Après les élections ratées du 20 décembre 2023, les évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) ont décidé de briser le silence. Une nation, disent-ils dans leur déclaration datée du 16 janvier 2024, ne se construit sur la fraude et la tricherie. Autrement dit, « dans le mépris des valeurs morales ».
«Notre pays est en danger, aucune Nation ne peut se construire dans le mépris des valeurs morales. Considérant les multiples défis du point de vue sociopolitique, économique et sécuritaire, auxquels notre pays, la RD Congo, fait face, nous en appelons, une fois de plus, aux instances compétentes ayant mission de veiller à la stabilité, à la justice et à la cohésion nationale, à user de la sagesse et de l’intelligence consciente pour bâtir un Congo nouveau, dans l’unité et dans la paix ».
Dans leurs recommandations, ils n’épargnent personne. Du Président de la République réélu, jusqu’au peuple dans son ensemble, en passant par le Gouvernement ainsi que les Cours et tribunaux, les évêques estiment que chacun, en ce qui le concerne, doit jouer sa partition pour l’avènement d’un Congo nouveau.
Econews
Message des évêques de la CENCO à l’issue du processus électoral
- Nous Cardinal, Archevêques et Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), délégués par nos Assemblées Episcopales Provinciales pour le suivi du processus électoral, mus par notre sollicitude pastorale et préoccupés par le besoin de la paix et de la cohésion nationale, nous sommes réunis à Kinshasa du 15 au 16 janvier 2024 afin d’évaluer ce processus et formuler des recommandations utiles pour l’avenir du pays.
- Fidèles à notre mission de formation de consciences par l’éducation civique ainsi que par l’observation électorale commencée depuis 2003, nous avons suivi avec tristesse le déroulement des opérations électorales directement à partir de nos diocèses qui couvrent l’ensemble du territoire de la RD Congo et indirectement à travers la Mission d’Observation Electorale conjointe de la Conférence Episcopale Nationale du Congo et de l’Eglise du Christ au Congo (MOE CENCO-ECC). Nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu.
- Nous apprécions le fait que plus ou moins 40% de nos compatriotes enrôlés se sont mobilisés pour voter le 20 décembre 2023, et même au-delà du délai légal, parce qu’ils y croyaient et attendaient de ces élections des opportunités pour marquer un bon départ de la gouvernance et de la consolidation de la paix, pour un développement durable de la Nation congolaise. Mais, hélas ce peuple est aujourd’hui désillusionné et traumatisé par la façon dont ces élections ont été organisées et par les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées à bien d’endroits, et qui dénotent un manque de considération à son égard.
CONSTATS
- Dans la suite des préoccupations soulevées et des recommandations faites par la MOE CENCO-ECC aux instances compétentes ayant la charge de veiller sui la régularité des élections, notamment la CENI et la Cour Constitutionnelle, notre attention porte particulièrement sur la suite à donner aux irrégularités et incidents dont l’ampleur et l’étendue font des élections du 20 décembre 2023 une catastrophe électorale, comme attesté aussi par d’autres Missions d’Observation.
- Ces élections ont été caractérisées, en général, par la fraude, la corruption à grande échelle, le vandalisme de matériel électoral, l’incitation à la violence, la détention illégale des DEV, 1’achat des consciences, l’intolérance, l’inpudicité, l’atteinte aux droits humains, à la vie humaine et à la dignité des personnes allant jusqu’à humilier publiquement la femme.
- Il s’avère que le chaos enregistré lors de cette 4ème édition des élections relève en partie de l’obstination de la CENI qui, au regard des contraintes dont elle était pourtant consciente, a organisé les élections par défi, en violation du cadre juridique national et de l’administration électorale.
- Après la Déclaration préliminaire de la MOE CENCO-ECC, nous avons découvert par la suite, un nombre impressionnant de votes parallèles avec les machines à voter trouvées chez des particuliers. D’aucuns se posent la question de savoir s’il n’y avait pas planification quelque part au niveau du pouvoir organisateur.
- La facilité avec laquelle les dispositifs électroniques de vote (DEV) et les rouleaux des bulletins de vote se sont trouvés un peu partout dans les mains des particuliers, étonne plus d’un. La CENI devrait s’interroger sur son rôle dans cet imbroglio, car c’est elle qui a le contrôle exclusif de toutes ces machines et elle ne s’est jamais plainte d’un vol quelconque de son matériel.
- Par ailleurs, la CENI n’a pas accédé à la demande de mettre en place une commission mixte et indépendante pour des enquêtes. Pour quelles raisons? Elle s’est arrangée en se positionnant comme juge et partie pour invalides 82 candidats. Elle a annoncé une deuxième liste d’invalidés, qui n’est toujours pas publiée.
- Cette opacité de la CENI nous semble une suite logique des cas observés antérieurement, notamment les cas des kits d’enrôlement retrouvés entre les mains des particuliers pour lesquels la CENI a refusé le Cadre de concertation sollicité pour clarifier les choses, des centres d’inscription fictifs pour lesquels on n’a eu aucune explication, le refus d’un audit indépendant du fichier électoral, etc…
- Dans le même registre, rappelons que la cartographie des Bureaux de Vote (BV) a été publiée avec d’énormes irrégularités. En effet, après analyses, la MOE CENCO-ECC a pu détecter des anomalies dont l’existence de 3706 BV dupliqués 2 voire 3 fois, avec comme conséquence l’augmentation du nombre d’électeurs de l’ordre de plus de 2.400.000. Le fait que la CENI a publié cela sous un format non téléchar-geable et que sa Décision N°1l7/CENI/AP/2023 portant publication définitive de la cartographie des BV ne détermine pas le nombre précis de BV qu’elle a déployés fait penser à une opacité planifiée.
- Ces nombreuses irrégularités constatées, les incidents notés et la fraude déclarée ont sérieusement affecté les élections et entamé la confiance des électeurs. Dès lors il se pose de questions sur la perception que le Peuple congolais aura du prochain Parlement, d’autant plus qu’à considérer les résultats provisoires des législatives nationales, nous constatons, au stade actuel, qu’il n’y a que plus ou moins 6% de Députés issus de l’opposition. Dieu seul sait comment on y est arrivé. Cette situation comporte un grand risque de rentrer au monopartisme, ce qui serait un grand recul de notre démocratie naissante.
APPEL ET RECOMMANDATIONS
- Notre pays est en danger, aucune Nation ne peut se construire dans le mépris des valeurs morales. Considérant les multiples défis du point de vue sociopolitique, économique et sécuritaire, auxquels notre pays, la RD Congo fait face, nous en appelons, une fois de plus, aux instances compétentes ayant mission de veiller à la stabilité, à la justice et à la cohésion nationale, d’user de la sagesse et de l’intelligence consciente pour bâtir un Congo nouveau, dans l’unité et dans la paix. D’où nous recommandons :
Au Président de la République
- D’être le garant de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. Nous lui apporterons notre contribution susceptible de l’aider à réussir ce deuxième et dernier mandat pour l’intérêt du Peuple congolais.
Au Gouvernement
- De prendre des mesures nécessaires et urgentes pour décourager la xénophobie, et les élans de tribalisme notés dans les discours tout au long de la campagne électorale et de mettre en place un mécanisme politique pour renforcer la cohésion nationale.
- De tout mettre en œuvre pour organiser, dans le meilleur délai, les élections dans les Territoires de Rutshuru, Masisi et Kwamouth.
- De mener des enquêtes sérieuses pour identifier toutes les personnes impliquées dans le détournement des DEV.
- De proposer au Législateur la réforme de la CENI pour assurer et garantir une bonne gouvernance électorale. L’indépendance de celle-ci devra être bien clarifiée par rapport aux lois nationales qui régissent notre pays et aux attentes légitimes du Peuple congolais.
Au Ministère public, Aux Cours et Tribunaux
- De se saisir d’office de toutes les dénonciations pour invalider les fraudeurs connus qui ont été proclamés provisoirement comme élus; de traiter les dossiers relatifs aux recours et contentieux électoraux sans complaisance; d’être au service de la justice et non des individus;
- Nous rappelons qu’une Justice qui fait la promotion des antivaleurs est un cancer pour la Nation. Il importe d’ouvrir des poursuites à l’égard des membres, cadres et agents de la CENI qui ont été complices dans la fraude électorale. Il ne serait pas normal que les personnes qui ont hypothéqué l’avenir de toute une Nation se trouvent encore dans la direction de cette haute institution d’appui à la démocratie.
Au Peuple congolais
- De vivre ensemble dans la solidarité et la cohésion nationale, afin que la RD Congo ne sombre pas dans la violence et les divisions.
- Comme nous l’a dit le Pape François, lors de son voyage apostolique dans notre pays, il n’y a pas de paix sans fraternité. C’est un choix : de faire de la place dans nos cœurs pour tous, de croire que les différences ethniques, régionales, sociales, religieuses et culturelles, ne sont pas des obstacles au vivre- ensemble.
- L’avenir d’un pays dépend de son peuple. Retenons dans notre conscience qu’on ne libère pas un peuple, le peuple se libère lui-même. Que chaque Congolais se sente concerné par la construction de notre pays. Pour ce faire, nous exhortons tous les congolais à rester vigilants et engagés dans l’exercice de notre souveraineté.
- Aux jeunes particulièrement, nous recommandons de ne pas se laisser manipuler et instrumentaliser par les acteurs politiques qui les exploitent pour leurs intérêts égoïstes.
- A tout le Peuple congolais et aux hommes de bonne volonté, nous réitérons notre appel au dialogue, au calme, à la paix et à l’apaisement des esprits.
CONCLUSION
- Nous réaffirmons notre engagement à continuer la formation du Peuple congolais aux valeurs morales et citoyennes : «Celui qui se livre à la fraude n’habitera pas dans ma maison » (Ps 101,7). «Nous ne le dirons jamais assez : sans exigences morales et spirituelles, nos ressources naturelles et toute la technicité du monde ne peuvent rien apporter pour l’avènement d’un Congo nouveau ».
- Nous confions notre pays et son avenir à la protection de Dieu, Maître de l’histoire, qui n’abandonne jamais son peuple. Que la Vierge Marie, Reine de la Paix, avec les Bienheureux Anuarite et Bakanja, intercèdent pour nous.
Fait à Kinshasa, le 16 janvier 2024
Les archevêques et évêques présents à la réunion du Comité de suivi de la CENCO du 15 au 16 janvier 2024
- S. Exc. Mgr Marcel UTEMBI
Archevêque de Kisangani – Président de la CENCO
- S. Exc. Mgr José MOKO
Evêque d’Idiofa – Vice-Président de la CENCO – Président de l’ACEAC
- S. Em. Fridolin Cardinal AMBONGO
Archevêque de Kinshasa
- S. Exc. Mgr Fulgence MUTEBA
Archevêque de Lubumbashi
- S. Exc. Mgr Ernest NGBOKO
Archevêque de Mbandaka-Bikoro
- S. Exc. Mgr Félicien NTAMBUE
Evêque de Kabinda – Administrateur Apostolique de Kananga
- S. Exc. Mgr Dieudonné URINGI
Evêque de Bunia
- S. Exc. Mgr Gaston RUVEZI
Evêque de Sakania-Kipushi
- S. Exc. Mgr Willy NGUMBI
Evêque de Goma
- S. Exc. Mgr Sébastien MUYENGO
Evêque d’Uvira
- S. Exc. Mgr Timothée BODIKA
Evêque de Kikwit
- S. Exc. Mgr Jean Bertin NADONYE
Evêque de Lolo
- S. Exc. Mgr Nicolas DJOMO
Evêque Emérite de Tshumbe