Dans deux rapports confidentiels, la Mission d’évaluation des besoins électoraux de l’ONU et le Programme des Nations Unies pour le développement dressent un état des lieux pessimiste et s’essayent à la prospective en vue des élections prévues fin 2023 en RDC.
Les Nations unies s’inquiètent de la capacité de la RDC à organiser des élections présidentielles et législatives prévues en décembre 2023, selon deux rapports confidentiels consultés par Africa Intelligence. A la demande de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), la Mission d’évaluation des besoins électoraux de l’ONU a été déployée en début d’année et a finalisé son rapport en mai.
En parallèle, deux experts électoraux mandatés par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont cartographié « les risques de conflits avant, pendant, et après les élections de 2023 ». Dans ce document de 88 pages daté de juin s’égrène un inventaire des menaces pesant sur le scrutin.
Risque de «glissement»
A commencer par la situation sécuritaire « préoccupante » à l’Est du pays, où opèrent toujours une centaine de groupes armés, dont le M23 et les Allied Democratic Forces (ADF). Les troupes des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), les casques bleus de la Monusco (Mission des Nations Unies en RDC) et les Uganda People’s Defence Forces (UPDF) poursuivent leurs opérations dans l’Ituri et le Nord-Kivu. Le déploiement d’une force régionale de l’East African Community a commencé le 15 août avec l’arrivée d’un premier contingent burundais dans le Sud-Kivu. L’état de siège, toujours en vigueur dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, où toute activité politique reste théoriquement suspendue, laisse craindre des obstacles majeurs pour l’organisation et la tenue du scrutin.
Les consultants du PNUD font le constat qu’un glissement du calendrier est « un scénario désormais probable ». Pour cause : en séquençant les différentes opérations nécessaires à la tenue du scrutin, les experts estiment qu’il faudra environ 640 jours à compter de la promulgation de la nouvelle loi électorale.
Ainsi, de fin 2023, l’élection pourrait « glisser » au premier semestre 2024, « et ce, à condition que tout se passe sans difficulté d’ici là ». Cette perspective est d’ores et déjà murmurée dans les coulisses du pouvoir à Kinshasa, certains misant sur un report de deux à trois mois, les moins optimistes – notamment les diplomates occidentaux – évoquant même un an.
A cela s’ajoute «un grand déficit de confiance dans certaines institutions impliquées dans la gestion du processus électoral, notamment la Ceni et la Cour constitutionnelle», relève l’équipe d’évaluation des Nations unies. Celle-ci souligne dans son rapport que «de nombreuses inquiétudes subsistent quant à la capacité de la Ceni à respecter le calendrier électoral au regard des défis et des contraintes techniques et financières ».
Financement incomplet
Le financement des élections, dont le coût est estimé à 900 millions de dollars, alimente également les tensions. Ce qui a donné lieu, en début d’année, à de virulentes passes d’armes entre Denis Kadima, le président de la Ceni, et le ministre des Finances Nicolas Kazadi. Au nom d’une certaine orthodoxie budgétaire, le grand argentier congolais a choisi de séquencer les décai-ssements au risque, selon le PNUD, «d’affecter directement l’autonomie administrative et financière de la Ceni, ainsi que sa capacité à avancer selon son propre calendrier d’activités».
Si les tensions entre les deux hommes se sont apaisées, la Ceni est encore loin d’avoir récupéré les 640 millions de dollars sollicités pour l’année 2022. Or ceux-ci sont indispensables à l’achat de matériel électoral, notamment les kits d’enregistrement et les machines à voter, ainsi que le lancement des opérations d’inscription des électeurs sur les listes électorales.
Selon les informations d’Africa Intelligence, Denis Kadima ne pourra pas non plus compter sur l’appui des Occidentaux, et plus particulièrement celui des Etats-Unis de Joe Biden et de l’Union européenne (UE). Un temps espéré par le patron de la centrale électorale, ce soutien devrait rester fortement limité, de l’ordre de quelques millions de dollars, et ne pas concerner directement les opérations menées par la Ceni. Les Nations unies prévoient de plaider auprès des partenaires financiers pour mobiliser les ressources en vue d’appuyer la Ceni « de manière ciblée et ponctuelle » et ainsi « combler d’éventuels déficits budgétaires de la part du gouvernement ».
Institutions sous contrôle
Un mandat limité en matière d’assistance électorale sera demandé pour la Monusco en décembre 2022 au Conseil de sécurité de l’ONU. Par défaut, la mission d’évaluation des besoins électoraux préconise de fournir une assistance technique via les agences, les fonds et les programmes des Nations unies.
Dans son rapport, elle s’inquiète «d’une crise de légitimité» de la Ceni, qui a indiqué «travailler à redorer son image ». Les deux experts mandatés par le PNUD mettent également en exergue l’inquiétude autour «de la volonté du pouvoir en place de contrôler les institutions en charge du pouvoir », à savoir la Ceni et la Cour constitutionnelle. Outre la nomination de Denis Kadima, jugé proche de Félix Tshisekedi, à la présidence de la Ceni, Totokani Mabiku, ex-conseiller du parti présidentiel, a été choisi au début de cette année pour en occuper le poste stratégique de secrétaire exécutif national.
Il en va de même à la Cour constitutionnelle, présidée par Dieudonné Kamuleta Badibanga, qui a remplacé fin mai Dieudonné Kaluba Dibwa. Le renouvellement de trois de ses juges en juin s’est effectué, notent les auteurs, «sans que soient suivies les procédures pourtant prévues en cas de tels changements». Résultat : «L’ensemble des remaniements affecte clairement l’indépendance et donc la crédibilité de la juridiction en charge à la fois de gérer le contentieux des élections de niveau national et d’en proclamer les résultats définitifs ».
Risque de «pourrissement»
Dans ces conditions, trois scénarios semblent se dégager aux yeux des experts du PNUD. Jugé le moins conflictuel, le premier verrait le Front commun pour le Congo (FCC, la formation de l’ex-président Joseph Kabila) s’entendre avec la majorité actuelle pour garantir sa présence au sein des deux chambres du parlement, ainsi «qu’une sorte de protection juridique pour sa famille et ses lieutenants politiques». En échange, le FCC s’abstiendrait de perturber le cycle électoral.
Le deuxième scénario verrait pour sa part la formation de Joseph Kabila s’entendre avec un autre pan de l’opposition pour mener le combat dans les urnes contre Félix Tshisekedi. Le principal risque étant que ce camp « se réserve la possibilité, si les urnes ne leur étaient pas favorables, de forcer la décision par la pression violente des hommes en uniforme restés fidèles à Kabila».
Le troisième scénario, «statistiquement le plus vraisemblable », est celui de tous les dangers pour le pouvoir actuel. Il prévoit un boycott du scrutin par le FCC, Joseph
Kabila et son clan cherchant, «à travers leur influence sur les forces de sécurité, à «pourrir» le processus électoral, soit par des refus d’intervenir pour faire cesser des violences, soit en les suscitant ou en les soutenant ». Avec pour conséquence une interruption des opérations électorales, et le début d’une crise politique majeure ouvrant sur une période de transition et de nouvelles élections.
Avec Africa Intelligence