Qu’en est-il de l’accord de joint-venture conclu entre l’Etat congolais et la société émiratie Primera Group Limited, appelée autrement Primera Gold ? L’interpellation de trois ministres du Gouvernement, à savoir ceux des Finances, des Mines et du Portefeuille, par un élu national du Nord-Kivu, a ravivé la polémique autour de cette question. Dans l’opinion publique, on parle de plus en plus d’un nouveau bradage des ressources minières de la République Démocratique du Congo, particulièrement dans le secteur aurifère. Cité parmi l’un des artisans de ce montage financier, le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, a tenu, au micro de la radio Top Congo Fm, à dissiper tout malentendu. Lorsque certains redoutent une exclusivité que le Gouvernement aurait accordée à Primera Gold dans l’or artisanal, le ministre des Finances balaie cette hypothèse. «C’est tout à fait faux de parler d’exclusivité», lance-t-il, rappelant que «Primera Gold est une initiative prise par le Gouvernement de la République en réponse à la situation de conflit dans l’Est de la RDC ». C’est aussi, pense-t-il, la voie qu’a choisi le Gouvernement pour couper les sources d’approvisionnement dont se sert le Rwanda pour jouir de l’or de la RDC. Si bien que, de l’avis du ministre Nicolas Kazadi, combattre l’accord Primera Gold, c’est autrement jouer le jeu de Kigali. Entretien avec Nicolas Kazadi.
Monsieur le ministre des Finances, est-ce que vous confirmez l’information selon laquelle le gouvernement congolais a accordé à Primera Gold l’exclusivité dans l’exploitation de l’or en RDC?
D’abord, c’est tout à fait faux de parler d’exclusivité. Primera Gold est une initiative prise par le Gouvernement de la République en réponse à la situation de conflit dans l’Est de la RDC. Vous savez que le trafic des minerais, de l’or et du coltan, c’est un des carburants qui entretient le conflit dans l’Est. Et il fallait couper l’herbe sous les pieds du Rwanda qui se sert de cette exploitation illégale pour entretenir le conflit sur notre sol. Et donc, on a commencé avec Primera Gold en créant une JV entre la RDC et Primera. Et 20.000 dollars US dont on parle, c’est totalement ridicule comme commentaire parce que 20.000 dollars correspond au minimum requis pour créer une SA (Société anonyme). Et donc, au moment où on crée la SA, on le fait avec le minimum requis, le temps de finir les négociations et de voir comment on établit au final le partenariat et les apports. Mais, pour dire que c’est ridicule de mentionner ces 20.000 dollars, il faut qu’on se pose la question. Depuis le 1er janvier jusqu’à aujourd’hui, nous avons exporté trois tonnes d’or alors que toute l’année précédente, on a exporté 26 kilos d’or. Ces trois tonnes d’or valent 1,8 milliard de dollars US. Donc, parler de 20.000 dollars comme ça a été fait, c’est totalement ridicule. C’est totalement ridicule !
Ce contrat respecte, en ce qui concerne le code minier, toutes les dispositions prises, notamment facilité, exonération et autres, qui doivent être données à tous les intervenants au même niveau.
Ici, il s’agit de production artisanale et non pas d’exploitation industrielle. Et il faut préciser que notre pays a trop longtemps souffert des conditions fiscales désavantageuses, entretenues par une mafia pour que cela soit plus avantageux pour les producteurs artisanaux de vendre dans les pays voisins, Rwanda et Ouganda en particulier, plutôt que de vendre dans les comptoirs congolais. Il fallait casser ce désavantage fiscal. C’est ce que nous avons fait. Souvenez-vous que, je l’ai déjà dit devant les médias, en 2022, lorsqu’on préparait le budget 2023, j’avais obtenu des députés, notamment de l’Ecofin, qu’on baisse la fiscalité de l’exploitation artisanale, justement pour ne plus inciter les gens à aller vendre frauduleusement au Rwanda. Cela a été obtenu, ça a été inscrit dans le projet de budget et, comme par magie, en réalité il s’agit de la mafia, à la fin, le document final qui est sorti est revenu sur les anciens taux, donc a maintenu le statu quo.
On peut se poser la question, pourquoi cela n’a pas été respecté ? Dans l’intérêt de qui ? C’est ce que nous avons rattrapé en créant Primera Gold et nous avons donné des allégements qui s’imposaient pour atteindre le résultat qu’on vient d’atteindre. Voilà tout !
Tout autre intervenant minier, dans le même contexte – j’entends, d’exploitation artisanale – pourra obtenir les mêmes conditions ?
Oui, si nous sommes convaincus que ces intervenants miniers s’inscrivent dans la politique du Chef de l’État de transparence et de traçabilité du secteur des minerais artisanaux. C’est de cela qu’il s’agit et rien d’autre. Et d’ailleurs, pour vous montrer ce que nous donnons en avantages fiscaux, nous le récupérons, nous, État congolais, parce que nous sommes propriétaires à 45% de cette exploitation artisanale, alors que nous n’avons pas mis un rond. Et ces 45% veulent dire que les bénéfices générés par les tonnes que désormais nous exportons, nous en tirons 45%. Voilà !
Certains pourraient aussi se poser la question sur ces 3.000 tonnes, est-ce que le gouvernement congolais n’aurait pas pu, via des intervenants congolais ou lui-même, comme c’était le cas à jadis avec la Gécamines, assurer seul cette exploitation ? Est-ce qu’il manquait les capitaux en RDC pour faire ce que Primera Gold fait aujourd’hui ?
Oui, il nous manquait les capacités, pas seulement financières, mais également techniques et de savoir-faire pour le faire en tant qu’État congolais de manière efficace. Voilà pourquoi nous avons décidé d’aller avec un partenaire de taille, parce que Primera vient des Émirats Arabes Unis. Et si vous ne le savez pas, les Émirats Arabes Unis, c’est la principale destination de l’or artisanal produit en Afrique, au Congo et ailleurs. Et d’ailleurs, les Émirats Arabes Unis souffraient eux aussi des attaques, notamment des Nations Unies, sur le fait que la chaîne d’approvisionnement n’était pas transparente. Et ils se sont rapprochés de nous pour qu’ensemble, on lutte contre cet or du sang, ce coltan du sang. Et donc aujourd’hui, voir des enfants du pays critiquer une œuvre aussi louable et aussi salvatrice, j’en tombe de nu. Je trouve que c’est tout simplement inexplicable, parce que c’est jouer le jeu du Rwanda, c’est jouer le jeu de cette mafia qui nous a pris en tenaille pendant 30 ans. C’est ça la réalité.
À combien peut-on évaluer l’apport ? Là, on parle de finances, de Primera dans cet investissement en RDC.
Primera a la capacité d’apporter des financements pour acheter cet or. Et en plus de cela, dans le plan stratégique que nous avons, aussi bien sur l’or que sur le coltan, la prochaine étape, c’est la fonderie. Et sur le coltan et les trois T, nous allons transformer localement. Nous allons avoir la plus grande fonderie de coltan d’Afrique et nous allons exploiter ces trois T au Congo. Et donc, c’est la meilleure façon de battre le Rwanda, qui aujourd’hui le fait avec notre coltan.
Je ne sais pas ce qu’il faut dire aux Congolais pour comprendre. S’ils préfèrent qu’on laisse le Rwanda faire ce qu’il fait et entretenir la guerre pour maintenir le Satuko, à ce moment-là, ça veut dire qu’on a démissionné. Mais nous, gouvernement responsable, nous avons pris la meilleure décision qui soit. Et je vous le dis, moi, ministre des Finances, qui ait piloté ce processus et ces négociations, je le dis, s’il faut le refaire mille fois, je le ferai parce que c’est uniquement et exclusivement dans l’intérêt supérieur et stratégique du pays. Et c’est tout à fait ce qu’il fallait comme réponse pour casser les mafias multiples qui ont pris le pays en otage pendant 30 ans.
Propos recueillis par Christian Lusakueno (Top Congo Fm)