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«Politique monétaire : Tenir ! » (Tribune du professeur Vincent Ngonga Nzinga)

La Banque Centrale du Congo est parvenue à tenir en maintenant le taux d’intérêt directeur, depuis le 8 août 2023 à ce jour à 25% l’an. Malgré les plaintes incessantes des banques, les complaintes des opérateurs économiques, les critiques des observateurs supposés « avisés », tenir pour sortir de la bourrasque inflationniste dans laquelle se trouve engluée l’économie congolaise depuis 2022.  

Le motif évoqué et véhiculé par les différents groupes de pression porte sur le niveau qualifié « d’usurier » du taux directeur actuel en alléguant les risques de contraction de la demande du crédit à l’économie, de repli des investissements et de la consommation, de ralentissement de la croissance. Précisons les choses : Augmenter le taux directeur serait contre-productif au niveau de la création des richesses, c’est l’esprit. En luttant contre l’inflation qui édulcore la demande et partant la croissance, augmenter le taux directeur permet, in fine, d’endiguer l’inflation, de relancer la demande et partant la croissance, c’est la lettre[1].

Primo, le déterminant le plus important de la croissance en RDC, sans préjudice du préalable que constitue la Paix, c’est la demande internationale qui ne dépend pas de nous. Elle est suivie par la dépense publique de qualité, de l’état des infrastructures, du climat des affaires et des investissements. La demande de crédit vient quasiment en dernière position en raison de la faiblesse structurelle de l’intermédiation bancaire.

En réalité, dans le cas spécifique de la RDC, le taux directeur est un levier puissant pour lutter contre l’inflation et non pour impulser la croissance. Depuis la restauration de l’option de flexibilité et de positivité du taux d’intérêt directeur, l’inflation évolue à la baisse : 23,4% en 2023, 12,2% en 2024 et une cible visée à 7% en 2025.

Secundo, certes, la marge de positivité du taux d’intérêt directeur s’est sensiblement élargie. Bonne nouvelle, elle a permis de doper les ponctions de la liquidité via les bons BCC avec des implications intéressantes sur l’arbitrage entre la détention des devises et la détention des francs congolais sous forme des Bons de la Banque Centrale. L’effet sur le marché et le taux de change s’en est suivi. Des observateurs convaincus « avisés » peuvent plaider, sur cette base, pour la baisse du niveau du taux directeur tout en préservant la marge de positivité en le ramenant, à titre d’exemple, à 18%. Ce qui fera passer la marge de positivité de 13 points à mi-mars 2025 à 6 points.

Mais, mais, mais, il y a une remarque de taille que certains observateurs réputés « avertis » ne prennent pas en compte : La cible d’inflation pour 2025 est annoncée à 7%.

Tertio, comparée à l’inflation anticipée, dont le proxy faute des enquêtes ad hoc, est l’inflation en glissement annuel établie à 10,64% à la mi-mars, la cible d’inflation de 7% est jusque-là dépassée. Ce qui émousse la crédibilité de la politique monétaire laquelle s’entend comme sa capacité à maintenir l’inflation anticipée compatible avec la cible d’inflation annoncée urbi at orbi par ses soins.  Une telle situation plaiderait normalement pour une nouvelle tour de vis ou de boulon de la politique monétaire en envisageant, à l’extrême, de relever le taux directeur à 28%, par exemple, pour résorber l’écart d’inflation observée par rapport à la cible.

Cette position extrême n’est pas nécessaire puisque la dynamique désinflationniste se poursuit comme attestée par la baisse continue de l’inflation en glissement annuel indiquée ci-dessous :

Périodes a)    Inflation en glissement annuel b)   Cible annuelle d’inflation c)Ecart d’inflation (a-b)
Décembre 2024 23,4% 11% 12,4 Points
Janvier 2025 11,06% 7% 4,06 points
Février 2025 10,60% 7% 3,6 points
Mars (Mi-Mars) 10, 64% 7% 3,64 points

Source : Différentes notes de conjoncture de la BCC

Dans une telle situation de recul de l’inflation, la marge de positivité du taux d’intérêt réel, le taux d’intérêt nominal restant inchangé, s’accentue. Les retraits de la liquidité excédentaire via les ventes des bons BCC s’améliorent dans un contexte de politique budgétaire prudente reflétée par la constitution des excédents-tampon de trésorerie. La base monétaire est contenue et partant l’offre de monnaie. Ce qui implique la stabilité relative du taux de change et le repli de l’inflation. C’est cette dynamique qui permet de réduire progressivement l’inflation anticipée ou en glissement annuel pour la ramener sur la courbe d’indifférence avec la cible annuelle de 7%.

Quarto, depuis le 8 août 2023 à ce jour, le taux directeur est maintenu à 25%. Donc, l’usage intensif du taux directeur, signe de sa volatilité et de sa fébrilité, donc la fréquence de sa modification n’est pas à l’ordre du jour. Ceci est confirmé par l’abondante littérature de consensus en matière de crédibilité de la politique monétaire. Cette dernière dispose que la crédibilité de la politique monétaire évolue en raison inverse de la volatilité du taux directeur. Plus le taux directeur est maintenu stable, plus la politique monétaire est jugée crédible.

Il serait souhaitable, pour éviter les changements multiples du taux d’intérêt nominal, que l’ajustement à la baisse du taux directeur se fasse le moment venu en « one shoot », sans « précipitations inconsidérées, ni atermoiements funestes ». « Lorsque la politique monétaire est crédible, donc emporte la confiance du public, le travail de stabilisation est relayé par ce dernier convaincu de la réputation de la Banque Centrale »[2].

Dans la mesure où le processus de réduction de l’inflation en glissement annuel se poursuit, le maitre mot est « tenir » malgré les vents contraires de la conjoncture  jusqu’à ce que l’inflation anticipée  se retrouve sur une courbe d’indifférence avec la cible annuelle d’inflation. La crédibilité, graal de la politique monétaire, est à ce prix. Tenir, avoir le souffle long et plier sans rompre tel le roseau, c’est le prix de la crédibilité de la politique monétaire.

Professeur Vincent Ngonga Nzinga

[1] Merci STAN !

[2]. La crédibilité concerne les politiques mises en œuvre et la réputation, les institutions qui mettent en œuvre les politiques.   

 

 

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