La nomination surprise de Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe dans le gouvernement Sama II, le 24 mars dernier, laissait peu de doute sur la stratégie politique qui se cachait derrière l’entrée de ces deux fortes personnalités dans le nouvel exécutif. L’idée était de couper l’herbe sous le pied à l’opposition dans sa possible dynamique d’union, mais aussi de resserrer les rangs au sein de l’Union sacrée de la Nation, la plateforme présidentielle censée offrir sur un plateau un second mandat à Félix Tshisekedi. Voilà donc Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe embarqués dans la campagne pour la réélection du chef de l’Etat. Les deux poids lourds de la politique congolaise ont d’ailleurs été les vedettes de la signature de la charte de l’Union sacrée aux côtés des autres partenaires de l’alliance présidentielle.
Kamerhe : un soutien électoral à l’Est
Politiquement, le pari est gagnant pour Félix Tshisekedi. Avec une Union sacrée hétéroclite, composée d’anciens kabilistes bien peu fiables, le président-candidat renforce sa plateforme électorale avec deux des partis les plus structurés du pays : le MLC de Jean-Pierre Bemba et l’UNC de Vital Kamerhe. Si les deux hommes n’ont peut-être pas l’influence qu’ils avaient, il y a 10 ou 15 ans, leurs bases électorales restent solides, et aucune autre personnalité ne leur a volé la vedette dans leurs fiefs respectifs de l’Equateur et du Sud-Kivu.
A peine nommé, Vital Kamerhe s’est d’ailleurs empressé d’organiser un meeting à Bukavu, qui a rassemblé quelques milliers de sympathisants, pour montrer à Félix Tshisekedi qu’il était toujours populaire dans l’Est. Le patron de l’UNC, bien que ministre d’un portefeuille important, l’Economie, est essentiellement là pour assurer au candidat Tshisekedi, un soutien dans cette partie du pays, où il est peu populaire. Son ministère, très transversal, a beaucoup de défis à relever, avec une inflation galopante, mais les cordons de la bourse sont toujours tenus par le très influent Nicolas Kazadi, le ministre des Finances, issu de l’UDPS.
Bemba : un ex-chef de guerre pour ramener la paix
Jean-Pierre Bemba a bien compris qu’il est attendu sur le front de la guerre à l’Est. Comme Vital Kamerhe, le nouveau ministre de la Défense n’a pas attendu pour poser ses marques. Lors du dernier Conseil des ministres, il a obtenu l’organisation d’une réunion extraordinaire des ministres de la Défense des pays membres de l’East African Community (EAC), à Goma. L’initiative est plutôt la bienvenue alors que la communication gouvernementale patine sur le rôle réel de la force régionale, l’objectif de son mandat, sa durée et le statut des zones libérées par le M23 et contrôlées par l’EAC.
En nommant Jean-Pierre Bemba à ce poste-clé, à seulement neuf mois des élections, Félix Tshisekedi espère pouvoir améliorer rapidement la situation sécuritaire dans l’Est, après plus de deux ans d’échec sur le terrain militaire. La proximité du nouveau ministre de la Défense avec l’Ouganda doit constituer l’atout majeur de Bemba pour le retour à la stabilité dans l’Est. Les troupes ougandaises se trouvent en effet aux avant-postes pour reprendre les territoires libérés par le M23 (notamment l’emblématique ville frontière de Bunagana) et lutter contre les ADF, un groupe armé d’origine ougandaise, affilié désormais à l’Etat islamique (EI).
Desalliés d’un jour
Sur le terrain politique, la prise de Bemba et Kamerhe permet à Félix Tshisekedi de neutraliser ces deux potentiels concurrents et de s’assurer leur soutien pour le scrutin à venir. Les deux nouveaux ministres devront partager une partie du bilan de Félix Tshisekedi et ont une obligation de résultats dans leurs missions. Mais attention, ces deux éléphants de la politique congolaise, qui sont tous les deux passés par la case prison, n’ont pas jamais abandonné le désir de devenir président à leur tour. En fins politiciens, les deux hommes jouent le coup d’après. En cas de victoire de Félix Tshisekedi lors du prochain scrutin, ils se voient déjà à des postes-clés comme la Primature ou le perchoir de l’Assemblée nationale. Et sans doute briguer la magistrature suprême en 2028.
Mais en cas de report des élections et de crise politique, Félix Tshisekedi devra les garder à l’œil. Les deux alliés pourraient alors décider de quitter le navire pour se présenter sous leur propre nom, estimant que le président a échoué à organiser les élections dans les délais. Car, comme ils l’ont montré par le passé, Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe ne peuvent être que des alliés d’un jour.
Avec Afrikarabia