Le nouvel ouvrage du journaliste et politologue Charles Onana sur l’effroyable réalité de la guerre en République Démocratique du Congo (RDC) suscite un grand intérêt chez les Congolais. Dans «Holocauste au Congo», il tire la sonnette d’alarme concernant les massacres, les tortures, les viols… des Congolais dans la partie Est de la RDC, sur fond d’exploitation à marche forcée des ressources minières de ce pays pour alimenter l’industrie mondiale de l’armement, de la téléphonie et de la transition énergétique, avec la partition du pays en vue. Une histoire cruelle qui se déroule au cœur de l’Afrique. Une tragédie. Dans l’interview que l’auteur a bien voulu accorder à Robert Kongo, pour le compte d’Econews, il regrette vivement le silence gardé par la classe politique congolaise, notamment le Parlement qui ne s’est toujours pas saisi des questions cruciales sur les causes de la guerre en RDC soulevées dans le livre ainsi que le calvaire que vivent les Congolais.
Votre nouvel ouvrage au titre assez évocateur «Holocauste au Congo. L’omerta de la communauté internationale. La France complice ?», connaît un franc succès, notamment auprès d’une certaine élite congolaise de l’intérieur comme de la diaspora. Êtes-vous satisfait ?
Je ne suis pas du tout satisfait parce que je considère que le débat n’a pas encore gagné l’ensemble de la classe politique congolaise. Et pour cause ! Les intellectuels congolais ont ouvert le débat au Congo de manière efficace et sérieuse. Mais je suis surpris par l’omerta qui règne au sein de la classe politique congolaise sur cet ouvrage et sur le calvaire des Congolais. Jusqu’à présent, l’Assemblée nationale ne s’est pas emparée des questions à portée importante pour la nation qui sont soulevées dans le livre, surtout pour le droit à la sécurité des Congolais de vivre en paix dans leur pays.
Comment expliquez-vous cette attitude ?
Je crois que le travail d’infiltration a été bien fait au Congo, et ce, durant le règne de Joseph Kabila, porté au pouvoir, le 26 janvier 2001, après l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila. Pendant 18 ans, plusieurs postes stratégiques ont été occupés par des gens qui ne sont pas nécessairement des Congolais ou qui n’ont pas l’amour du Congo. Tout ce monde s’est retrouvé à considérer le Congo comme une vache à lait qu’il faut traire jusqu’à l’épuisement. Le fait de constater aujourd’hui qu’il y a plus de 10 millions de morts, au moins 500 000 femmes violées, des enfants martyrisés et torturés, l’un des pires crimes contre l’humanité depuis 1945 commis depuis presque 30 ans en RDC, et que ces questions sont importantes et prioritaires pour les Congolais, il faut par conséquent ne pas ouvrir ce dossier. Car, la responsabilité de ces personnes risque d’être questionnée.
L’inaction des dirigeants Congolais face à la tragédie qui se déroule en ce moment dans l’Est de la RDC est quand même patente…?
Bien sûr, d’autant plus que l’Assemblée nationale ne s’y implique pas. En tant qu’institution représentant des Congolais, il est de son devoir d’engager le débat. Comment expliquer le cas d’Azarias Ruberwa, vice-président chargé de la Commission politique, défense et sécurité du Congo, que personne n’ose convoquer pour l’auditionner sur les responsabilités qui étaient les siennes au moment où il était en fonction ? Pourquoi le Parlement congolais n’ouvre-t-il pas une commission d’enquête sur son cas et peut-être aussi sur d’autres cas similaires des gens qui auraient occupé des hautes fonctions sans veiller sérieusement sur la sécurité des Congolais ? Ne perdons pas de vue que c’est à cette époque-là que des individus comme Laurent Nkunda, Jules Mutebusi… ont commis des crimes comme des massacres, tueries, tortures, viols… des congolais dans l’Est du pays. Je le dis et je le redis, l’inaction des dirigeants congolais face à la situation dans l’Est du Congo est consécutive à l’infiltration organisée par Joseph Kabila depuis 2001. Il est de notoriété publique qu’il y a des gens qui ont été injectées dans l’appareil sécuritaire de l’État congolais, notamment au sein de l’armée, qui ne sont pas des Congolais. J’ai des documents confidentiels de l’Union européenne qui attestent de la véracité de mes propos. Laurent Nkunda a été nommé général des FARDC, alors qu’un rapport de la Monuc dit clairement qu’il n’est pas Congolais. Voilà un cas patent où le Parlement pourrait mieux faire les choses en interrogeant l’ancien président de la République, Joseph Kabila, qui avait promu Laurent Nkunda à ce grade. Je ne pense pas que Mobutu pouvait élever quelqu’un à un tel échelon dans l’armée sans connaître son identité.
Cette mafia internationale des minerais qui agit dans le pays les indiffère aussi…
Bien entendu. De toute façon, ce qu’on appelle communauté internationale ne veut pas que le Congo réussisse, non seulement à avoir un leader fort, éclairé et sérieux, mais ne veut pas non plus que les institutions congolaises fonctionnent normalement. Et ceux qui ont organisé la déstabilisation du Congo depuis 1994 ne veulent pas simplement piller les ressources naturelles qu’on trouve dans l’Est du pays, massacrer, tuer, torturer et violer les populations, ils veulent aussi s’emparer du pouvoir à Kinshasa. C’est le combat qu’ils mènent, depuis près de 30 ans. Les dirigeants congolais sont ainsi atomisés. À un moment donné, il va falloir que les Congolais le comprennent et sachent que ce n’est pas une affaire du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, comme le laissent entendre certains d’entre eux, mais une affaire de souveraineté et de la protection des institutions du Congo.
Au vu de ce qui se passe actuellement en RDC, notamment l’occupation des terres, Paul Kagame n’est-il pas en train de gagner son pari ?
Absolument. Je le dis depuis des mois et je le répète sans cesse : le peuple congolais doit se lever comme un seul homme pour faire échec à l’entreprise cynique de balkanisation du Congo. C’est lui qui détient la clé, à lui seul le pouvoir de fermer les portes. Si le peuple congolais ne le fait pas, la classe politique congolaise ne le fera pas. Pour l’instant, ils sont pour beaucoup pris dans la nasse de la corruption organisée depuis plusieurs années sous le régime de Joseph Kabila. Et un bon nombre de ces politiques, sans compétence et sans amour pour le pays, occupent des postes importants dans les institutions du Congo. D’aucuns doivent d’ailleurs l’évolution de leur carrière à la seule volonté de Paul Kagame. Cela m’a été rapporté par plusieurs anciens ministres congolais. Je pense qu’il y a quelque chose là-dedans de totalement absurde. Il est important que les Congolais se réveillent par rapport à cet état de fait et rejettent complètement cette volonté hégémonique de Paul Kagame. Plus qu’une simple volonté de domination, il veut écraser les Congolais chez eux et continuer à commettre des atrocités sur le territoire congolais.
Comment expliquez-vous l’apathie des Congolais face à l’invasion tutsie en RDC ?
Je pense que la propagande internationale a joué un très grand rôle, c’est-à-dire on a réussi à faire croire aux Congolais qu’ils devaient négocier avec leurs bourreaux. Ce que Paul Kagame n’a jamais accepté à faire avec les génocidaires rwandais. Cependant, on demande aux Congolais de négocier avec leurs génocidaires et en leur donnant l’impression qu’ils n’ont pas d’autre choix. En outre, la violence inouïe que mène au quotidien Paul Kagame sur le territoire congolais a fini par donner le sentiment au peuple congolais qu’il était impuissant et qu’il ne faut surtout pas contrarier Paul Kagame. Entre-temps, les hommes politiques congolais ne pipent mot, une sorte de soumission observée sous Joseph Kabila qui n’avait quasiment jamais pris la parole de façon véhémente contre les agissements de Paul Kagame, contrairement à Laurent-Désiré Kabila qui n’a cessé de dénoncer le rôle clé du Rwanda dans ce qui se passe au Congo. On a l’impression que Joseph Kabila est venu passer son temps à «apaiser la situation» tout en comptabilisant les morts et les viols sur le territoire. Cette attitude de l’ancien président de la République a créé une sorte de psychose au Congo. Les Congolais se disent que Paul Kagame est trop fort et qu’il ne faut surtout pas le heurter. D’ailleurs, j’ai constaté, depuis la sortie du livre, parler des Banyamulenge, c’est commettre un sacrilège. En d’autres termes, parler des Banyamulenge signifie nécessairement avoir la haine de ce groupe ethnique. On peut parler des criminels qui commettent des massacres et des viols au Congo sans forcément être haineux. Au Rwanda, à l’époque du génocide, on vilipendait les Hutu. Mais au Congo, il est interdit de parler des Banyamulenge qui tuent, violent et exterminent à leur guise les Congolais. Je n’y comprends rien.
En adhérant à la Communauté des pays de l’Est (EAC), la RDC n’est-elle pas tombée dans le piège des Tutsi ?
Il y a un certain nombre d’hommes politiques congolais qui connaissent bien les arcanes de la diplomatie. Est-ce que ces gens sont aux affaires ? Quel est le rôle que l’on accorde à des gens compétents ? Tous les Congolais savent qu’il y a un certain nombre de personnalités très compétentes qui ne sont pas aux affaires. Malgré cette crème intellectuelle que possède le pays, on envoie des individus qui n’ont aucune compétence en matière diplomatique pour aller négocier, soit avec l’EAC, soit avec la SADEC. Ceux-ci ont validé un certain nombre de choses qui n’avaient pas à être approuvé. Au fil du temps, le président Félix Tshisekedi, lui-même, s’est rendu bien compte que l’EAC ne lui sert pas à grand-chose. Et je ne crois pas que la SADC serait capable de venir résoudre le problème du Congo. Il faut faire confiance aux Congolais, parce qu’il y’a des Congolais qui sont patriotes, qui veulent que ce pays s’en sorte et qui sont capables de se battre pour arracher le Congo des griffes de prédateurs. Aussi longtemps que les autorités congolaises ne feront pas confiance aux Congolais et les exhorter à se prendre en charge, c’est-à-dire se battre, pour sortir de l’ornière, je ne crois pas du tout qu’un autre Africain, de l’Afrique de l’Est ou de l’Afrique australe, viendra se battre à la place des Congolais pour le Congo.
En France, comme dans d’autres pays en Occident, il n’y a pas d’images sur la guerre en RDC. Cela ne semble-t-il pas indiquer une volonté délibérée des Occidentaux de ne pas populariser cette guerre ?
Oui, évidemment. Il faut savoir que l’absence d’images fait partie de la guerre. On parle aujourd’hui de la guerre des images. En Occident, quand les grands médias ne parlent pas d’une chose, ce que la chose n’existe pas. C’est le cas de la guerre au Congo. Il a été instruit aux groupes armés de ne pas montrer les images et de ne rien dire de ce qui s’y passe exactement. C’est pourquoi, personne n’a jamais vu les images sur l’holocauste du Congo. Ainsi, beaucoup de gens ont fini par croire que ce qui se passe au Congo est peut-être une guerre ethnique ou simplement des gens qui s’entretuent. On ne sait pas trop bien qui sont-ils, ce n’est pas très grave, il ne s’y passe pas grand-chose. Donc, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Voilà comment le silence est devenu une arme de guerre contre les Congolais pendant ces deux dernières décennies qui viennent de s’écouler.
Vous êtes très populaire auprès des Congolais. Éventuellement, accepteriez-vous que l’on vous octroie la nationalité congolaise en guise de remerciement pour votre travail remarquables sur la situation en RDC depuis 1994 ?
Je crois que le plus beau cadeau que l’on puisse m’offrir, c’est de se battre pour que le Congo soit libéré. Et une fois que les Congolais seront réellement libres, qu’il n’y aura plus de femmes violées au Congo, et qu’il n’y aura plus de massacres des paisibles citoyens Congolais chez eux, je viendrai à Kinshasa avec plaisir où on pourra faire une très grande fête nationale, et je serai heureux à ce moment-là d’être Congolais.
Propos recueillis par Robert Kongo (CP)