Le train des élections législatives et de la présidentielle, supposément prévues le 20 décembre 2023, est en marche. En réalité, il y a belle lurette qu’il avait démarré, donnant l’impression au pays d’être dans une campagne électorale permanente. La publication, la semaine dernière, des listes des partis et regroupements politiques admis à concourir à la députation nationale a fait respectivement ressortir la validité de six formations et 36 regroupements politiques dont la majorité se réclament de l’Union sacrée de la Nation, plateforme politique qui porte la candidature du Chef de l’Etat actuel. Cependant, la ventilation des listes en question révèle un détail troublant dont la Commission électorale nationale indépendante (CENI) se garde bien de faire la publicité : c’est la présence sur les listes électorales de la quasi-totalité des membres du Gouvernement et des mandataires publics, tous candidats aux législatives éparpillés dans la quasi-totalité des circonscriptions électorales. A tout prendre, la levée de la disposition d’incompatibilité qui obligeait les membres du Gouvernement et des mandataires publics, déclarés candidats aux législatives, consacre une bonne saignée du Trésor public. En tout cas, plus rien n’empêchera les ministres et mandataires à battre campagne sur des fonds publics.
Econews
Des ministres, vice-mi-
nistres, mandataires
des entreprises et services publics de l’Etat sont dans leur grande majorité alignés dans les starting blocks pour la grande course aux sièges de l’Assemblée nationale. Donnant l’exemple, le premier ministre en personne se présente dans la circonscription de Kasenga dans la province du Haut-Katanga. Les chefs de deux chambres du Parlement ne sont pas en reste : Le président de l’Assemblée nationale Christophe Mboso brigue un énième mandat dans «son fief» de Kikwit (Kwango) et son collègue du Sénat Modeste Bahati repart à la reconquête de Kabare (Sud-Kivu).
A première vue, rien ne pourrait empêcher quiconque, en tant que citoyen, à solliciter les suffrages du peuple en vue de porter ses aspirations au sein de l’organe législatif et favoriser le développement des communautés et de leur milieu de vie.
LES CANDIDATS USN RESTENT EN FONCTION
Cependant, il y a un aspect qui fait que les dés sont pipés. Deux raisons concourent à jeter le doute sur la régularité de la démarche. D’abord, l’on se serait attendu que tous les candidats potentiels démissionnent de leurs fonctions avant de se lancer en campagne électorale proprement dite. Ceci afin d’éviter qu’ils ne recourent aux moyens de l’Etat et intimident des concurrents issus de l’opposition. Or il est avéré que cette disposition qui aurait assuré l’égalité des chances entre la plateforme présidentielle et ces derniers a été sournoisement élaguée, laissant la voie libre à d’immanquables abus, ferment d’une instabilité latente à mesure qu’approchent les échéances électorales.
Ensuite, la présence quasi systématique sur les listes des membres des familles (fils et filles, épouses et autres proches parents) comme suppléants enlève une large part de la crédibilité de la future chambre transformée en une assemblée nationale aux allures dynastiques.
Enfin, la possibilité pour les candidats à se présenter à plusieurs scrutins (présidentielle, législative, sénatoriale et plus tard, provinciale) jette un voile sur la construction harmonieuse d’une démocratie encore balbutiante. Elle vient en effet reproduire le schéma surréaliste de la présence dans toutes les institutions des membres d’une même famille par un jeu de cession de sièges unique au monde.
UN MANQUE D’ÉGARDS AUX ELECTEURS
Une frange de la classe politique avait d’ores et déjà pressenti le caractère insolite d’une loi électorale qui semblait privilégier des intérêts particuliers au détriment de la nécessité pour l’Assemblée nationale de légiférer en toute indépendance grâce à une variété de membres de qualité à l’expérience politique éprouvée.
L’on rappelle à ce sujet que dès le début de cette législature en 2019 et qui tend à sa fin, le député Delly Sessanga aujourd’hui avait soumis au bureau de l’Assemblée nationale un projet qui tendait à porter des modifications à la loi électorale qui auraient élagué des dispositions portant notamment sur des candidatures multiples, l’alignement sur les listes électorales de membres de famille et qui auraient rétabli une sorte de normalité dans la composition d’une Chambre basse débarrassée de liens familiaux internes qui, quoique l’on puisse affirmer, jettent l’opprobre sur un corps législatif réduit en une caisse de résonnance univoque.
La pratique, pourrait-on rétorquer, est d’usage courant dans les deux chambres du Parlement congolais. Jusqu’ici discrète, elle tend pourtant à prendre des proportions en définitive inquiétantes. Sa généralisation ou pire, son institutionnalisation dénote purement et simplement un manque de respect à l’égard de l’électeur qui se rendrait aux urnes avec espoir et de bonne foi.
Une incise qui expose le Trésor public
Ceux qui ont cru en une incompatibilité qui frapperait les membres du Gouvernement annoncés comme candidats aux prochaines législatives doivent déchanter. L’annonce, par exemple, de la candidature du Premier ministre pour les législatives à Kasenga a, en effet, provoqué un début de tollé.
Vérification faite, le code électoral tel que modifié le 29 juin 2023 ne retient plus, en son article 10, comme cas d’incompatibilité à la compétition électorale que les fonctionnaires et agents de l’administration publique ainsi que les magistrats qui, tous, ne justifient pas d’une mise en disponibilité au moment du dépôt de leur candidature. Sont aussi concernés les mandataires publics actifs non démissionnaires, les militaires et policiers non démissionnaires ou n’étant pas encore à la retraite, ainsi que les membres des institutions d’appui à la démocratie, dont la CENI.
Les membres du Gouvernement sont désormais libres de postuler sans aucune contrainte d’incompatibilité comme ce fut, par exemple, le cas sous la première législature où le Premier ministre Adolphe Muzito avait démissionné pour être candidat député ou en 2018 lorsque Ramazani Shadari avait aussi démissionné pour candidater à la présidentielle.
Avec la nouvelle loi électorale, comme voulue par le Parlement à majorité USN, aucun mandataire public ne peut non plus s’empêcher de battre campagne avec les fonds des entreprises, établissements ou services publics placés sous sa gestion.
Dans ces conditions, l’on peut déjà s’imaginer le mode de gestion du pays lorsque sera lancée la campagne électorale aux législatives nationales de décembre 2023. On risque donc de se retrouver avec un Gouvernement totalement dégarni et des entreprises du Portefeuille de l’Etat amputées de leurs gestionnaires, pour autant que tous seront en campagne, abandonnant le pays à son triste sort.
Une loi électorale au goût de l’USN
La loi, dans son exposé de motif, ne justifie pas ce changement, mais il faut craindre qu’il puisse avoir des implications fâcheuses dans les semaines à venir si ce n’est déjà pas le cas. Il faut, en effet, surtout craindre pour les finances publiques qui pourraient servir – ou avoir déjà servi – de source de financement des campagnes électorales des Premier ministre, Vice-premiers ministres, ministres d’Etat, ministres et vice-ministres. La crainte est d’autant plus grande que ce gouvernement comporte en son sein des chefs de partis politiques qui, eux-mêmes candidats, ploient sous la pression de leurs partis politiques pour financer la campagne.
La démission, qui était de mise autrefois, permettait ainsi d’épargner le Trésor public des sollicitations illicites.
Autre crainte : les absences des membres du Gouvernement pour raison de campagne électorale. Difficile, en effet, d’organiser des intérims lorsque presque tout le monde peut se trouver sur le terrain.
Drôle de perspective pour un pays qui n’est pas assis sur une administration suffisamment solide pour reprendre le relais afin d’assurer efficacement la continuité de l’Etat, loin des injonctions et du clientélisme politique.