9èmes Jeux de la Francophonie de Kinshasa : «Pari réussi pour des Jeux qui reviennent de loin»

Après deux reports et de nombreuses inquiétudes sur la construction des infrastructures et la logistique, la 9ème édition des Jeux de la Francophonie s’est clôturée le 6 août à Kinshasa. Pour Michel Champredon, expert en gouvernance publique, le pays hôte et l’OIF «s’en sortent très honorablement» malgré quelques couacs. «A quatre mois des élections présidentielle et législatives en RDC, il fallait que les Jeux soient une réussite et Félix Tshisekedi en a profité à plein».

Vous avez travaillé 7 ans en République démocratique du Congo et vous venez de rentrer en France après avoir passé quelques semaines le mois d’août à Kinshasa. Quelle impression générale peut-on tirer de l’organisation des Jeux de la Francophonie qui étaient initialement prévus en 2021, puis 2022 pour se réaliser finalement en 2023 ?
Vu globalement et à distance : très bien ! Effectivement, les Jeux ont été décalés de deux ans. Ils ont été incertains pendant de nombreux mois. Les responsables congolais des Jeux ont changé deux fois pour mauvaise gestion. Les équipes de l’OIF sont venues à Kinshasa plusieurs fois, inquiètes, pour suivre l’avancée des travaux et de l’organisation. Plusieurs fédérations internationales ont réduit leur délégation, et certaines se sont désistées, pour des raisons variables de manque de confort, d’équipements non homologués ou de sécurité… En somme, les Jeux reviennent de loin.

Les Jeux ont finalement pu se tenir ?
Il a fallu une pression des autorités, du chef de l’Etat et du Premier ministre, pour obtenir que les installations soient fonctionnelles à temps. En effet, ce n’est pas un mince défi que d’accueillir 3.000 personnes pendant dix jours avec des calendriers qui se chevauchent, des lieux d’hébergement dispersés dans Kinshasa, ville étouffée pas les embouteillages. Donc, on peut dire que c’est un succès car le calendrier a été tenu, les délégations étaient assez nombreuses pour donner à ces Jeux un réel intérêt, les problèmes de sécurité ont été maîtrisés et le public était au rendez-vous et satisfait. La République Démocratique du Congo a relevé le défi ! Bravo ! Sinon, sans en être certain, j’espère que les entreprises congolaises ont pu bénéficier des commandes pour l’organisation des Jeux et que, par ailleurs, un minimum d’entretien sera fait pour les installations nouvellement construites afin d‘en assurer une certaine durée de vie.

Et maintenant vu d’un peu plus près ?
Ceux qui étaient en coulisse ont témoigné de différents problèmes d’organisation : des sportifs qui partaient au stade sans petit déjeuner, une absence d’eau dans certaines chambres, une délégation oubliée à l’aéroport… La délégation Malgache a témoigné des difficultés rencontrées pour ses sportifs qui n’avaient pas à manger et qui ont déménagé trois fois. Ceux qui ont vu ou vécu l’organisation de près pourraient citer dix anecdotes qui ont perturbé les personnes concernées sans impact sur le grand public.

Ces Jeux avaient de forts enjeux politiques et diplomatiques. Quel bilan peut-on en tirer ?
A 4 mois des élections présidentielles et législatives en RDC, il fallait que les Jeux soient une réussite. Le chef de l’Etat Congolais, Félix Tshisekedi en a profité à plein… Comme n’importe quel chef d’Etat qui organise une compétition internationale, suivez mon regard. Il a pu s’adresser à 80.000 personnes au stade des Martyrs à deux reprises et devant les téléspectateurs. Pour l’OIF qui est autant un outil politique et diplomatique qu’une institution de défense de la francophonie, elle a passé l’évènement plus qu’honorablement… Cela aurait pu être un camouflet pour l’Organisation. Certes, cela fut payé au prix de l’absence de la Rwandaise présidente de l’OIF, persona non grata pour des questions évidentes de guerre entre la RDC et le Rwanda, à l’Est du pays, c’était mieux ainsi. Sa présence aurait certainement créé des réactions de la population. Parfois il faut savoir faire profil bas.

Et pour la France ?
Là encore, alors qu’on parle depuis plusieurs mois de recul de l’influence française en Afrique et en RDC, ce qui est vrai, la délégation française a défilé dans le stade des Martyrs sous les applaudissements, comme pour les autres délégations ; alors qu’on aurait pu subir des sifflets. En France, le Président de la République ne peut plus aller saluer les footballeurs sur le terrain du stade de France. On n’annonce plus « l’entrée du Président de la République » ; on se contente de signaler « l’entrée des autorités françaises » pour éviter les sifflets. A Kinshasa, la France a été bien traitée et bien accueillie. Idem lorsqu’Emmanuel Macron s’est offert le luxe d’aller avec la star congolaise FallyIpupa, dans un quartier populaire de Bandal à Kinshasa le 5 mars 2023, après sa soirée à l’Institut français, il y a fait un tabac… Aujourd’hui, le bar qui l’a accueilli loue plus cher la table à laquelle il s’est assis et il y a la « Castel Macron », du nom de la bière qu’il a consommée. C’est drôle et affectueux. Finalement les Congolais sont plus sympathiques avec notre président que les Français eux-mêmes. Cela n’efface pas les vrais problèmes internationaux qui nécessitent que la France revoie sa politique africaine, mais relativise ce qui se dit parfois dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Sur les réseaux sociaux, certains ont critiqué une « censure » des médias hexagonaux en France sur les Jeux de la Francophonie, dénonçant « l’hostilité des milieux politiques et médiatiques français à l’égard de la vaste francophonie » ?
La personne qui écrit cela affirme mais ne démontre pas. Accepter cette affirmation c’est accepter l’idée qu’il y aurait une décision concertée d’un système politico-médiatique… en somme un « grand complot ». Dans cette société éclatée ou tout le monde est en concurrence avec tout le monde, et notamment les médias entre eux, on les voit mal se concerter contre les Jeux… qu’auraient-ils à y gagner ? Au contraire, de grands événements comme celui-là sont des sources de business pour eux. Je vais vous raconter une anecdote qui apportera au moins une part de la réponse. J’étais à la conférence de presse de l’OIF et du Comité d’organisation des Jeux à la Maison de France de Kinshasa. Un journaliste a posé la question au directeur régional de Canal + : « Pourquoi Canal + ne retransmet jamais les matchs de la RDC ? ». Réponse du directeur : « Quand les fédérations sportives congolaises arrêteront d’annuler les matchs ou de ne pas respecter les horaires, on pourra les diffuser. On ne peut pas prendre le risque d’avoir un écran noir. Vous-même, en tant qu’abonné à Canal +, vous seriez mécontent ». Effectivement, la semaine précédente, un match a été annulé au moment où il devait commencer (les gens étaient déjà dans le stade… chaude ambiance). Par ailleurs, au-delà du respect des horaires et sans être dans le secret des dieux, les droits de retransmission sont importants et se négocient. S’il n’y a pas de retransmission c’est sans doute qu’ils ne sont pas parvenus à signer un contrat ( !?) Enfin, pour ma part, j’ai pu suivre plusieurs moments des Jeux sur France 24 mais je n’ai pas regardé sur les autres chaînes du service public.
Propos recueilli par Christophe Rigaud (Afrikarabia)