Au Congo/Kinshasa, qui se veut démocratique, la Justice est rendue à la tête du client, selon qu’on est de l’Union sacrée de la nation, la majorité au pouvoir, ou de la périphérie. Sinon, on ne peut pas comprendre l’imbroglio qui entoure le dossier Matata, pourtant vidé à deux niveaux à la Cour constitutionnelle, notamment dans l’affaire Bukanga-Lonzo et celle de l’indemnisation des anciens propriétaires des biens zaïrianisés. Malgré l’arrêt pour « incompétence », rendu par la Cour constitutionnelle dans l’affaire Bukanga-Lonzo, et le «non-lieu» prononcé auparavant par le Parquet près la Cour constitutionnelle dans l’affaire de l’indemnisation des anciens propriétaires des biens zaïrianisés, le sénateur Matata Ponyo est toujours privé de sa liberté. C’est un «prisonnier politique » cloitré à une prison à ciel ouvert dans la ville de Kinshasa qu’il ne peut nullement quitter, suivant une instruction venue «d’en haut».
Profitant de la rentrée parlementaire et devant les agissements partisans du président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo, le sénateur Matata a décidé de s’adresser directement à ses collègues sénateurs et sénatrices, dans une lettre datée du 15 mars 2022, dont une copie est parvenue à Econews.
Rappelant tout le martyr qu’il continue à vivre dans son propre pays qui se vante de faire la promotion de l’Etat de droit, Matata Ponyo soumet deux questions à ses collègues du Sénat : « Pourquoi les sénatrices et sénateurs restent indifférents à la violation manifeste de la Constitution et des lois de la République ? Pourquoi les sénatrices et sénateurs restent insensibles à une injustice flagrante à l’endroit de l’un d’entre eux ? »
Matata sollicite de ses collègues sénateurs leur implication « pour que cette question soit débattue en plénière au Sénat et que les Congolaises et Congolais sachent pourquoi une décision de la Cour constitutionnelle est rejetée par le président du Sénat et n’est pas appliquée par les autres institutions, notamment les parquets près la Cour constitutionnelle et de cassation et la Direction générale de migration, et ce, en violation de l’alinéa 1 de l’article 168 de la Constitution».
Voici l’intégralité de la lettre de Matata à ses collègues du Sénat.
«Dénonciation d’une injustice flagrante à mon endroit»
Chers collègues sénatrices et sénateurs,
Comme vous l’avez certainement entendu, les services de la DGM m’ont interdit le samedi 19 février dernier à l’aéroport international de N’Djili de me rendre à Lubumbashi pour participer, en tant que responsable de la famille, aux funérailles de ma jeune sœur. A la question posée aux services de la DGM de savoir qui les a instruits de m’empêcher de me déplacer, la réponse a été claire : «l’instruction vient d’en Haut ». Cette interdiction viole «le droit de circuler sans restriction ni entrave à l’intérieur du territoire national et d’en sortir » tel que garanti par l’article 12 du Pacte international sur les droits civiques et politiques, l’article 30 de la Constitution, ainsi que l’article 223 du Règlement intérieur du Sénat.
Pour rappel, j’ai été empoisonné au cours de la période où j’étais auditionné au parquet général près la Cour constitutionnelle au mois de juillet 2021. Alors que les médecins traitants ont recommandé que je me rende d’urgence à l’extérieur pour des soins appropriés, le Procureur général Jean-Paul Mukolo Nkonkesha a catégoriquement refusé en conditionnant mon déplacement par la comparution devant lui sur le dossier Bukanga-Lonzo pour lequel la Plénière du Sénat, par son vote exprimé en date du 15 juin 2021, s’était prononcée contre l’autorisation des poursuites sollicitée par ses réquisitoires successifs des mois d’avril et de mai 2021. J’ai écrit à ce sujet à Son Excellence Monsieur le Président de la République et l’Honorable Président du Sénat, aucune suite ne m’a été réservée. Ce refus de me laisser aller me faire soigner viole « le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, et de recevoir des soins appropriés » tel que garanti par l’article 47 de la Constitution, l’article 226 du Règlement intérieur du Sénat et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Pendant ce temps et curieusement, d’autres personnes impliquées comme moi dans les dossiers Bukanga-Lonzo et biens zaïrianisés voyagent à leur guise, comme s’il y avait des congolais qui avaient des droits supérieurs aux autres. Par ailleurs, le sud-africain Christo Grobler, justiciable dans le dossier Bukanga-Lonzo, qui était bloqué pendant trois mois et demi à Kinshasa, est rentré dans son pays. Comment comprendre que lui, ancien responsable technique et financier du projet, qui a reçu tous les fonds décaissés, puisse être libre de mouvements et que seul le congolais qui n’a reçu aucun dollar soit privé de déplacements, y compris à l’intérieur de son propre pays ?
Pour mémoire, la Cour constitutionnelle a rendu, en date du 15 novembre 2021, un arrêt RP 0001 sur l’affaire Bukanga-Lonzo et s’est déclarée incompétente de juger un ancien premier ministre que je suis. Par la même occasion, la Cour constitutionnelle a indiqué clairement qu’aucune autre juridiction d’ordre judiciaire, y compris la Cour de cassation, ne peut me juger, non seulement sur le dossier Bukanga-Lonzo, mais aussi sur le dossier des biens zaïrianisés de triste mémoire. Ce qui confirme par ailleurs la décision prise en son temps par le Parquet général près cette dernière Cour qui s’était déclaré incompétent d’instruire mon dossier.
Honorables sénatrices et sénateurs,
Comment pouvez-vous imaginer que le même Procureur général près la Cour constitutionnelle, ci-haut cité, qui avait signifié au Sénat, par son réquisitoire n°14229/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021 du 15 mai 2021, que le Parquet près la Cour de cassation lui avait transmis le dossier Bukanga-Lonzo, pour disposition et compétence, puisse aujourd’hui retourner le même dossier auprès de ce même Procureur général près la Cour de cassation ? Pendant ce temps, la Constitution, les lois de la République en la matière, les justiciables et les faits infractionnels sont restés les mêmes. Le Procureur général près la Cour constitutionnelle veut-il forcer son collègue de la Cour de cassation à commettre la faute ? Le Procureur général près la Cour constitutionnelle a-t-il trompé les sénateurs en affirmant l’incompétence du Parquet près la Cour de cassation ?
A supposer que par magie politique, le Procureur général près la Cour de cassation saisisse le Sénat pour demander de nouveau |’autorisation d’instruire ce dossier Bukanga-Lonzo, comment les sénateurs vont-ils réagir? Parce que pour la Cour constitutionnelle toutes les procédures judiciaires initiées contre moi, avec l’appui du Bureau du Sénat, l’ont été en violation flagrante de la Constitution et des lois du pays et qu’à ce titre, tous les dossiers ouverts ont été définitivement clos. Les sénateurs seront-ils contraints de se dédire pour violer la Constitution et les lois de la République, eux qui sont protecteurs par excellence des textes légaux du pays ?
Honorables sénatrices et sénateurs,
J’ai souhaité vous saisir directement parce que, comme vous le savez bien, le Président du Sénat est en complicité avec le Parquet près la Cour constitutionnelle pour obtenir coûte que coûte ma condamnation et mon emprisonnement. Ce qui est inimaginable et inacceptable pour un responsable dont l’une des missions est de veiller aux droits de tous les sénateurs. Pour preuve, notamment, je lui ai envoyé plusieurs lettres auxquelles il n’a jamais répondu. Par contre, je ne reçois de lui que des lettres m’envoyant des réquisitoires de la Justice et de levée des immunités. Par ailleurs, vous savez qu’il a plusieurs fois refusé le débat sur mon dossier en violation flagrante des textes qui régissent le fonctionnement de notre Chambre.
Voilà pourquoi je vous écris pour que cette question soit débattue en plénière au Sénat et que les congolaises et congolais sachent pourquoi une décision de la Cour constitutionnelle est rejetée par le Président du Sénat et n’est pas appliquée par les autres institutions, notamment les Parquets près la Cour constitutionnelle et de cassation et la Direction générale de Migration (DGM), et ce, en violation de l’alinéa 1 de l’article 168 de la Constitution qui stipule que « les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires qu’aux particuliers ». Par ailleurs, l’alinéa 2 du même article indique que :« Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit ». Or, tous les actes posés contre moi jusque-là par le Parquet général près la Cour constitutionnelle, et soutenus fortement par le Bureau du Sénat, sont malheureusement tous non conformes à la Constitution.
Honorables sénatrices et sénateurs,
Cette lettre relaie aussi les préoccupations de plusieurs millions de congolais de l’intérieur comme de l’extérieur du pays qui se posent deux questions suivantes auxquelles ils voudront avoir de réponses de votre part : 1. Pourquoi les sénatrices et sénateurs restent indifférents à la violation manifeste de la Constitution et des lois de la République ?
2. Pourquoi les sénatrices et sénateurs restent insensibles à une injustice flagrante à l’endroit de l’un d’entre eux ?
Veuillez agréer, Honorables sénatrices et sénateurs et chers collègues, l’expression de mes sentiments patriotiques.
Kinshasa, le 15 mars 2022
Matata Ponyo Mapon
Sénateur