donne ordre au gouverneur de la Banque centrale du Congo de procéder au décaissement de fonds», sans donner lieu à l’émission d’ordres de paiement informatisés (OPI).
Dans sa lettre, il notait déjà que, pour «défaut de régularisation des décaissements effectués à travers cette procédure irrégulière, le compte de suspens de la BCC reste souvent non nettoyé jusqu’à la clôture de l’exercice budgétaire, rendant ainsi difficile la clôture du compte général du Trésor ». Avec pour conséquence « d’instituer un circuit parallèle à la chaîne de la dépense publique, d’affaiblir la maîtrise de l’exécution budgétaire, et de fragiliser l’ensemble du système de gestion budgétaire et comptable ».
Avec Africa Intelligence
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