Au-delà de son recours devant la Cour suprême pour invalider les résultats de l’élection du 9 août, l’opposant joue sur tous les plans sa dernière carte. Explications.
Ça sera la justice et donc la voie légale.
Comme en 2013 et 2017, l’opposant historique Raila Odinga a officiellement contesté, lundi 22 août, devant la Cour suprême les résultats de l’élection présidentielle kényane du 9 août, qui l’ont donné perdant derrière le vice-président sortant William Ruto, assurant avoir «suffisamment de preuves» de sa victoire.
«Comme des athlètes, nous avons couru vers la ligne d’arrivée et il a fallu une photo-finish pour nous départager. Aujourd’hui, les arbitres sont divisés. Certains disent qu’un candidat a gagné, les autres ont une opinion différente ». Raila Odinga n’hésite pas à filer la métaphore sportive, devant la plus haute instance judiciaire du Kenya, après une arrivée spectaculaire peu avant 13 heures (10 heures GMT), environ une heure avant l’heure limite.
Cinquième défaite en autant de candidatures
Depuis 2002, toutes les élections présidentielles au Kenya ont été contestées, donnant parfois lieu à des affrontements sanglants. Âgé de 77 ans, Raila Odinga, qui a été battu lors de ses quatre précédentes candidatures à la présidence, est familier de ces recours en justice, qu’il a déposés en 2013 puis 2017. En 2017, la Cour suprême avait invalidé la présidentielle en raison d’«irrégularités» et ordonné la tenue d’une nouvelle élection, une première en Afrique.
En 2007, Odinga avait également, sans aller devant la justice, refusé le résultat, ce qui avait déclenché la pire crise postélectorale de l’histoire du pays, avec plus de 1 100 morts dans des affrontements interethniques.
En matière de résistance, le leader de l’opposition autant adulé que détesté sait de quoi il parle. Jaramogi Oginga Odinga, son père, éphémère premier vice-président du Kenya, fut surtout le grand perdant de la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d’État Jomo Kenyatta, le père de son éternel rival Uhuru. Et tout comme lui, Raila Odinga a fait preuve dès le début de son engagement en politique dans les années 1980, d’une ténacité qui ne l’a depuis jamais quitté : il a payé son opposition au régime de parti unique en vigueur au Kenya jusqu’en 1992 par près de huit ans de détention sans procès, dans les années 1980 et jusqu’en 1991. Pour ce scrutin, il était soutenu par le président sortant Uhuru Kenyatta et son parti, sous la bannière de la coalition Azimio La Umoja («En quête d’unité»).
Un scrutin serré
Odinga avait annoncé son intention de contester les résultats annoncés par la commission électorale (IEBC), qu’il avait qualifiés de « parodie ». Selon ces résultats, il est devancé par le vice-président William Ruto d’environ 233 000 voix (50,49 % contre 48,85 %). Des dizaines de cartons de documents ont été acheminés par camion à la Cour suprême de Nairobi, puis déchargés devant l’objectif des caméras et sous les acclamations de partisans d’Odinga. «Nous avons suffisamment de preuves [montrant] que nous avons gagné l’élection», a déclaré un peu plus tard Raila Odinga depuis son quartier général.
Ce vétéran de la politique kényane a affirmé que ce recours s’inscrivait dans son combat historique pour la démocratie contre les «cartels de la corruption» qui lui ont volé la victoire – sans donner plus de détails. «L’élection présidentielle de 2022 représente la tentative la plus téméraire par ce cartel pour renverser la volonté de l’électorat. Nous refusons de laisser le Kenya aller dans cette direction. Cela ne doit pas arriver et n’arrivera pas », a-t-il lancé.
Les plus grands juristes du pays sous pression
La plus haute instance judiciaire du Kenya dispose de 14 jours pour rendre sa décision et, en cas d’annulation du scrutin, une nouvelle élection doit se tenir dans les 60 jours.
Le 15 août, la proclamation des résultats par le président de l’IEBC avait donné lieu à une scission au sein de cet organe indépendant chargé de l’organisation du scrutin. Quatre des sept commissaires avaient annoncé rejeter les résultats quelques minutes avant leur annonce, reprochant au président de l’IEBC, Wafula Chebukati, sa gestion «opaque» et son absence de concertation. M. Chebukati avait rejeté ces accusations, affirmant avoir exercé ses prérogatives conformément à la loi du pays, malgré «l’intimidation et le harcèlement».
Selon la requête consultée par l’AFP, le camp Odinga affirme notamment qu’aucun candidat n’a passé le seuil constitutionnel des 50 % des voix et que l’élection a été entachée de manière «substantielle et significative» par des irrégularités. Neuf recours au total ont été déposés. Outre celui de M. Odinga, les autres ont été déposés par des ONG et des particuliers.
Globalement, les élections du 9 août se sont déroulées dans le calme, mais l’annonce des résultats avait déclenché de brèves manifestations de colère dans certains bastions d’Odinga, à Kisumu (Ouest) et dans la capitale. Les observateurs redoutent qu’un différend juridique prolongé ne plonge le pays dans des troubles postélectoraux qu’il a pu connaître dans le passé. Après la proclamation des résultats, Odinga a félicité ses partisans pour «être restés calmes» tandis que Ruto a adopté un ton conciliant et promis de «travailler avec tous les dirigeants». Si la Cour suprême confirme les résultats, William Ruto deviendra, à 55 ans, le cinquième président du Kenya depuis l’indépendance du pays en 1963. Un résultat qui sonnerait comme un cinglant revers pour Raila Odinga, et marquerait certainement la fin d’une longue carrière politique entamée, il y a plus de trois décennies.
Econews avec Le Point Afrique