Contrairement aux trois premiers cycles électoraux de 2006, 2011 et 2018, la CENI (Commission électorale nationale indépendance) se dit être dans l’impossibilité d’afficher, comme il en est de coutume, les listes des électeurs dans les bureaux de vote. Denis Kadima, président de la CENI, s’en est expliqué, sans convaincre. Qu’est-ce qui a changé pour que la CENI de Kadima se démarque de ce que ses trois prédécesseurs ont fait. Suspense ! L’opinion publique, souvent sceptique, craint déjà de graves dysfonctionnements dans le processus électoral en cours qui pourraient bien remettre en cause sa crédibilité. En mode veille, le tandem CENCO – ECC a d’ores et déjà lancé l’alerte, obligeant la CENI à se conformer à la loi, c’est-à-dire procéder à l’affichage des listes des électeurs dans les bureaux de vote, et ce, dans le délai légal.
Il n’est pas bon d’être à la place de Denis Kadima, président de la CENI. Pièce maîtresse du dispositif électoral, Denis Kadima s’est fixé un challenge : réussir la tenue des scrutins du 20 décembre 2023. Si le président de la CENI ne cache pas sa détermination, sur le terrain, la CENI accumule des ratés qui ne rassurent presque plus. Le tout dernier en date est l’aveu d’impuissance de la CENI d’afficher les listes des électeurs, conformément à la loi.
A la CENI, on pense changer de process, outrepassant les prescrits légaux. Ce qui n’a jamais été le cas pendant les trois précédents cycles électoraux (2006, 2011 et 2018).
Si la CENI se dit être dans l’incapacité de publier les listes des électeurs pour des raisons logistiques, elle ne fera que renforcer le doute sur la crédibilité du cycle électoral en cours. Or, sur ce point, Denis Kadima a une côte de popularité bien en déçà de la moyenne.
Plusieurs questions restent donc pendantes. Seule la CENI en détient les bonnes réponses. Mais, pour combien de temps ? C’est tout le problème.
Une innovation qui intrigue
Toujours est-il que la CENI a innové dans la publication des listes des lecteurs. Selon la nouvelle méthode, les listes ne sont plus affichées au niveau des bureaux de vote. Pour contourner cette procédure, la CENI a commis à la place un agent, appelé «préposé à l’affichage», affecté à cette tâche au niveau de chaque antenne de la CENI. Une disposition qui ne figure pas dans la loi électorale, encore moins le manuel de procédures de la CENI.
La centrale électorale justifie cette manière de faire par diverses raisons, notamment par le fait «d’intempéries, de manque d’espace physique dans les antennes de la CENI et le risque de vandalisme de ces listes en lieu et place d’un simple affichage». Une justification qui ne convainc pas toutes les parties prenantes au processus électoral en cours, dont la communauté internationale, l’Opposition politique et une frange importante de la Société civile.
Mercredi, devant la presse, conviée au briefing sur la présentation des premiers résultats et perspectives des réformes de l’administration publique en cours de mise en œuvre, le porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya Katembwe, a reconnu l’impasse qui se dresse devant la CENI.
«… La CENI ne pourra pas afficher les listes des électeurs, notamment par manque d’espace physique dans les antennes pour éviter les risques de vandalisme des listes et d’intempéries en lieu et place d’un simple affichage. Le président de la CENI, qui se trouve à l’étranger, me l’a confirmé lui-même dans un entretien téléphonique, …», a révélé le porte-parole du Gouvernement.
Les faits sont donc réels. En matière d’affichage des listes des électeurs, la CENI a jeté l’éponge.
À la suite de cette annonce, la question de la crédibilité du processus électoral en cours se retrouve de nouveau au cœur des préoccupations de la classe politique congolaise et de nombreux citoyens, dans la mesure où l’affichage des listes des électeurs est une étape cruciale dans tout processus électoral, voulu crédible et démocratique. Il permet de vérifier l’exactitude des informations, d’éviter les doublons ou les erreurs, et surtout de garantir le droit de vote pour tous les citoyens éligibles. C’est un moyen de renforcer la confiance dans le système politique et d’assurer une participation active des électeurs. L’affichage permet autant qu’aux électeurs qu’à toutes les parties prenantes d’avoir l’assurance de la crédibilité du fichier électoral.
Si la CENI se dit ne pas être en mesure de le faire, elle s’expose à un flot de critiques – tout aussi légitimes. Bien plus, c’est sa crédibilité qui est en jeu.
Mauvais signe
Le non affichage des listes des électeurs donne finalement raison à tous ceux qui redoutaient toujours de la fiabilité du fichier électoral de la CENI de Kadima. Les faits leur donnent finalement raison.
En effet, certains acteurs de la Société civile et leaders des partis politiques de l’Opposition fustigeaient déjà une certaine opacité dans l’actualisation du fichier électoral telle que menée par la CENI de Denis Kadima.
Ils soulignaient que certaines personnes seraient exclues sans justification valable, ce qui pourrait remettre en cause leur droit fondamental de participer aux élections. Ces critiques révélaient un manque de confiance envers la CENI. Ils ont fâcheusement prêché dans le désert.
Du côté des experts électoraux, l’on rappelle que l’affichage des listes des électeurs est l’une des étapes essentielles de vérification du fichier des électeurs. La CENI avait renoncé à un audit international du fichier par un organisme indépendant pour privilégier un audit externe opéré par des experts étrangers de son obédience.
A y voir de plus près, l’audit du fichier électoral, tel que mené par la CENI, n’aurait pas été satisfaisant.
Catholiques et Protestants s’en mêlent
Dans un communiqué daté du mercredi 11 octobre 2023, la Mission d’observation électorale CENCO – ECC a étalé au grand jour ses inquiétudes. Elle recommande, par conséquent à la CENI, de prendre toutes les dispositions possibles afin que les listes électorales soient affichées à travers les antennes.
La MOE CENCO – ECC en appelle ainsi au Gouvernement de «faire sa part en sécurisant tous les sites où les listes électorales provisoires devraient être affichées». Selon la ligne 84 du calendrier électoral, cette publication devait intervenir dans la période allant du 22 mai au 18 septembre 2023.
Le communiqué indique : «La MOE CENCO-ECC comprend les raisons évoquées par la CENI qui privilégie la voie de consultation de ladite liste auprès d’un agent préposé plutôt que de l’afficher. Cependant, cette disposition prise par la CENI entame les prescrits des articles 6 de la loi électorale et 20 des Mesures d’application de cette Loi qui voudraient que tout électeur, tout candidat et tout parti ou regroupement politique puisse consulter ces listes de manière physique ou électronique». Et d’ajouter : «Il est clair que les conditions à fixer par la CENI ne devraient pas restreindre la consultation des listes à la simple vérification de la présence ou non du nom d’un électeur dans cette liste électorale. En plus, les partis et regroupements politiques devraient, par cette occasion, avoir un regard citoyen sur ces listes afin de les évaluer ».
Vu sous cet angle, la CENI doit agir le plus rapidement possible pour lever cette équivoque. La crédibilité du processus électoral en cours en dépend énormément en vue de rétablir la confiance des candidats et des électeurs.
Ne pas afficher les listes des électeurs, comme le prévoit la loi, c’est donner raison à ceux qui pensent que l’actuel fichier électoral fait le lit d’une vaste fraude électorale.
A 69 jours des scrutins du 20 décembre 2023, Denis Kadima a intérêt à envoyer des signaux qui rassurent.
Econews