Le président de la Banque africaine de développement (BAD), M. Akinwumi Adesina, a récemment défini son combat pour redonner à l’Afrique sa place dans une finance internationale totalement remodelée. Selon lui, les trois piliers de cette lutte sont l’équité, la justice et la représentativité.
La réforme de l’architecture financière mondiale est au cœur de l’édition 2024 des assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) qui s’ouvrent officiellement ce mercredi 29 mai 2024 au Kenyatta International Convention Centre (KICC) de Nairobi sous le thème : «La transformation de l’Afrique, le Groupe de la Banque africaine de développement et la réforme de l’architecture financière mondiale». Lundi, le président du Groupe de la BAD était devant la presse pour faire le point des questions qui seront au centre de ces assemblées annuelles.
S’il s’interdit de faire déjà son bilan à une année de la fin de son second et dernier mandat à la présidence de la BAD, il se félicite cependant du schéma parcouru dans cette dure bataille de reformer l’architecture internationale.
Alors que l’Afrique est souvent mise de côté dans les discussions sur la finance internationale, le président Adesina est déterminé à changer la donne. Il affirme que l’architecture financière internationale doit être revisitée pour faciliter l’accès des économies africaines aux financements nécessaires à leur développement.
«Avec l’actuelle architecture financière, l’Afrique est mal servie. C’est pourquoi la BAD s’engage à plaider en faveur d’un changement majeur dans ce domaine», a déclaré M. Adesina. Selon lui, il est essentiel que l’Afrique soit représentée de manière juste et équitable dans les instances internationales qui décident des politiques financières mondiales.
Pour y parvenir, la BAD mettra en place des stratégies et des initiatives visant à renforcer la capacité des économies africaines à accéder aux financements internationaux. M. Adesina est convaincu que cet engagement contribuera à réduire les inégalités et à favoriser un développement économique plus équilibré en Afrique : «L’Afrique demande à avoir plus de voix sur les questions mondiales. Pas continuer à être toujours spectateur ».
Aussi, s’est-il félicité du premier pas affranchi par le Fonds monétaire international (FMI) qui vient de donner à l’Afrique un troisième siège dans son Conseil d’administration. «Il y a des espaces qui se créent », a reconnu le président Adesina.
L’AFRIQUE DE TOUS LES ESPOIRS
Si l’Afrique jouit d’immenses ressources naturelles, essentiellement minières, le président de la BAD est d’avis que son avenir repose cependant dans l’agriculture. «Ce qui permettra à l’Afrique d’être compétitive sur le marché mondial, c’est l’agriculture. Nous devons investir pour créer une agriculture plus productive», a-t-il déclaré.
Rester constamment explorateur des matières premières brutes est une «porte ouverte» pour la pauvreté, a lancé le président Adesina. Sur ce point précis, il y a lieu de changer de paradigme, préconise-t-il. «L’Afrique doit se positionner dans la chaîne des valeurs régionales, notamment dans le développement des batteries électriques ».
Face au changement climatique qui a affecté de nombreuses économiques, M. Adesina a salué la forte résilience des économies africaines. Il déplore cependant un fait : «L’Afrique souffre pour quelque chose dont elle n’est pas responsable (…) Le futur de l’économie africaine va dépendre sur la définition de la résilience».
L’APRES COVID-19
Le président reconnait que «les effets de Covid sont encore là». Mais l’Afrique, note-t-il, se remet «très bien». «Les plus grandes économies qui affichent le plus fort taux de croissance sont en Afrique. C’est la preuve de la résilience de l’Afrique», a-t-il tenu à préciser.
La résilience est bien réelle en Afrique, mais le spectre de la pauvreté est toujours bien présent, a rappelé le président Adesina. Ce qui impose plus d’actions autant à la BAD qu’aux décideurs politiques : «Je me suis réjouis du fait que nous sommes résilient, mais avec le niveau de pauvreté très élevé, nous avons encore beaucoup à faire ». Et de lancer : «Notre responsabilité est de s’assurer qu’il y a un développement effectif dans le continent. C’est notre défi à présenter au monde».
Tant qu’il est aux commandes de la BAD, il s’impose ce challenge : «Nous sommes une institution pour trouver rapidement des solutions au problème qui se pose (…) Nous nous voyons comme la banque des solutions africaines ».
La BAD joue certes sa partition, mais les décideurs politiques doivent aussi lui emboîter le pas. «Mais, au-delà, il y a aussi cette volonté politique de continuer la transformation du continent», préconise-t-il, se félicitant de la dynamique qui s’est créée au terme du dernier sommet où des engagements de l’ordre de 72 milliards USD ont été pris en faveur de l’agriculture.
Que dire du déficit en énergie électrique qui annihile tout effort de développement ? Sur ce point précis, M. Adesina est revenu sur toutes les actions entreprises par la BAD pour gagner ce pari.
Il est d’avis qu’ «on ne peut industrialiser dans les ténèbres ». «L’énergie, dit-il, est le sang qui coule dans l’économie. Si vous n’avez pas l’électricité, votre économie se meurt ». Aussi, a-t-il salué le pacte conclu avec la Banque mondiale visant à connecter à l’électricité environ 30 millions d’Africains à horizon 2030.
Si la détermination d’éclairer l’Afrique est bien réelle au niveau de la BAD, le président Adesina a souligné l’importance des investissements en infrastructures : «Les infrastructures, c’est comme l’épine dorsale pour tout développement. En Afrique, nous sommes la plus grande institution qui finance les infrastructures. Depuis mon élection en 2015, près de 50 milliards USD ont été affectés dans ce projet». Et de souligner : «Avec les infrastructures, on a besoin de connectivité pour réussir l’intégration des économies africaines».
S’il lui reste encore une année pour parachever son mandat, le président de la BAD se considère comme détenteur d’une mission : «Je me considère à la tête d’une mission. Nous avons fait avancer l’Afrique à plusieurs égards (…) Aujourd’hui, ns célébrons notre travail et nos réalisations. Nous avons l’appui de nos partenaires pour faire avancer la banque et l’Afrique».
DES CHEFS D’ETAT ATTENDUS CE MERCREDI A NAIROBI
À l’occasion de ces assemblées annuelles de Nairobi, au moins treize chefs d’État et de gouvernements africains seront accueillis par M. Adesina et le président du pays hôte, William Samoei Ruto. Sur son site, la BAD annonce la présence ce mercredi au KICC du président de la République islamique de Mauritanie et président en exercice de l’Union africaine, Mohamed Ould Ghazouani, qui sera aux côtés de Paul Kagame (Rwanda), Faure Gnassingbé (Togo), Emmerson Mnangagwa (Zimbabwe), Mohamed Younes Al-Menfi (Libye), Joseph Boakai (Liberia), Denis Sassou Nguesso (Congo), Nana Akufo-Addo (Ghana), Abiy Ahmed (Éthiopie), Samia Suluhu Hassan (Tanzanie), Évariste Ndayishimiye (Burundi) et Filipe Nyusi (Mozambique). L’ancien président mozambicain, Joaquim Chissano, et le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, seront également présents ainsi que Muhammad Al Jasser, président de la Banque islamique de développement.
L’événement marquant de ces assises sera sans conteste le lancement de la célébration des 60 ans d’existence de la Banque africaine de développement créée en 1964, en marge de la cérémonie officielle d’ouverture de ce mercredi. Cette célébration étalée jusqu’aux prochaines Assemblées de 2025 à Abidjan (Côte d’Ivoire), permettra d’évaluer le chemin parcouru en six décennies et de réfléchir à la manière de relever des défis de plus en plus nombreux et complexes, en particulier la restructuration de la dette des pays africains ou les effets néfastes des changements climatiques sur le développement du continent.
Les dirigeants de la Banque arrivent à Nairobi avec une nouvelle Stratégie décennale pour la période 2024-2033. Cette stratégie, qui vise à saisir les opportunités pour créer un continent prospère, inclusif, résilient et intégré, devrait retenir l’attention de ses actionnaires, surtout qu’elle prône une accélération de la croissance verte et inclusive et fait la promotion d’économies prospères et résilientes sur le continent qui prend en compte les jeunes et les femmes.
Au cours des Assemblées, la Banque présentera également son Rapport annuel sur le développement qui rend compte de ses actions sur le terrain en faveur de l’avancement économique et social du continent. Elle présentera également sa très attendue publication sur les Perspectives économiques en Afrique. Ce document phare, une référence pour les dirigeants politiques, les chercheurs, les investisseurs sur le continent, dresse l’évolution et donne des précisions sur les prévisions macroéconomiques des 54 pays du continent. Elles donnent en particulier les clés de la croissance et pointe les défis pour la transformation des économies africaines.
Faustin K. (Depuis Nairobi)