François Gaulme, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’IFRI, anthropologue et historien, dénonce l’instrumentalisation politique d’un concept identitaire, «congolité», susceptible de fragiliser la cohésion de la société congolaise. Il établit un parallèle avec le thème empoisonné de l’ivoirité en Côte d’Ivoire.
En République Démocratique du Congo, la «congolité», concept polémique apparu une première fois dans la perspective de l’élection présidentielle de 2006, revient à l’ordre du jour avec un projet de loi proposant que tout candidat à la présidence de la République soit de père et de mère nés dans le pays.
Déposée par le député NsingiPululu, elle émane en fait de Noël Tshiani, ancien directeur à la Banque mondiale et candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018. Il plaide pour la sélection exclusive de ce qu’il nomme des «candidats 100 % congolais», qui seraient de ce fait, prétend-il, «100 % fidèles au Congo».
Une grossière manœuvre politicienne
En réalité, cette initiative a toutes les apparences d’une grossière manœuvre politicienne, visant à éliminer une fois de plus la candidature de Moïse Katumbi, grand homme d’affaires, ancien gouverneur du Katanga et last but not least, président du Tout Puissant Mazembe de Lubumbashi, l’un des plus brillants clubs de football d’Afrique.
Empêché de rentrer d’exil pour pouvoir se présenter à l’élection de 2018, ce dernier serait de fait exclu à nouveau de la compétition si cette vision de la «congolité» s’imposait, puisque son père, grec, n’est pas né au Congo.
Il en allait déjà ainsi en 2006, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel depuis l’indépendance de l’ancien Congo belge : l’élaboration de l’idéologie de la «congolité» dans les années précédentes visait en fait à favoriser la candidature de Jean-Pierre Bemba, se proclamant l’héritier de Mobutu et de son «authenticité», au détriment de son rival Joseph Kabila, que l’on disait être d’origine rwandaise.
Cette campagne appuyée sur la xénophobie fut finalement sans effet, Kabila étant élu au second tour avec 58 % des voix face à Bemba. Mais elle rappelait, dans son élaboration comme son instrumentalisation cynique, d’autres manœuvres politiciennes autour de l’identité nationale avec le concept d’«ivoirité», dont l’expérience a montré qu’elle fut un véritable vecteur de guerre civile en Côte d’Ivoire.
Des frontières héritées des colonisateurs
L’une et l’autre de ces idéologies partagent un même vice originel, rédhibitoire, du fait de ce qu’Aristote, le père de la politologie, aurait qualifié de «contradiction dans les termes» : elles veulent figer l’identité nationale autour de frontières rigides. Mais celles-ci ont été héritées de colonisateurs européens du XIXe siècle qui n’avaient, en les dessinant, respecté ni la répartition des peuples africains, ni plus largement celles de leurs langues et de leurs cultures.
La même Europe qui venait de faire l’unité italienne et l’unité allemande sur un principe d’unité de langue et de peuple n’hésita pas à découper paradoxalement l’Afrique en «zones d’influence» sans tenir compte des réalités ethnico-linguistiques du continent.
Cette manière de créer de toutes pièces des États sans assises sociologiques solides se paye chèrement aujourd’hui, particulièrement en RDC. Comment en effet appuyer sur de telles bases un sentiment national dans un ensemble comprenant plusieurs centaines de langues et plus encore de peuples vivant sous des règles traditionnelles distinctes ?
Une tentative de solution à ce problème crucial pour la stabilité durable du pays, adoptée aussi en Côte d’Ivoire, fut de tenter de simplifier les données linguistiques et culturelles pour les réduire à quatre grandes entités dont la somme couvrirait ainsi l’ensemble du territoire national.
Pour ce qui est de la RDC, la Constitution de 2006 reconnaît, outre la langue officielle, le français, quatre langues véhiculaires «nationales», appartenant toutes à l’immense groupe bantu, qui va du Cameroun au Kenya et à l’Afrique du Sud : le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba.
Une contradiction intenable
Dans les deux cas, le caractère commun de ces ensembles réducteurs est que, dans leur formation historique comme dans leur réalité d’aujourd’hui, ils se déploient bien au-delà des frontières héritées de la colonisation européenne et reconnues par la communauté internationale.
Ils imposent donc aux États qui s’y réfèrent une ouverture sur l’extérieur et ne peuvent en aucun cas constituer la base d’une unité nationale fermée sur soi. Telle est la contradiction intenable à laquelle ne peut échapper, dans le cas ivoirien comme congolais, tout nationalisme xénophobe s’appuyant sur de telles conceptions.
Mais dans le cas de l’idéologie de la «congolité», il y a plus grave encore. Dans une RDCongo saturée de guerres civiles depuis son accès à l’indépendance, le nom de «Congo» complexifie encore la question de l’identité nationale et de ses racines historiques.
Contrairement aux frontières du pays, il est authentiquement africain, induisant ainsi une différence essentielle avec la problématique de l’«ivoirité», puisque le nom de «Côte d’Ivoire» renvoie historiquement au commerce européen avec l’Afrique ayant précédé la colonisation et n’est en rien associé à des cultures ou des États précoloniaux.
Les autorités ivoiriennes, d’ailleurs conscientes de cette difficulté, ont tenté de la surmonter en dotant aussi leur pays d’un surnom par analogie avec sa dénomination officielle, celui de l’«éléphant d’Afrique».
Le Zaïre de Mobutu
Il en va tout autrement de la «congolité». Qu’on le veuille ou non, elle reste implicitement associée au «royaume de Congo » découvert par les Portugais à la fin du XVe siècle et dont la capitale, Mbanza Kongo, se trouvait alors et se trouve toujours aujourd’hui sur le territoire de l’Angola actuel.
C’est ce royaume qui a donné son nom au fleuve qui le borde, appelé aussi «Zaïre» par les Portugais ayant transcrit ainsi son nom local, «zadi».
Mobutu, l’«homme du fleuve» parlant lingala et originaire des bords de l’Oubangui, décida en 1971 de nommer le pays «Zaïre». C’était confirmer symboliquement sa victoire antérieure sur le président Kasa-Vubu, qui représentait les Kongo (ou «Bakongo») dans un immense ensemble étatique au sein duquel ceux-ci, pensaient alors, du simple fait du nom de leur pays, pouvoir prétendre à une forme de prééminence par rapport aux autres peuples.
La «Congolité», est donc une arme d’affrontement interne encore plus terrible que l’«ivoirité ». L’inscrire dans une législation augmenterait le risque de guerre civile en RDC. Ce serait un piège mortel pour une cohésion nationale éminemment fragile.
François Gaulme (La Croix/France)