Déployées en RDC, les troupes kenyanes vont établir leur QG à 10 km de Goma

Le président kényan a officiellement remis l’étendard de son pays au contingent militaire devant faire partie de la Force de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC, de son sigle anglais) dans l’Est de la République démocratique du Congo. «J’ai l’honneur d’inaugurer officiellement le contingent kenyan déployé dans l’Est de la République Démocratique du Congo, dans le cadre de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est», a dit le président kenyan William Ruto à la cérémonie, organisée mercredi à la garnison d’Embakas (Nairobi). Le quartier général (QG) multinational sera établi à 10 kilomètres de la ville de Goma, a indiqué le ministre kenyan de la Défense.
Le Kenya a confirmé, mercredi 2 novembre, que ses troupes sont prêtes à être envoyées en RDC pour rejoindre la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). En l’espace de 48 heures, le président William Ruto, d’abord réticent, a décidé d’engager un contingent dans l’Est de la RDC.
Ni le nombre et encore moins le mécanisme de son financement n’a été dévoilé. Le contingent kényan est appelé à rejoindre les unités de l’Ouganda, du Soudan du Sud, et du Burundi, ces derniers étant déjà présents dans la province du Sud-Kivu. Entré en fonction depuis près de deux mois, le président William Ruto confirme ainsi l’engagement pris par son prédécesseur Uhuru Kenyatta.
Du coup, il lève l’équivoque posée par le chef de l’équipe d’officiers arrivée en avance en RD Congo, selon laquelle les troupes kényanes n’avaient pas pour mandat de combattre les rebelles du M23 présentes à Bunagana, mais de constituer une zone tampon afin de prémunir les populations civiles de violences. De toute évidence, la situation a évolué en faveur de Kinshasa. Les intérêts économiques du Kenya ayant pris le dessus sur toute autre forme de considération.
«J’ai mené des consultations approfondies sur ce déploiement au cours des dernières 48 heures et je suis arrivé à la conclusion qu’il était nécessaire, important et urgent », a martelé le président de la République du Kenya lors de la cérémonie de remise du drapeau aux membres des Forces de défense du Kenya.
Selon l’armée kenyane, près d’un millier d’hommes ont suivi ces dernières semaines un entraînement préparatoire. Le ministre kenyan de la Défense, Aden Bare Duale, a toutefois refusé de préciser combien parmi eux seraient déployés, ni selon quel calendrier : «Nous allons nous rendre à Goma pour commencer. C’est là que se trouve le quartier général de cette force. Un quartier général multinational, établi à 10 kilomètres de la ville de Goma, et qu’il s’agit maintenant de remplir de personnel. C’est à partir de là que sera planifié la façon dont les troupes vont se déployer dans les différentes zones, en fonction du mandat qui a été donné à la communauté est-africaine».

Des intérêts économiques sur la balance
Porte d’entrée des importations destinées aux provinces orientales de la RDC, le port de Mombasa au Kenya est d’une importance capitale. Des véhicules, l’électroménager en provenance de Chine et articles d’habillement en produits dans les pays du Sud-Est asiatique empruntent le corridor qui, à travers l’Ouganda, aboutit aux villes commerciales de Beni et Butembo, tandis que plus au nord, les marchandises destinées à Kinshasa transitent par Bunia avant d’atteindre Kisangani et, par la voie fluviale, elles atteignent la capitale, Kinshasa.
William Ruto, en homme d’affaires avisé, est parfaitement conscient du risque d’asphyxie de l’économie de son pays. Des sources indiquent en effet que le conflit dans l’Est congolais occasionne journellement un manque à gagner qui se chiffre en dizaines de millions de dollars US. La coalition armée M23 et armée rwandaise est d’autant plus malvenue que des investissements kényans du secteur bancaire principalement sont en train de tisser leur toile dans un marché immense de près de 90 millions de consommateurs.
Mais le Kenya n’est pas le seul pays d’Afrique orientale à lorgner sur les ressources naturelles de l’Est congolais. Les régimes de Kigali et de Kampala avaient compris bien avant l’heure les avantages à tirer d’une instabilité entretenue dans l’Est de la RD Congo, elle-même favorisée par des dissensions politiques internes interminables.
Le Rwanda plus particulièrement a opté pour la création de fausses rébellions au sein desquelles ses troupes opèrent depuis un quart de siècle. De l’AFDL au M23, en passant par le RCD et le CNDP, la motivation n’a pas varié : le pillage des ressources minières a fait du Rwanda l’un des principaux exportateurs de coltan, quand bien même ce pays ne justifie pas de gisements conséquents de ce minerai stratégique.
L’Ouganda, pour sa part, s’enorgueillit de l’ouverture sur son territoire de l’une des usines parmi les plus performantes de raffinage de minerai aurifère.
Il était donc temps de freiner, ou à tout le moins de tempérer les appétits de l’Ouganda et du Rwanda dans leur folie guerrière. Les avancées de la pseudo-rébellion du M23 et de l’armée rwandaise ont fini par convaincre les autres pays membres de l’EAC de la nécessité d’apporter une contribution forte, afin d’aboutir sinon à une paix définitive, du moins à un semblant de stabilité profitable à tous dans la zone de libre-échange africaine qui peine à prendre son envol.

La contrainte financière
Tout cela pourrait également dépendre de l’épineuse question du financement de cette opération, pas encore réglée. Le Kenya continue de solliciter l’appui de la communauté internationale.
Le secrétaire d’État kényan aux Affaires étrangères, Macharia Kamau, l’a rappelé à l’issue de la cérémonie : «Les chefs d’État d’Afrique de l’Est se sont engagés à financer leur propre déploiement au maximum, dans la limite de leurs ressources. Nous travaillons aussi très dur pour mobiliser la communauté internationale afin qu’elle soutienne la force est-africaine. Parce que l’idée n’est pas que ce fardeau pèse uniquement sur l’Afrique de l’Est. Comme l’a dit le président, c’est un engagement non seulement pour la région mais pour l’humanité. Cette guerre douloureuse dure depuis deux générations et la communauté internationale, qui a déjà dépensé des milliards par le biais de la Monusco et d’autres interventions, pourrait tout aussi bien donner une partie de ces ressources à la communauté est-africaine. L’idée est donc de continuer à solliciter la communauté internationale pour obtenir des ressources supplémentaires, afin de soutenir les forces est-africaines».

M.M.F.