Afrique du Sud : ambiance morose pour les 110 ans de l’ANC

Miné par la corruption, les divisions internes, les problèmes financiers et la désaffection des électeurs, l’ANC, le parti sud-africain historique, au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, a célébré samedi ses 110 ans dans un « piètre état».

L’anniversaire du Congrès national africain (ANC) marque traditionnellement, sur une note festive, le début de l’année politique en Afrique du Sud. Mais le moral était en berne, samedi 8 juin, dans les gradins clairsemés du stade de Polokwane, à 250 km au nord de Pretoria.

Certes, «l’événement était soumis aux restrictions anti Covid-19 et la jauge était limitée à 2.000 personnes», remarque News24. Mais selon les témoins, seules quelques centaines de personnes avaient fait le déplacement, preuve supplémentaire que les temps sont durs pour le parti de Nelson Mandela.

La plus grosse ombre au tableau est venue de la publication, cette semaine, de la première partie du rapport sur la corruption d’État pendant les mandats de l’ex-président Jacob Zuma, issu des rangs de l’ANC – comme tous les présidents sud-africains depuis 1994.

Lors des discours, « les leaders du parti ont offert différents points de vue sur la façon dont l’ANC devait gérer le rapport, qui met en cause plusieurs de ses membres », poursuit News24.

Le président du parti et chef de l’État, Cyril Ramaphosa, «a insisté sur le fait que l’ANC irait de l’avant, avec son plan de renouvellement et l’entrée en vigueur d’une règle» obligeant les personnes poursuivies pour corruption à quitter le parti, rapporte le Sunday Times.

Désenchantement

La règle « provoque de fortes dissensions au sein du parti », notamment auprès des nombreux partisans de Jacob Zuma, mais M. Ramaphosa a martelé que «l’unité du parti ne pouvait se faire aux dépens de la lutte contre la corruption », précise le quotidien.

«Nous devons avoir l’honnêteté d’accepter et d’affronter la réalité : les structures de l’ANC sont en piètre état », a notamment lancé le président sud-africain, cité par AP. Il a fustigé une organisation interne davantage au service « des intérêts personnels de ses dirigeants que des aspirations des communautés qu’ils sont censés servir ».

De fait, corruption et divisions ont fait le lit du désenchantement de la population, reflété dans les urnes : aux élections locales de novembre dernier, l’ANC est passé sous la barre des 50 % des voix pour la première fois de son histoire.

Une situation qui inquiète les alliés de l’ANC, «jadis porte-drapeau de la liberté et de la démocratie», souligne The Citizen. Le Parti communiste sud-africain et le Congrès des syndicats (Cosatu) ont ainsi exhorté le parti «à se reconstruire avant qu’il ne soit trop tard », car s’il y a « encore de l’affection pour l’ANC chez les travailleurs, leur colère face à ses échecs est palpable ».

Une femme présidente ?

Melanie Verwoerd, ancienne députée de l’ANC, confirme à Al-Jazeera que le parti est aujourd’hui «clairement en difficulté», et pas seulement politiquement. «Il souffre aussi financièrement, à cause d’une nouvelle loi sur le financement des partis politiques», explique-t-elle.

Selon l’ancienne parlementaire, l’ANC « est pratiquement en situation de faillite et n’est plus en mesure, depuis longtemps, de payer ses employés ».

Les déboires de l’une des pierres angulaires de la démocratie sud-africaine ne sont une bonne nouvelle pour personne, observe Daily Maverick. «L’ANC est toujours le seul parti politique capable de former une coalition d’intérêts dans notre pays », écrit le site. Mais malgré le « noble objectif » de vouloir « faire mieux » et de «travailler à l’unité», «le chemin qui s’annonce est encore parsemé d’embûches », avertit le titre.

Dans une colonne d’opinion, le Mail & Guardian suggère que le renouvellement des structures devrait s’accompagner d’un renouvellement des dirigeants, et que le temps est peut-être enfin venu de confier le parti à une femme.

«Contrairement aux valeurs et aux principes » du parti, «les dirigeants de l’ANC ont toujours privilégié les hommes, qui parlent au nom des femmes », écrit Motlalepula Rosho. «Alors que nous célébrons les 110 ans de l’ANC, rappelons-nous des mots d’Oliver Tambo », ancien président du parti et compagnon de route de Nelson Mandela, qui affirmait que «la lutte ne serait terminée qu’avec l’émancipation des femmes ».

«Nous n’en aurons la preuve que lorsque les femmes seront à la tête de l’organisation au niveau local, régional, provincial, mais aussi national », observe-t-elle.

Econews avec Courrier international