Retour du M23 et risque d’embrasement à l’Est

L’ancienne rébellion du M23 est passée à l’offensive contre l’armée congolaise au Nord-Kivu depuis ce week-end. Ce retour des affrontements, sur fond de tensions entre le Rwanda et l’Ouganda, fait craindre une extension du conflit dans l’Est du Congo.

Les bruits de bottes se font de plus en plus pressants au Nord-Kivu. Alors que l’armée congolaise tente d’éradiquer la rébellion des ADF, avec l’aide de son voisin ougandais, l’ancienne rébellion du M23 refait parler d’elle depuis quelques jours.

L’armée congolaise a en effet dénoncé l’attaque du M23, dans la nuit du 27 au 28 mars, contre ses positions de Tchanzu et Runyoni, deux localités du Nord-Kivu. Plus inquiétant, le porte-parole du gouverneur militaire de la province a accusé les Forces de défense du Rwanda (RDF) de soutenir activement le M23.

Pour appuyer sa thèse, l’armée congolaise a présenté à la presse deux individus capturés lors de l’attaque, et censés être des militaires rwandais du 65ème bataillon de la 402ème brigade des RDF. Mais les autorités rwandaises ont aussitôt démenti leur appartenance aux forces armées rwandaises.

« Le M23 se défend »

Le Rwanda dénonce une tentative de manipulation, et révèle que les deux individus ont été arrêtés «dans des circonstances obscures, il y a plus d’un mois, comme des éléments capturés lors des combats du 28 mars 2022 ». Même son de cloche du côté du M23, qui se fait désormais appeler Armée Révolutionnaire Congolaise (ARC). Son porte-parole dénonce « les attaques à répétition» des FARDC sur les positions du M23 depuis l’automne 2021 et affirme que le mouvement politico-militaire n’a fait que «se défendre». L’ancienne rébellion reprend à son compte les éléments avancés par le Rwanda sur les personnes présentées à la presse, en affirmant qu’il s’agit de «sujets congolais» capturés en janvier dernier.

Un contexte régional qui a changé

Plusieurs raisons signent ce retour du M23 sur la scène congolaise. Après sa défaite en 2013, le groupe est resté assez discret après avoir trouvé refuge en Ouganda et au Rwanda voisins. Mais le retour négocié des ex-rebelles en RDC patine rapidement. Après quatre ans d’atermoiement, le rapatriement est toujours au point mort, et certains membres du groupe commencent à perdre patience, et reviennent dans leur fief congolais du Virunga.

Dans la reprise des combats avec les FARDC, il y a clairement la volonté du M23 de mettre la pression sur Kinshasa pour que les autorités honorent leurs engagements, mais il y a surtout un contexte régional qui a fortement évolué entre les voisins congolais, rwandais et ougandais. Les premiers coups de canons entre M23 et FARDC, début novembre 2021, interviennent au moment où Félix Tshisekedi invite l’armée ougandaise à intervenir sur le sol congolais pour aider les FARDC à lutter contre la rébellion des ADF.

Des soldats ougandais au Congo qui énervent Kigali

En 2020, Félix Tshisekedi avait tenté de monter un projet de brigade mixte entre la RDC, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi pour éradiquer les groupes armés à l’Est du Congo. Mais l’initiative est un échec à cause des relations de plus en plus tendues entre Kigali et Kampala, explique à Afrikarabia le chercheur Kris Berwouts.

«Nous étions à peu près sûr que l’arrivée des soldats ougandais au Congo allait énerver le Rwanda. Mais le lien avec ce qui se passe avec l’ex-M23 est difficile à prouver ».

Pour le chercheur, ce regain de tension s’explique aussi par une redistribution des cartes dans la région avec «une rupture de confiance entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, et un rapprochement entre le Burundi et l’Ouganda».

Enfin, souligne Kris Berwouts, «personne n’a oublié à Kigali et Kampala que les deux pays se sont affrontés sur le sol congolais il y a plus de 20 ans ».

Un nouveau terrain d’affrontements entre le Rwanda et l’Ouganda

Le risque d’embrasement d’un conflit régional est-il de nouveau possible au Congo? Jean-Jacques Wondo, spécialiste en matière de sécurité, le redoute. «J’avais prédit à plusieurs reprises que la RDC serait encore un terrain d’affrontements militaires entre le Rwanda et l’Ouganda. On y est ! », précise-t-il sur son compte Twitter. «Si l’armée ougandaise parvient à déloger les Rwandais du M23 de Bunagana, les militaires ougandais s’y installeront pour sécuriser ce territoire de la RDC».

Plusieurs sources indiquent en effet que l’armée ougandaise serait intervenue aux côtés des FARDC ce mardi pour repousser le M23 de la localité de Bunagana.

L’ambassadeur rwandais convoqué

Le retour du M23 signe sans aucun doute la fin de la lune de miel entre Tshisekedi et Kagame. Lors de son intervention sur TV5MONDE, le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, a mis les pieds dans le plat en déclarant «qu’il est temps de mettre fin à cette forme d’hypocrisie ou cette forme de complicité qui existerait entre le M23 et le gouvernement du Rwanda ».

Convoqué à Kinshasa par le ministre des Affaires étrangères,  l’ambassadeur du Rwanda en RDC, Vincent Karega, a nié tout soutien de son pays aux rebelles du M23, se disant prêt à participer à une enquête conjointe avec Kinshasa dans le cadre du Mécanisme de vérification aux frontières, tel que prévu dans le cadre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba.

Le mouvement citoyen Lucha a demandé dans un communiqué l’expulsion de l’ambassadeur rwandais. Enfin, une dernière information qui pourrait peser lourdement sur la suite des événement, l’armée congolaise a récemment accusé le M23 d’avoir abattu un hélicoptère de la Monusco avec huit casques bleus à bord, en mission de reconnaissance dans la zone de Tshanzu (Nord-Kivu).

En perte de vitesse sur le terrain militaire, le M23 a lancé un appel à un cessez-le-feu, se disant prêt à engager des discussions avec Kinshasa pour un retour rapide de la paix dans la région. La réponse de Kinshasa se fait encore attendre.

Christophe Rigaud (Afrikarabia)