082 23

Ignoré chez lui, célébré ailleurs

L’histoire du Dr Jean-Pierre Latere est à la fois une magnifique success story et un terrible constat d’échec. Un échec collectif, celui d’une nation qui ne parvient pas à reconnaître, à valoriser et à retenir ses talents les plus brillants. Tandis que le géant pharmaceutique AstraZeneca a déboursé la somme vertigineuse d’un (1) milliard de dollars US pour acquérir sa start-up, EsoBiotec, et la technologie révolutionnaire qu’il a développée, le Dr Latere reste étrangement absent des radars médiatiques et politiques dans son propre pays, la République Démocratique du Congo.

Ce contraste est saisissant, et il est cruel. D’un côté, les États-Unis, terre d’innovation et de capital-risque, où un géant de l’industrie reconnaît la valeur exceptionnelle d’une invention et n’hésite pas à y mettre le prix. De l’autre, la RDC, qui semble regarder passer son génie avec une indifférence perplexe, comme si le succès de l’un de ses fils ne la concernait pas. Valorisé ailleurs, ignoré chez lui : ce paradoxe résume le drame de l’exode des cerveaux qui saigne le continent africain depuis des décennies.

Comment expliquer cette cécité nationale ? Comment un pays qui aspire au développement peut-il laisser filer sans un bruit, sans une reconnaissance, sans une tentative de rétention, un esprit capable de générer une telle richesse et, surtout, des solutions qui pourraient bénéficier directement à sa population ? Le problème n’est pas nouveau, mais l’ampleur de la transaction – un milliard de dollars – lui donne une résonance particulièrement amère.

Cette affaire pose des questions fondamentales sur notre écosystème national. Où sont les mécanismes de financement pour soutenir les start-ups prometteuses ? Où est la stratégie gouvernementale pour identifier ces pépites, les protéger et les aider à grandir ici, pour que la valeur créée profite d’abord au pays ? Où est la fierté nationale qui devrait pousser nos médias à célébrer de tels exploits comme des victoires collectives ?

Le cas du Dr Latere n’est malheureusement pas isolé. Il s’inscrit dans une longue liste de scientifiques, d’ingénieurs et d’artistes congolais contraints de porter leur lumière ailleurs pour qu’elle soit enfin vue et rémunérée à sa juste valeur. Le pays se prive ainsi de ses meilleurs atouts pour son développement, préférant souvent célébrer les richesses souterraines plutôt que les richesses intellectuelles qui sommeillent à sa surface.

Il est urgent que la RDC se réveille. Elle doit cesser d’être une terre qui regarde ses enfants réussir à l’étranger avec une fierté passive et distante, pour devenir un terreau où leurs talents peuvent s’enraciner et s’épanouir. Cela nécessite une révolution des mentalités, une priorisation absolue de l’éducation et de la recherche, et la création d’un environnement propice à l’innovation et à l’entrepreneuriat.

Le Dr Latere a prouvé que le génie congolais peut rivaliser avec les plus grands sur la scène mondiale. Son histoire devrait être une sonnette d’alarme et une source d’inspiration. Il est temps que la nation apprenne enfin à honorer ses vivants, au lieu de se contenter de célébrer leurs succès de loin, une fois qu’ils ont été sanctifiés par l’étranger. La véritable indépendance économique passera par la reconnaissance et la valorisation de notre matière grise, notre ressource la plus précieuse et, jusqu’à présent, la plus tragiquement gaspillée.

ECONEWS