Après un an d’état de siège, le niveau de violence a augmenté au Nord-Kivu et en Ituri. Selon les chiffres du baromètre de sécurité du Kivu (KST), il y a deux fois plus de morts depuis l’instauration de cette mesure dans l’Est de la RDC. Pour le chercheur associé à l’IFRI, Thierry Vircoulon, l’état de siège n’est qu’un recyclage de mesures strictement militaires, qui ont toutes échouées depuis 30 ans. Et en l’absence de résultats, «l’échec de l’état de siège devient un véritable problème politique pour Félix Tshisekedi».
Chaque semaine, les massacres se poursuivent au Nord-Kivu et en Ituri alors que ces deux provinces sont placées en état de siège depuis mai 2021. Comment expliquer cet échec ?
C’est un échec qui était prévisible. L’état de siège consistait à transférer le pouvoir des civils aux militaires alors que l’on sait très bien que l’armée congolaise fait partie du problème. Ensuite, on sait qu’il n’y a pas de solution strictement militaire au problème de la conflictualité dans l’Est de la RDC. Les différents gouvernements congolais, et pas uniquement celui de Félix Tshisekedi, ont toujours mis en avant une réponse militaire à l’insécurité au Congo alors que la question est beaucoup plus complexe que cela. C’est un mirage qui est entretenu depuis longtemps pour tous les gouvernants congolais.
La stratégie du tout-militaire n’est pas suffisante pour éradiquer les groupes armés de l’Est du pays ?
Les campagnes militaires dans les Kivu ont toutes échoué et démontrent que la réponse militaire n’est pas la bonne. On pense aux opérations conjointes «Umoja Wetu», «Amani leo» ou «Sukula I et II». Toutes ces opérations militaires qui ont été menées sous Joseph Kabila n’ont produit aucun changement. Nous avons été très étonné de voir que le gouvernement Tshisekedi pensait réussir en recyclant ces solutions uniquement militaires.
Pourquoi les opérations militaires ne fonctionnent pas contre les groupes armés en RDC ?
La conflictualité dans l’Est du Congo est beaucoup plus complexe qu’un simple face à face et un antagonisme entre des groupes armés et l’armée congolaise. Cela fait 30 ans que ça dure et toutes les analyses le montrent.
Alors que les résultats de l’état de siège se faisaient attendre, le président Tshisekedi a autorisé l’armée ougandaise à intervenir sur le sol congolais pour traquer les groupes armés, et notamment les ADF. Quel bilan peut-on en tirer ?
Le résultat, c’est que les ADF ont été simplement repoussés plus loin, même si leurs bastions ont été détruits. Ils se sont juste enfoncés un peu plus dans la forêt, notamment dans le Sud de l’Ituri. Il n’y a aucune victoire sur les ADF, qui sont toujours bien présents et qui restent un groupe armé très meurtrier. Mais là aussi, cet échec était prévisible puisqu’il s’agit d’un recyclage de ce qui avait été fait du temps de Joseph Kabila. Ce n’est pas la première fois que les Congolais autorisent leurs voisins à mener des opérations militaires contre les groupes armés. Cela avait le cas contre les ADF en 2015, mais aussi contre les FDLR, lorsque le gouvernement de Joseph Kabila avait autorisé le Rwanda à intervenir. Le recours aux pays voisins pour éradiquer les groupes armés n’est pas nouveau, et a déjà montré que c’était un échec.
A Nairobi, les pays de la région ont souhaité que Kinshasa puisse dialoguer avec les groupes armés. Faut-il négocier avec ces groupes ?
Là encore, je renvoie au passé. Cela a déjà été fait. Ce qui est fascinant, c’est que la politique qui est menée actuellement n’est qu’un recyclage de celle qui a déjà été menée. La conférence de paix de Goma en 2008 était déjà une grande palabre avec les groupes armés et avait abouti à des accords de paix. Des accords qui n’ont, bien sûr, jamais été respectés. Je serais très surpris si un accord était signé à Nairobi… et qu’il soit respecté ! Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas négocier, mais on voit bien que l’insécurité à l’Est est un problème de gouvernance au Congo, mais aussi chez ses voisins. Ce n’est pas en utilisant simplement la carotte et le bâton que l’on va mettre fin à cette conflictualité. Il y a des réformes de gouvernance importantes à faire, et qui n’ont jamais été faites, parce que ce n’est pas l’intérêt des gouvernants. Il faut être clair. On ne mettra pas fin à l’insécurité dans l’Est du Congo sans réforme de l’armée congolaise.
Pour quelles raisons cette réforme des FARDC n’a jamais été faite ?
Tout simplement parce que les gouvernements ont peur des réactions du haut commandement militaire.
Qu’entend-on par réforme de l’armée et réforme de la gouvernance ?
Dernièrement, des organisations de la société civile congolaises disaient qu’il y avait des liaisons dangereuses et troubles entre les élus des Kivu et les groupes armés. De même, il y a des liaisons troubles et dangereuses entre les militaires congolais et les groupes armés. Et pour être complet, il faudrait rajouter les hommes d’affaires. C’est cet ensemble, ce nexus, qu’il faut déconstruire.
Peut-on avoir une stratégie commune avec des groupes armés aussi différents que les ADF, le M23 ou la Codeco ?
Il y a en effet plusieurs catégories de groupes armés. Ils sont à peu près 120 dans l’Est de la RDC actuellement. Il y a ceux qui sont d’origine étrangère, et ceux qui sont purement congolais, et qui restent les plus nombreux. Les groupes d’origine étrangère sont ceux qui focalisent le plus d’attention et qui permettent aux groupes congolais d’avoir une justification et une raison d’être. Il y a aujourd’hui une focalisation militaire sur les ADF. Avant c’était sur les FDLR. Ces groupes sont toujours là, incrustés dans le paysage congolais. Et on peut remarquer que les discussions de Nairobi n’ont pas inclus le M23 et les ADF, qui sont des problématiques différentes.
A Nairobi, les pays de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dont la RDC vient de devenir membre, évoquent la possible création d’une force militaire régionale pour combattre les groupes armés. Est-ce que cela peut changer la donne à l’Est ?
Encore une fois, c’est le recyclage d’une idée qui a déjà été mise en œuvre, et qui s’appelait la FIB, la Brigade d’intervention rapide. Cette force avait été montée contre le M23 par la Tanzanie, le Malawi et l’Afrique du Sud. A cette époque, on allait chercher des pays de la SADC pour composer cette force régionale qui a mené à la défaite du M23. Maintenant, on se tourne vers les pays d’Afrique de l’Est. En 2013, la cible de la FIB était de combattre le M23. Nous verrons quels seront les pays qui composeront cette force régionale et quels groupes armés seront leurs objectifs ?
Vous voulez dire qu’en fonction des pays contri-buteurs de cette future force régionale, les objectifs seront différents ?
Je pense que tous les groupes armés ne seront pas l’objectif de cette brigade. Il faut se souvenir qu’en 2008, au moment des accords de paix de Goma, il y avait une quarantaine de groupes armés dans les Kivu. Aujourd’hui, il y en a plus de 120. La situation ne s’est pas améliorée, elle s’est gravement détériorée.
Un rapport de la commission de défense de l’Assemblée nationale a dénoncé le manque de planification et de préparation de l’état de siège. Cette mesure d’exception n’est-elle pas qu’un simple outil politique et de communication pour Félix Tshisekedi ?
C’est une réponse politico-militaire au moment où la décision a été prise, mais maintenant cela devient un véritable problème politique pour Félix Tshisekedi. Il y a une forte pression des élus d’Ituri et du Nord-Kivu, qui se font l’écho du mécontentement populaire, pour demander la levée de l’état de siège. Ces mêmes élus ont même boycotté des séances de l’Assemblée nationale pour que le président change de position. Félix Tshisekedi se retrouve maintenant sous forte pression politique pour mettre fin à cet état de siège, ou l’allégé. Cette mesure s’est retournée contre lui.
Faut-il sortir de l’état de siège comme le demandent les élus de l’Est ?
L’état de siège ne sert à rien. Surtout lorsque l’on voit le dernier rapport d’Amnesty International qui explique que les personnes qui contestent l’état de siège sont arrêtées et violentées.
Propos recueillis par Christophe Rigaud (Afrikarabia)