Économie mondiale : la crise qui continue

Il apparaît évident que l’économie mondiale traverse une phase particulière, successivement marquée par une pandémie puis une guerre. Tandis qu’à un arrière-plan de plus immédiat s’impose la crise écologique. Peu à peu s’évanouit l’assurance des dirigeants qui pariaient sur un « rebond » économique.
En fait, l’agression contre l’Ukraine et ses conséquences ont accru les tensions économiques préexistantes. Tout d’abord, les pressions inflationnistes : pétrole, gaz, céréales, etc. Dans la foulée, les prix à la consommation qui augmentaient déjà ont commencé à franchement déraper.

La récession qui guette
Ensuite, les tendances récessives : depuis le début de 2022 le FMI ne cesse de réviser à la baisse ses prévisions de croissance. Au fil des prévisions, l’inflation est plus élevée et la croissance plus faible. Selon les prévisions les plus récentes du mois d’octobre 2022, le PIB mondial devrait à peine progresser de 3,2 % cette année et de 2,7 % en 2023. Le ralentissement serait encore plus net en Europe avec en 2023 une quasi-stagnation (+0,6 %). La récession n’est pas le scénario privilégié par le FMI. Mais son chef économiste est quand même assez clair : elle n’est pas loin. «Il se peut très bien que nous soyons à la veille d’une récession mondiale», a-t-il prévenu.
La situation de l’Europe est la plus fragile du fait des menaces pesant sur l’approvisionnement en gaz. La situation des États-Unis (qui cherchent à tirer un parti maximum de la guerre en Ukraine tant sur le plan militaire qu’économique) est incertaine mais certains signes sont négatifs : la croissance a été négative lors des deux premiers trimestres 2022. Plusieurs secteurs ont annoncé des licenciements, y compris dans la tech : Tesla a ainsi annoncé qu’il allait se séparer de 10 % de ses salariés dans les trois prochains mois, tout en augmentant le nombre d’intérimaires. Mark Zuckerberg, patron de Meta (Facebook, Instagram, What-sApp), a annoncé en septembre des ­licenciements et l’arrêt des embauches.
Mais les pays du Sud (au moins les non-producteurs d’hydrocarbures) sont les plus touchés. En seulement trois mois (à partir de mars 2022), environ 71 millions de personnes supplémentaires dans le monde ont basculé dans la pauvreté, selon un rapport récent du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). La crise du Covid a augmenté les dettes publiques des pays dits émergents de 52 % en moyenne entre 2015 et 2019 à 67 % du PIB en 2021.

Les banques centrales haussent le ton
Quant à la Chine, les rebonds de la pandémie et les strictes mesures de confinements locaux pèsent sur la croissance. Il faut y ajouter la crise de l’immobilier : le géant du secteur Evergrande est plombé par un dette d’environ 300 milliards de dollars. D’autres promoteurs pourraient vaciller. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir des difficultés à terminer leurs chantiers et à remettre, en temps voulu, des logements vendus avant leur construction. En représailles, des propriétaires, exaspérés, refusent de payer leurs prêts immobiliers, contribuant à aggraver la crise du secteur et menaçant de l’étendre aux banques.
Face aux tensions inflationnistes, dès avant l’invasion de l’Ukraine, les banques centrales avaient décidé de de sortir des politiques d’« argent facile » et d’augmenter les taux d’intérêt pour calmer l’inflation. Pour l’instant, elles se tiennent à cette orientation et, aux États-Unis comme en Europe, elles augmentent leurs taux (la Chine fait exception). Mais cela ne peut que renforcer les tendances récessives et accroitre les difficultés des pays du Sud que les capitaux vont quitter pour les États-Unis.
Dans la zone Euro s’ajoute un embarras supplémentaire : le risque que s’accroissent à nouveau les écarts entre les taux que les marchés exigent pour souscrire aux emprunts des différents pays. La Grèce et l’Italie seraient les premiers pays fragilisés par une augmentation de l’écart de taux d’intérêt à long terme (le « spread») avec l’Allemagne, considérée comme le pays le plus solide. La BCE a donc annoncé, en plus de hausse des taux, la mise au point d’un instrument (achat de titres) visant à limiter les écarts «injustifiés » des taux d’intérêt.
Tous les ingrédients d’un fort ralentissement de l’économie mondiale sont réunis : durcissement des banques centrales, fragilité de la sphère financière (certains fonds de pension britanniques sont déjà en difficulté), poids des dettes publiques, hausse des taux des prêts immobiliers, désordres dans l’approvisionnement, ­économies vacillantes et climat ­général d’incertitude.
Dans ce contexte, il est de plus en plus clair qu’il ne suffit pas de s’en tenir à une dénonciation du néolibéralisme : la crise qui perdure ne tient pas à un mode de gestion économique mais bien à la logique absurde et mortifère du capital.
Avec CADTM