Assemblée nationale : Mystère autour d’un projet de loi d’amnistie !

Pendant que la classe politique se déchire dans des disputes stériles et que se dé(re)composent des alliances sur fond d’accusations de débauchages et de corruption des élus; qu’à l’Assemblée nationale une stratégie d’exclusions de députés «réfractaires» se met en place; que des médias relaient dans une cacophonie parfaite des opinions politiques les unes aussi loufoques et puérils que d’autres, se prépare dans le plus grand secret à la Commission politique, administrative et judiciaire (PAJ) de la chambre basse les mécanismes de l’adoption du projet de loi portant amnistie pour les faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques. Il apparaît dès lors que les agitations observées tant au gouvernement qu’au sein des organes délibérants sont une manœuvre de diversion pensée en haut lieu et destinée à masquer le véritable enjeu de l’heure, à savoir, comment s’extirper du bourbier M23 sans perdre la face.
Le calendrier d’activités de l’Assemblée nationale prévoit, à son point 16, coincé entre les projets de loi portant modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège et celui portant reddition des comptes de la loi de finances de l’exercice 2021, le débat général en vue de l’adoption du projet de loi portant amnistie pour les faits insurrectionnels, les faits de guerre et infractions politiques.
L’inscription de cette dernière matière à l’ordre du jour de la session de septembre s’est faite en toute discrétion. Et pour cause : le gouvernement qui en est l’auteur n’avait pas intérêt à ébruiter un projet qui aurait eu le mérite de réveiller les démons au sein d’une opinion déjà échaudée par la présence rwandaise en territoire congolais d’une part, et par la profusion sans précédent des groupes armés qui sèment la terreur au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri, d’autre part. On en compterait plus de 120 à ce jour, des emblématiques ADF ougandais à la constellation des mouvements Maï-Maï en passant par les «groupes d’autodéfense» à dominante tutsi des hauts plateaux de Minembwe et la CODECO qui ensanglante les territoires d’Irumu et de Djugu en Ituri.
On pourrait légitimement s’interroger de l’opportunité de l’adoption de cette loi, mais surtout qui en seraient les bénéficiaires. «C’est une matière d’une extrême sensibilité», déclare un député sous le sceau de l’anonymat. «Bien entendu, on n’adopte pas de lois qui ne sortent leurs effets. Et celle-là, qui sera certainement promulguée, n’échappera pas à la règle».
Interrogé sur les auteurs des faits insurrectionnels, des faits de guerre et d’infractions politiques qui pourraient en bénéficier les premiers, notre interlocuteur se contente de cligner de l’œil et de sourire.

Pourquoi maintenant ?
Il est difficile de ne pas relier la résurgence du M23 «surarmé» par le Rwanda et sa prise en juin dernier de la localité de Bunagana (Nord-Kivu) aux échecs successifs des négociations secrètes ou publiques entre le gouvernement et le mouvement rebelle. C’est dans la perspective de leur reprise que le porte-parole du gouvernement congolais a lancé un message de conciliation. En effet, Patrick Muyaya réaffirmait récemment pour la énième fois que l’Etat congolais a toujours privilégié «la voie diplomatique». Dans cette veine, il déclarait: «Il n’y a aucune guerre ou affrontement qui commence et qui ne s’achève pas sur une table parce que nous savons que c’est le Rwanda qui opère derrière le M23».
Interrogé par afri-karabia.com, le porte-parole politique du M23, Lawrence Kanyuka, répliquait que toutes ces médiations se passent entre Etats. Pour leur part, ils demandent plutôt un dialogue direct avec le gouvernement. «Ces discussions nous concernent. Nous sommes sur le terrain et nous devons parler d’égal à égal avec notre gouvernement».
Il a rappelé qu’en avril à Nairobi, au Kenya où étaient réunis les groupes armés autour des autorités congolaises, c’est le facilitateur Serge Tshibangu qui avait demandé l’exclusion du M23 après la reprise des combats entre la rébellion et l’armée congolaise. Lawrence Kanyuka a poursuivi que devant la communauté internationale, c’est le gouvernement congolais qui a refusé de dialoguer avec le M23. «De notre côté, nous n’avons jamais quitté les négociations et aujourd’hui nous continuons de demander la tenue de ce dialogue direct». Mais il n’a pas dévoilé les revendications qui seraient sur la table.

Des revendications archi-connues
Mais on sait de longue date que le M23 reproche aux autorités congolaises de n’avoir pas tenu leurs promesses concernant le retour des réfugiés se trouvant en Ouganda et au Rwanda, l’intégration des combattants dans l’armée, la transformation du mouvement en parti politique et l’intégration au programme de démobilisation.
Les deux positions, mises en perspective, convergent en réalité mais elles achoppent sur la qualité des interlocuteurs du régime de Kinshasa. Sauf que le M23 surfe sur un schéma devenu classique en Rd Congo. Comme le RCD/Goma jadis et ses lointains avatars du RCD-K/ML, du RCDN ou des groupuscules Maï-Maï, il ne perd pas l’espoir de voir un jour ses militaires intégrer l’armée nationale et ses cadres politiques entrer au gouvernement.
A Kinshasa, c’est la veillée d’armes. Il faut trouver une voie qui ne sème pas la confusion dans les esprits en composant avec un mouvement «terroriste» dont les généraux et colonels viendraient infiltrer, une fois de plus, une armée nationale déjà mise à mal par la présence des officiers supérieurs et généraux venus de divers horizons d’anciennes rébellions. Et cette voie, judicieusement négociée, passerait par une loi d’amnistie.

Econews