C’est dans son fief naturel du Grand Kasaï que le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, a consacré tous ses efforts, avant de s’étendre sur l’ensemble du territoire national. Au Kasaï, le Président de la République avait posé des gestes forts pour s’assurer d’un électoral acquis totalement à sa cause en décembre 2023. La bonne foi, il en avait certainement, déléguant à son précarré la supervision des travaux sur le terrain. En s’entourant de ses frères, Félix Tshisekedi croyait bien faire. Au bout du compte, ce sont les mêmes qui l’ont trahi, mettant à mal son bilan dans l’espace Kasaï. Le Chef de l’Etat n’a que quelques mois pour rattraper le grand retard. C’est le bilan de son premier quinquennat qui est en jeu, avant d’aller à l’assaut d’un second mandat, mis en péril par les ratés du Grand Kasaï.
Il croyait passer une fin d’année apaisée «en famille» en se rendant à Mbuji-Mayi, au Kasaï Oriental. En Chef d’Etat, Félix Tshisekedi se devait, dans la foulée, de visiter les nombreux chantiers des infrastructures de développement initiés dès 2019. Le projet «Tshilejelu», englobant la réhabilitation des routes, des écoles et universités, l’adduction en eau potable ou encore la desserte en énergie électrique, bat de l’aile.
Pour preuve, dès la fin du séjour présidentiel, les réseaux sociaux se sont enflammés, mettant en lumière des détournements massifs de fonds attribués souvent aux conseillers à la présidence de la République, tous originaires du Kasaï. Des chantiers à l’arrêt ou cheminant à pas de tortue aux polémiques sur le montant des financements de la rénovation de l’Université de Mbuji-Mayi, c’en était trop. Dépité, Félix Tshisekedi ne pouvait pas rester sourd aux cris de ses compatriotes plongés dans une misère sans nom. La résiliation du contrait de l’entreprise chinoise CREC-7 vient conforter la thèse d’attribution anarchique des marchés publics et d’une corruption à grande échelle.
En 2019, l’Inspection générale des finances (IGF) avait déjà prédit le fiasco, qualifiant le projet d’une escroquerie planifiée, mettant en exergue l’incapacité technique de CREC-7 maquée par une lenteur dans l’exécution des chantiers d’infrastructures. La route Mbuji-Mayi – Kananga, celle de Kalamba-Mbuji ou encore les artères urbaines des chefs-lieux du Kasaï Central et du Kasaï Oriental, l’avancement des travaux n’est pas à la hauteur des fonds investis.
Les originaires du Kasaï, dont une multitude d’influe-nceurs et influenceuses, ont pris d’assaut les réseaux sociaux, mettant en cause des conseillers du chef de l’Etat sont montés au créneau, accusant ces derniers d’importants détournements de fonds au détriment du développement d’une région dont la pauvreté est loin de rimer avec le terroir originel du président de la République. Une misère qui pousse des milliers de familles à partir vers les provinces voisines du Katanga et vers Kinshasa.
Mauvais présage
La résiliation du contrat d’infrastructures avec le chinois CREC-7 est emblématique de la négligence au niveau national des procédures officielles d’attribution des marchés. L’’entreprise chinoise en question, une émanation du programme des «Cinq chantiers » lancé sous le régime du président Joseph Kabila à la veille des élections de 2006, est disséminée à travers le pays sans qu’on sache que les autorités locales ne soient informées du programme d’exécution des travaux.
Depuis 2019, toutes les belles promesses faites au peuple du Grand Kasaï ont fait flop. Pourtant, à trois reprises, Félix Tshisekedi a fait le déplacement de l’espace Kasaï pour rassurer ses frères. Malheureusement, tous ses voyages ont été sanctionnés par un constat d’échec. Des travaux lancés en grande pompe évoluent à pas de tortue. Le Chef de l’Etat est déçu. Il ne l’a pas caché à ceux à qui il a fait confiance.
Pour le moment, il s’agit de donner un contenu à son mandat en lancent un message fort au peuple du Kasaï. C’est non seulement un mandat qui est en jeu, mais surtout la marge d’adhésion du Grand Kasaï à un second quinquennat qui est sur la balance. Et pour ce faire, Félix Tshisekedi a, à peine, moins d’une année pour se racheter. Le Kasaï l’attend au tournant pour lui demander des comptes.
Présidentielle du 20 décembre 2023 : les politiques en quête d’alliances
Tshisekedi, Fayulu, Katumbi, Matata Ponyo… les candidats annoncés à la prochaine présidentielle recherchent leurs futurs alliés, alors que l’incertitude plane toujours sur le positionnement de Joseph Kabila, Vital Kamerhe, Adolphe Muzito et Denis Mukwege.
Sur le papier, l’année 2023 sera électorale. Des élections générales ont été annoncées pour le 20 décembre prochain avec un scrutin groupé : présidentielle, législatives, provinciales et municipales le même jour. Pourtant, dans la pratique, le spectre d’un possible report des élections est toujours d’actualité. Le calendrier est ultra serré et quasi-intenable pour bons nombre d’observateurs, mais surtout la guerre à l’Est du pays pourrait priver une grande partie des Congolais d’élection et provoquer son report. L’incertitude sur la bonne tenue du scrutin dans les délais n’empêche pas la classe politique congolaise de s’agiter tous azimuts… à la recherche d’alliances et de soutiens.
Dans une présidentielle à un seul tour, où le président Félix Tshisekedi, candidat à sa réélection, fait office de super favori, l’opposition tente de s’unir. Comme en 2018, l’idée d’un candidat unique de l’opposition pour battre le candidat du pouvoir refait surface. Une expérience malheureuse puisque Félix Tshisekedi, après s’être rangé derrière Martin Fayulu, à l’instar de Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, a décidé de faire bande à part dans un ticket avec Vital Kamerhe.
Tshisekedi garde trois ministres katumbistes
Si le rêve d’un candidat unique de l’opposition paraît difficilement réalisable en 2023, les accords, coalition et alliances sont indispensables pour peser sur le scrutin. En ce début d’année, chacun commence à compter ses alliés, à commencer par Félix Tshisekedi lui-même. L’annonce de la candidature de Moïse Katumbi (Ensemble pour la République) à la présidentielle et son départ de l’Union sacrée a permis de décanter la situation au sein du gouvernement. Trois ministres du parti katumbiste, Christian Mwando (ministre du Plan), Chérubin Okende (ministre des Transports) et la vice-ministre de la santé, Véronique Kilumba, ont décidé de quitter leurs fonctions pour rejoindre l’homme d’affaires.
Un prochain remaniement devrait permettre de faire entrer au gouvernement des personnalités susceptibles de battre campagne pour le président sortant. Félix Tshisekedi garde trois autres ministres issus du parti katumbiste : Christophe Lutundula (ministre des Affaires étrangères), Muhindo Nzangi (ministre de l’Enseignement supérieur) et Modeste Mutinga (ministre des Affaires sociales). Le Chef de l’Etat devrait aussi pouvoir compter sur une trentaine de députés d’Ensemble qui ont décidé de tourner le dos au patron du TP Mazembe. Le Chef de l’Etat a donc réussi à siphonner une partie des cadres du parti katumbiste.
Une grande coalition présidentielle
Pour justifier une victoire annoncée malgré un maigre bilan, tant sur le niveau de vie des Congolais que sur l’insécurité, Félix Tshisekedi souhaite aller aux élections avec la plus large coalition possible à ses côtés. En plus des prises de guerre dans le camp de Moïse Katumbi, le Chef de l’Etat bénéficie du soutien du président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, et de celui du Sénat, Modeste Bahati, qui ont tous deux réaffirmé récemment soutenir le candidat Tshisekedi.
Deux poids lourds de la politique congolaise sont également chouchoutés par le camp présidentiel. Il y a tout d’abord le patron du MLC, Jean-Pierre Bemba, qui possède aujourd’hui peu de marges de manœuvre politiques et cherche surtout à se refaire une santé financière. De nombreux litiges, bancaires notamment, sont en cours. Lors d’une tournée dans sa province de l’Equateur, où le MLC pèse encore électoralement très lourd, le chairman a clairement demandé à la population de «donner un second mandat à Félix Tshisekedi ».
Le cas Kamerhe
Le second soutien de poids pour le président sortant, est son ex-allié de la campagne présidentielle de 2018, Vital Kamerhe. Officiellement, le patron de l’UNC est toujours dans l’Union sacrée et s’affiche comme un soutien de Félix Tshisekedi, mais les lignes pourraient bouger à l’approche du scrutin. Il y a en effet plusieurs contentieux entre les deux hommes. Vital Kamerhe n’a pas été nommé Premier ministre à l’issue de l’élection présidentielle, comme le précisait l’accord passé avec Tshisekedi.
Il a certes été nommé directeur de cabinet de la Présidence, mais il s’est fait rattraper par la justice et condamner à 13 ans de prison dans l’affaire de détournement de fonds du «programme des 100 jours».
Après deux ans de prison, Kamerhe est finalement sorti innocenté, mais avec une certaine rancœur pour le chef de l’Etat. Très discret depuis son blanchiment par la justice, le patron de l’UNC avait pensé se remettre en selle en proposant son propre plan de paix pour l’Est du Congo. Mais là encore, c’est la déception, le «plan Kamerhe» est resté dans les tiroirs. Toujours puissant électoralement au Sud-Kivu, Vital Kamerhe reste tout de même un atout important pour le candidat Tshisekedi. Mais si Kamerhe ne trouve pas sa place dans le dispositif présidentiel (directeur de campagne ?), il pourrait rejoindre un autre bloc politique, et notamment celui d’Augustin Matata Ponyo, un ex-kabiliste comme lui.
Fayulu, populaire et radical
Les deux principaux opposants déclarés à Félix Tshisekedi sont pour l’instant Martin Fayulu et Moïse Katumbi. Le premier a réussi à capitaliser sur sa popularité acquise pendant la campagne de 2018, soutenu par Katumbi, Bemba et Muzito. Il fait désormais cavalier seul et devra battre campagne sans les moyens financiers de ses parrains de la dernière présidentielle. Et sans Muzito, qui semble vouloir également se présenter en solo à la magistrature suprême. Contrairement à Bemba et Katumbi, Fayulu a toujours refusé d’entrer dans l’Union sacrée et encore moins de soutenir Tshisekedi qu’il accuse toujours d’avoir volé son élection.
Constant dans son opposition frontale et radicale au camp présidentiel, le président de l’Ecidé a toujours dénoncé l’ingérence rwandaise au Congo. Une position aujourd’hui très soutenue par la population depuis le retour du M23 et le dernier rapport de l’ONU qui accuse Kigali de soutenir les rebelles. Le manque de moyens financiers et la multiplication des candidatures d’opposition sont ses principaux handicaps.
Katumbi et la carte Kabila
Moïse Katumbi a clarifié sa position politique très récemment, en se déclarant candidat et en quittant l’Union sacrée présidentielle. Dès l’élection contestée de Félix Tshisekedi en 2018, Moïse Katumbi avait toujours maintenu une certaine ambiguïté envers le nouveau président. Il y a d’abord eu la période «d’opposition républicaine» lorsque le chef de l’Etat était encore en alliance avec Kabila. Puis, il y a eu son entrée dans l’Union sacrée et au gouvernement… avant la rupture. Moïse Katumbi a toujours été prudent avec l’actuel pouvoir. Il sait qu’une épée de Damoclès pèse sur lui, qui pourrait le rendre inéligible : le projet de loi Tshiani. Dans ce texte, jamais voté pur l’instant, il faut être congolais « de père et mère » pour prétendre à la magistrature suprême, ce qui n’est pas le cas de l’homme d’affaires.
Depuis l’annonce de sa candidature, les rumeurs reprennent sur sa prétendue double-nationalité. Pour jouer les premiers rôles dans le scrutin, Moïse Katumbi a décidé de jouer une carte inattendue : celle de Joseph Kabila. Dans son fief katangais, les rivalités politiques se sont exacerbées depuis le découpage du Grand Katanga en 4 provinces. La poignée de main entre les deux hommes en mai 2022 a fait jaser. Réelle réconciliation, ou réconciliation de façade ? Katumbi reste un « traître » pour Joseph Kabila, depuis son départ du clan PPRD en 2015, et sa volonté de se présenter à la présidentielle pour succéder au Raïs. Pourtant, du côté de Lubumbashi on rêve d’un soutien, même tacite, du clan Kabila à Katumbi, qui pourrait également être incarné par un rapprochement avec l’ancien Premier ministre Matata Ponyo.
Kabila veut faire barrage à Tshisekedi
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ancien président Kabila est sans doute la personnalité la plus courtisée dans les jeux d’alliances qui sont en train de se nouer. Théoriquement, le sénateur à vie Joseph Kabila n’est plus en mesure de se représenter à la présidentielle, mais le flou est savamment entretenu par ses proches sur son avenir politique. Après l’échec de son poulain Emmanuel Ramazani Shadary en 2018, il n’y a plus de dauphin naturel au sein du PPRD et de sa plateforme, le FCC. Si on parle beaucoup de sa femme, Olive Lembe, comme d’un possible plan B pour le camp Kabila, cette alternative semble un peu prématurée pour 2023 (2028 peut-être ?).
Autour du Raïs, on privilégie une stratégie qui consisterait à faire battre coûte que coûte Félix Tshisekedi. «On veut un deuxième sénateur à vie et éviter un second mandat de Tshisekedi» confient des élus kabilistes. Le PPRD pourrait alors se tourner vers Matata Ponyo qui a gardé de bon contact avec Joseph Kabila, mais aussi avec bons nombre de caciques du parti. Pour peser sur le scrutin, sans présenter de candidat, le PPRD pourrait opter pour un «boycott» des élections et soutenir en «sous-marin» un candidat capable de battre Tshisekedi.
Matata, un candidat sous surveillance judiciaire
L’ancien Premier ministre Matata Ponyo se retrouve donc lui aussi au cœur de toutes les attentions. Sa bonne implantation dans le Maniema et la création de l’université qui porte son nom à Kindu en fait un personnage influent dans cette province enclavée. Son profil d’économiste «techno» avait été remarqué à l’international lors de son passage à la Primature. Seulement voilà, son implication dans les détournements de fonds du projet de la ferme agricole de Bukanga-Lonzo, constitue toujours un handicap très sérieux à la crédibilité de sa candidature. De plus, Matata Ponyo se trouve dans une situation judiciaire ubuesque. Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle s’était déclarée incompétente pour juger l’ex-Premier ministre dans le fiasco Bukanga-Lonzo. Mais après un changement de juge au sein de la Cour, celle-ci a opéré un revirement à 180° pour finalement se déclarer compétente pour juger Matata Ponyo. «Une instrumentalisation de la justice» selon l’ex-Premier ministre.
Le nouveau trio Fayulu-Matata-Mukwege
Preuve de l’intérêt que porte les futurs candidats à Matata Ponyo et aux possibles électeurs kabilistes, la tribune publiée par Martin Fayulu et le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege avec l’ex-Premier ministre. Dans un texte commun, ils dénoncent le chaos à l’Est, le risque de «balkanisation» du Congo et s’inquiètent du «caractère non-inclusif du processus électoral». Martin Fayulu, Denis Mukwege et Augustin Matata Ponyo demandent également «la fin des poursuites judiciaires contre certains acteurs politiques».
La tribune indique nommément le cas de Matata Ponyo, dont le dernier retournement de situation de la Cour constitutionnelle vise à «l’éliminer du processus électoral ». La défense du cas Matata Ponyo a beaucoup étonné, surtout venant de la part de Martin Fayulu et Denis Mukwege, chantres de la lutte contre l’impunité. Devant les vives réactions provoquées par le texte, notamment sur les réseaux sociaux, le célèbre gynécologue a expliqué ne pas défendre l’impunité, mais l’instru-mentalisation de la justice à des fins politiques. Dont acte.
Avec Afrikarabia