La vérité est têtue, dit-on. Pas évident de la dénaturer lorsque la machination ne fait l’ombre d’aucun doute. Dans le procès Matata, rouvert à la Cour de cassation, les juges de cassation ont préféré botter en touche, acculés dans les cordes par les exceptions soulevées par la défense de l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, et de ses deux co-accusés, à savoir Patrice Kitebi et le Sud-africain Christo Grobler. Le vendredi 22 juillet 2022, la Cour de cassation n’a donc pas tranché. En lieu et place, elle a préféré plutôt requérir les avis de la Cour constitutionnelle sur l’article 162 de la Constitution. Une patate chaude que les juges constitutionnels, coincés à leur tour par l’arrêt rendu le 15 novembre 2021 dans la même affaire, par laquelle elle s’était déclarée « incompétente » de juger Matata dans l’affaire Bukanga-Lonzo. Un juriste s’est penché sur la question. Analyse.
Analyse juridique du prononcé de la Cour de cassation dans l’affaire Matata
Le développement d’une nation ne se mesure pas uniquement aux diverses ressources naturelles et aux potentialités dont le pays peut disposer. Il est également tributaire de la capacité de mobilisation des énergies capables de créer un espace d’exercice et de protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens. Ce rôle est, dans un Etat moderne, assuré par un pouvoir judiciaire indépendant. Ce qui explique la responsabilité de la Cour de Cassation dans sa prestigieuse posture de la plus grande juridiction de l’ordre judiciaire. Elle est donc tenue à promouvoir une justice équitable et conforme aux règles de droit positif congolais.
Malheureusement dans l’affaire-Matata, les juges de la Cour de Cassation n’ont pas saisi la plus belle opportunité pour redorer le blason terni de la justice congolaise. Une justice réputée au service des dirigeants politiques, emportée au gré des vagues de ceux qui tiennent la commande du pouvoir de l’Etat, bref une justice politisée et politisable.
« La Cour de cassation à la recherche de la compétence …».
Dans l’affaire Matata, les juges de la Cour de cassation viennent de cogner l’iceberg de la justice constitutionnelle dont le naufrage devient de plus en plus certain. Et dans cette triste réalité se dégagent les enseignements ci-après :
1. Quant aux moyens de droit et exceptions évoqués par la partie Matata sur l’incompétence de la Cour et l’irrecevabilité de l’action publique
La défense des avocats de Matata a couvert tous les contours juridiques nécessaires afin de justifier l’incompétence matérielle, personnelle et juridictionnelle de la Cour de cassation.
Incompétence matérielle. Au regard de la compétence matérielle, la Cour de Cassation (Juge légal des sénateurs) ne peut juger un Sénateur pour des infractions commises en qualité de Premier ministre (Analyse de l’article 153 de la Constitution).
Incompétence personnelle. Sur pied de l’article 19 de la Constitution qui dispose : Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Et l’article 153 alinéa 3 de la Constitution dispose : Dans les conditions fixées par la Constitution et les lois de la République, la Cour de Cassation connait en premier et dernier ressort des infractions commises par : Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat ; les membres du Gouvernement autres que le Premier ministre, etc.
La Cour de cassation n’est pas le juge d’un ancien Premier ministre.
Incompétence juridictionnelle. Eu égard à la loi organique sur l’organisation, le fonctionnement et les compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, aucune juridiction n’a le pouvoir légal de juger un ancien Premier ministre, y compris la Cour de cassation. Cette exigence découle du principe « à tout justiciable son juge ».
Et même dans l’hypothèse où la Cour de cassation veut à tout prix jugé Matata Ponyo comme sénateur et non comme Premier ministre, il est d’une exigence constitutionnelle que l’on ne peut pas poursuivre un Sénateur sans une demande préalable de la levée de ses immunités parlementaires et sa mise en exécution (Article 107 de la Constitution). D’où la question, par quelle magie juridique le sénateur Matata Ponyo s’est retrouvé devant la Cour de cassation ? Alors que le Parquet prés la Cour de cassation n’a jamais formulé une demande de levée des immunités. C’est de l’acharnement politique et judiciaire.
Encore une autre question de savoir, quelle est la nature juridique de la lettre de la ministre de la Justice au Procureur général près la Cour de cassation dans l’affaire Matata ? Et même la lettre de la Cour cau Président de la République lui notifiant le caractère clos sur le dossier Matata ?
N’est-ce pas un veto politique sur le pouvoir judiciaire ? N’est-ce pas une entrave aux principes de l’indépendance du pouvoir judiciaire ?
Sans la moindre intention ni souci de rencontrer les moyens de droit et exception soulevés par les parties Matata, les juges de la Cour de cassation ont choisi dans leur prononcé du 21 juillet 2022, d’aller à la recherche de la compétence auprès d’une juridiction qui a déjà déclaré son incompétence sur le même dossier. Plus grave, les juges de la Cour de cassation justifient cette démarche en s’appuyant sur l’exception d’inconstitutionnalité telle que prévue dans l’article 162 de la Constitution mais dont l’objet de la démarche consiste à solliciter l’interprétation de l’article 164 de la Constitution par la Cour constitutionnelle.
2. Confusion de la Cour de Cassation
Les juges de la Cour Constitutionnelle confondent la notion de recourt en interprétation de la constitution et la notion de l’exception d’inconstitutionnalité. D’où la méconnaissance de la notion du contrôle de constitutionnalité à priori et à postériori.
L’exception d’inconstitutionnalité. C’est un concept de droit constitutionnel selon lequel tout justiciable ou juge peut évoquer, contre une loi que la justice voudrait lui appliquer, le fait que cette dernière est contraire à la Constitution.
D’où la question de savoir : Quelle est cette disposition légale contraire à la Constitution qui a poussé la Cour de cassation a soulevé l’exception d’inconstitutionnalité afin de sursoir à statuer ?
L’article 162 de la Constitution est claire : « La Cour constitutionnelle est juge de l’exception d’inconstitutionnalité soulevé devant ou par une juridiction ».
« Devant » veut dire par les parties qui soulèvent cette exception dans un procès. « Par » veut tout simplement dire par la juridiction elle-même.
D’ailleurs, aucune partie au procès Matata n’a soulevé cette exception.
Or, s’il faut rester dans la logique de la Cour de cassation, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée au moyen de deux citations qui se trouvent dans l’article 164 de la Constitution veut tout simplement dire que, la Cour de cassation qualifie une disposition constitutionnelle (article 164) d’inconstitutionnelle. Or la Constitution ne peut pas être inconstitutionnelle. C’est comme aller auprès de Dieu pour lui faire part d’un verset biblique qui soit contraire à Dieu.
Recours en interprétation de la Constitution
Le fait pour la Cour de Cassation de vouloir une compréhension claire auprès de la Cour constitutionnelle sur les expressions « dans l’exercice » et « à l’occasion de l’exercice » veut tout simplement dire que la Cour de cassation cherche l’interprétation de l’article 164 de la Constitution qui dispose : « La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour les infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droits commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ».
En matière de recours en interprétation de la Constitution, l’article 161 al.1 de la même Constitution détermine les personnes qui peuvent solliciter auprès de la Cour constitutionnelle l’interprétation d’une disposition constitutionnelle.
L’article 161 al.1 dispose : « La Cour constitutionnelle connaît des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée Nationale, d’un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des gouverneurs des provinces et des présidents des assemblées provinciales ».
Nulle part on cite la Cour de cassation comme l’un des organes à initier ce type de recours. Le faire, surtout au niveau de Cour de cassation est un déni de justice et fera de la Cour de cassation un usurpateur de qualité, alors qu’en droit la compétence est d’attribution.
Même dans l’absurdité la plus absolue, la Cour constitutionnelle n’a qu’à déclarer non recevable la demande de la Cour de cassation et cette dernière à son tour ne fera que déclarer son incompétence. C’est en cela que le droit sera dit.
M.I. (Juriste)