Le lundi 4 octobre 2021, c’était la rentrée des classes dans la ville de Kinshasa et partout ailleurs en République Démocratique du Congo. Il y a eu rentré scolaire certes, mais tous les élèves n’ont pas bénéficié de mêmes privilèges. Dans les écoles du secteur public, l’ambiance habituelle de la rentrée des classes n’a pas été au rendez-vous. C’est souvent le cas en pareilles circonstances, les enseignants du secteur public ont plutôt opté pour le boycott. Pour cette rentrée des classes, les enseignants du secteur public ont eu droit à 40.000 Fc, soit 20 Usd, de plus sur leurs salaires. Un motif de révolte qui a justifié le climat délétère de ce lundi. Mais, au Parlement, les députés nationaux qui émargent, comme les enseignants du secteur public, du même budget de l’Etat, ont eu droit à une rentrée dorée, avec en prime une Jeep Hyundai «Palisade», toute neuve. La gloire aux uns, la galère aux autres. Dure réalité d’une République à deux vitesses où la juste redistribution du revenu national n’a jamais été à l’ordre du jour. C’est parti pour une année scolaire à l’issue incertaine.
Le monde a célébré, le 5 octobre, la «Journée mondiale des enseignants» pour honorer le grand travail qu’accomplissent ces professionnels de la craie.
Célébrée depuis 1994, la Journée mondiale des enseignant (e) s a lieu chaque année pour célébrer les enseignants à travers le monde. Elle commémore la signature de la recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de 1966 qui fixe les critères de référence relatifs aux droits et aux responsabilités des enseignant(e)s ainsi que les normes fixant leur formation initiale et continue, leur recrutement, leur emploi et les conditions d’enseignement et d’apprentissage.
Dans un message commun, l’UNESCO, l’OIT, l’UNICEF et l’Internationale de l’éducation ont lancé un appel en ces termes : «La Journée mondiale des enseignants n’est pas seulement pour nous l’occasion de rendre hommage à chaque enseignant. Nous appelons vivement les pays à investir en eux et à leur accorder la priorité dans le cadre des efforts mondiaux de reprise de l’éducation, afin que chaque apprenant puisse se former auprès d’un enseignant qualifié et soutenu. Tenons-nous aux côtés de nos enseignants ! »
A Kinshasa, la Journée mondiale des enseignants a été précédé la veille par la rentrée scolaire. En République Démocratique du Congo, c’est dans la rue que les enseignants, particulièrement ceux du secteur public, se sont souvenus mardi d’une journée qui leur est consacrée à l’échelle planétaire.
4 octobre : une rentrée atypique
Il est 6h à Kinshasa. La ville se réveille dans son ambiance bouillante. Comme à l’accoutumée, tôt le matin, les grandes artères de la ville sont déjà prises d’assaut par ces Kinois qui vivent de la débrouillardise, «l’article 15» qu’a vulgarisé, il y a bien des années, feu Pepe Kalé Yampanya (aujourd’hui décédé). Mais, la journée du 4 octobre a tout de particulier. C’est le jour de la rentrée des classes. Un moment de retrouvailles pour les élèves du cycle primaire, secondaire et technique qui ont passé une année 2020 particulièrement agitée due à la pandémie de Covid-19.
Dans la ville, la présence de ces enfants habillés en bleu et blanc est plutôt timide. Normal pour des parents, démunis, qui ont du mal à s’acquitter des frais inhérents à la rentrée de classe.
Par ce temps de gratuité de l’enseignement de base décrétée dans les écoles publiques, les établissements scolaires du secteur public ont tourné au ralenti en cette journée du 4 octobre.
Au lycée Kabambare où je suis parti accompagner ma fille, c’est la confusion qui a été au rendez-vous ce matin du 4 octobre.
Dans la grande cour de l’école, les parents étaient là, accompagnant leurs filles pour ce premier jour de la rentrée.
Il est 7h30, l’entrée principale du lycée Kabambare grouille du monde. Aucun officiel de l’école ne se point au rendez-vous.
Les enfants, nouveaux et anciens, doivent prendre leur mal en patience avant de connaître leur salle d’affectation. A 8h, une sonnerie retentit. Des listes sont affichées devant différentes salles de classe. Parents et élèves accourent les consulter.
Dans ce cafouillage, un parent trouvé sur place, s’interroge : «Pourquoi on n’a pas affiché ces listes bien avant ? » Il ne trouvera pas de réponse officielle à sa question.
C’est plutôt un autre parent qui tentera de le calmer : «L’école tourne au ralenti. Certainement qu’ils n’ont pas pu le faire avant, avec toutes les frustrations qui entourent cette rentrée de classe. Ça commence mal. Je crains pour cette année scolaire ».
Le plus important est que la rentrée de classe a eu lieu. Mais, le plus dur est à venir.
Pour la journée de lundi, aucun professeur ne s’est présenté devant les élèves. Les enseignants ne cachent pas leur colère face aux promesses non tenues des autorités congolaises.
Encore et toujours, tout le débat tourne autour de la gratuité de l’enseignement de base, cette promesse de campagne que le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, a tenu à concrétiser dès les premières années de son mandat.
Si l’initiative est louable, dans la pratique, il est loin de convaincre. Et le lycée Kabambare, école publique du réseau catholique, ne fait pas exception.
« Gardez vos enfants à la maison »
Dans cette cour intérieure du lycée Kabambare, une conversation, apparemment anodine, avec une sœur religieuse a plutôt éveillé mon attention. Alors que parents et élèves accouraient dans tous les sens, retranché dans un coin, je m’attelais à suivre cette ambiance de la rentrée, me souvenant de ces beaux moments passés de ma jeunesse. C’est alors qu’une sœur religieuse, d’un âge avancé, m’interpelle dans ma méditation. La conversation est vite engagée.
– La sœur : Etes-vous professeur au lycée ?
– Moi : Non, ma sœur. Je suis venu accompagner ma fille qui étudie ici
– La sœur : ah, bon ! Vous pensez vraiment qu’ils vont étudier cette année, avec les 40.000 Fc qu’on a ajoutés sur les salaires des enseignants. C’est méchant, n’est-ce pas ? Est-ce une bonne manière de traiter ceux qui s’occupent de l’éducation de vos enfants ?
– Moi : Je ne sais pas vous répondre, ma sœur. S’il y a des revendications, c’est à l’Etat, leur employeur, que les enseignants doivent orienter leurs revendications. Pour moi, on m’a dit que la rentrée est prévue ce lundi. Je suis venu juste accompagner ma fille. Pour le reste, c’est à l’Etat congolais de régler ce problème
– La sœur : Gardez vos enfants à la maison. Ce n’est pas normal. Je ne vois pas comment ces enseignants vont dispenser les cours. En tout cas, pour moi, je comprends leur situation. Je les soutiens. L’Etat congolais est injuste.
Ce bref échange dit tout. Il résume le climat tendu qui a régné lundi dans différentes écoles publiques de Kinshasa.
Le Lycée Kabambare n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Partout ailleurs – en tout cas dans le réseau public de l’EPST– les enseignants ont joué lundi à l’abonné absent. Ils se disent déçus et ont voulu le faire savoir dans des termes audibles. Pour cause, disent-ils : ce traitement déséquilibré de l’Etat.
Ces Jeeps «Palisade» qui font polémique
En République Démocratique du Congo, tous les employés de l’Etat ne sont pas logés à la même enseigne. Et quand il faut se servir dans le compte général du Trésor, les privilégiés sont connus. Ils se recrutent dans la sphère politique.
En effet, pour cette rentrée scolaire 2021, le Gouvernement a fait un «grand effort» – le terme est du ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique – pour allouer 40.000 FC, soit 20 USD, au salaire de l’enseignant du secteur public.
Voilà une déclaration qui a jeté de l’huile au feu, ravivant la colère des enseignants du secteur public.
Devant nous, un enseignant du secteur public, qui accompagnait curieusement sa fille au lycée Kabambare, n’a pas caché sa colère : « Voilà une belle manière de nous narguer. Que représente 40.000 Fc dont se félicite le ministre de l’EPST. A sa place, j’aurai dû me taire en lieu et place d’en faire une grande publicité. Que représente ces 40.000 Fc face au don de Jeep Palisade de plus de 50.000 USD qu’on vient d’accorder aux députés nationaux.
Que valent finalement ces 40.000 FC face aux gros salaires distribués à la Présidence de la République et au Gouvernement ? De qui se moque-t-on dans ce pays ? Où est le peuple d’abord qu’on nous a promis ? C’est énervant ».
Tout compte fait, en République Démocratique du Congo, le débat autour d’une juste redistribution de la richesse nationale reste encore d’actualité.
Si aux enseignants du secteur public, on exige le patriotisme pour accompagner le système éducatif, aux honorables députés et sénateurs – ces enfants gâtés de la République – on est bien disposé, au-delà des salaires princiers leur alloués, à leur offrir des avantages qui frisent l’insolence. C’est cela aussi les dures réalités d’une République à deux vitesses.
FAUSTIN K.