Au lendemain du divorce FCC – CACH : En janvier 2021, Emile Bongeli alertait sur le front contre Kabund : l’UDPS subira-t-elle le même sort ?

En janvier 2021, à la suite de la déroute du FCC (Front commun pour le Congo) à l’Assemblée nationale, Emile Bongeli Yeikelo ya Ato, professeur de sociologie, n’avait pas mâché ses mots à l’endroit de l’ancien coordonnateur du FCC, Néhémie Mwilanya, dans une tribune, intitulée « Juridisme contre pragmatisme en période de crise politique ».

Selon lui, la grave erreur commise par le FCC est d’avoir ouvert un front contre Jean-Marc Kabund qui réussira, quelques jours après, à faire basculer la majorité parlementaire.

Au moment où un vent violent souffle dans les rangs de l’UDPS, la tribune du professeur Bongeli retrouve sa place dans l’actualité politique. Une année après sa tribune, l’UDPS, le parti au pouvoir, serait dans le même décor que le FCC. Retombera-t-elle dans le même piège en isolant Kabund ? Difficile à prédire.

Voici néanmoins la tribune du professeur Emile Bongeli datée de janvier 2021.

«Juridisme contre pragmatisme en période de crise politique»

Cette réflexion porte sur la lutte entre les membres de la coalition FCC-CACH, au pouvoir qu’ils s’étaient convenus de gérer ensemble.

Dans l’euphorie collective, il était difficile de produire une analyse froide sur cette coalition au pouvoir, du fait de mon statut de membre (même passif) de la composante FCC, majoritaire et en décomposition à la suite des maladresses et trahisons enregistrées au profit du CACH, minoritaire et en quête de se constituer stratégiquement une majorité de fait au Parlement.

Maintenant que les horizons se sont éclaircis, il importe, pour l’intérêt de la compréhension scientifique des luttes qui se mènent sur le champ de la politique, de faire une analyse des stratégies des uns et des autres et tenter de dégager les constantes explicatives des faits, gestes, paroles des uns et des autres acteurs politiques en compétition.

Je résume ici les deux tactiques des deux groupes en compétition en deux types.

D’une part, il y a les partisans du respect des textes (juridisme) et, d’autre part, les rompus à la stratégie des pratiques politiciennes (pragmatisme). Analyser comment les deux adversaires collectifs se sont affrontés sur le ring de la politique active aux fins de s’arroger la suprématie, si pas le monopole dans l’exercice du pouvoir, c’est l’objectif de ce regard qui se voudrait tout simplement scientifique.

Ici, j’essaie de rendre compte, à la manière de Machiavel, du duel entre juridisme et pragmatisme pour démontrer que dans l’aspect peu (ou non) éthique de la politique, celui de la lutte pour accéder ou se maintenir dans les rênes du pouvoir politique, le juridisme (qui soutient l’état des choses existant) est souvent, en période de crise, démonté par le pragmatisme de la tactique politicienne dont se servent ceux qui veulent s’emparer du pouvoir. Le juridisme, actif en période de stabilité politique qui induit l’assurance juridique, devient inopérant et contreproductif en période de crise où la tactique politicienne, lorsqu’elle est intelligemment déployée, garantit la certitude de la victoire.

Qu’est-ce que le juridisme ?

C’est le recours systématique aux textes juridiques qui régissent le fonctionnement d’une société politiquement organisée. En effet, dans les structures de toute communauté humaine, on trouve en sous-bassement la base matérielle (infrastructure de production des ressources, selon la terminologie marxiste) sur laquelle se greffe une superstructure politico-juridique (organisatrice et régulatrice) et culturelle (idéologique).

Le droit, comme instrument de la politique, consiste en des dispositions prises par les tenants du pouvoir pour imposer un ordre systémique à tous, sous peine de sanctions prévues par ce même droit. Etant eux-mêmes producteurs de ce droit qui sert leurs intérêts, les acteurs au pouvoir ne s’embarrassent guère d’en violer les dispositions dès lors que celles-ci deviennent gênantes et portent atteinte à leurs intérêts sous toutes les formes.

S’attacher fébrilement au respect des textes en période de crise politique ne peut que réduire les marges de manœuvre de l’individu ou du groupe politique ayant en face des adversaires rompus à la tactique politicienne. L’illustration, dans le cas d’espèce, en est faite par la facilité et la rapidité avec laquelle le FCC, majoritaire et puissant, a été facilement défait et diabolisé par le CACH, minoritaire dans la coalition. Ce dernier a réussi à retourner l’opinion publique en sa faveur, jusqu’à accuser son adversaire de l’avoir rendu incompétent.

Secret de polichinelle : le FCC piloté par des jeunes juristes plombés dans un juridisme métaphysique ne pouvait résister aux assauts tactiques des vieux routiers de la politique congolaise, rompus, eux, à la tactique politicienne.

En quoi consiste cette tactique politicienne ?

Rien d’autre que des actions politiques menées sans grand souci éthique, quelquefois même avec cynisme pour affaiblir l’adversaire politique. Ces actions vont des campagnes médiatiques mêlant le faux et le vrai, l’info et l’intox aux coups politiques en violation et/ou conformément aux textes d’accords fragiles, sinon fragilisables, aux attaques surprises avec des coups politiques assenés avec suffisamment d’intelligence pour être politiquement mortels…

Ces genres d’offensives réussissent mieux en politique quand on a en face un groupe d’adversaires apparemment fatigués et sybarites, dormant sur leurs lauriers, pensant être dans le bon parce qu’illusoirement soutenus par des textes de lois et des accords signés qui, dans cet état de crise, ne valent rien de plus que les papiers froissables, jetables ou calcinables sur lesquels ils sont consignés.

Le pragmatisme a aussitôt fait du CACH une machine politique redoutable et puissante.

Et face au rouleau compresseur du CACH (guidé, reconnaissons-le, par des personnalités politiquement intelligentes et pragmatiques recrutées dans la banque des données mobutiste), on a tout de suite enregistré des gesticulations d’un FCC visiblement dépassé sous une direction abandonnée à une faction des jeunes juristes arrogants mais incompétents, incapables de lire les signes des temps, déconnectés de la vie réelle et marchant la tête en bas.

Face aux coups de massues politiciens visiblement bien pensés et visés, les technocrates du FCC continuaient à opposer des armes faites d’acrobaties et autres idioties juridistiques, en tentant de couper le cours d’eau à la machette jusqu’au niveau de se blesser eux-mêmes, et donc de couler avec le bateau dont ils prétendaient pourtant tenir efficacement la commande.

Et comme dans le scénario d’un navire qui chavire, c’est la pagaille totale suivie d’un sauve-qui-peut pour chaque passager. L’on note, pour le cas présent, que dans son pragmatisme, le camp adverse avait pris soin de positionner, aux alentours du lieu de naufrage, un navire de sauvetage appelé Union Sacrée pour la Nation, chargée de secourir les naufragés du FCC qui, d’ailleurs, se précipiteront en désordre pour trouver une place à bord du sauveteur.

Ceux du FCC qui ont résisté s’activent, à ce jour, à vider l’eau débordante qui a failli emporter leur embarcation.

Unanimement, ils demandent au vrai capitaine de vaisseau (son Autorité morale) de leur débarrasser de la présence de celui à qui il avait confié le gouvernail et de tous ses matelots qui l’entouraient lors du naufrage en cours ou évité de justesse (c’est selon).

Le juriste qui criait haut et fort « le FCC c’est moi », qui distribuait ordres, invectives, menaces, etc. par l’arrogante et non vérifiable formule intimidatrice « l’Autorité morale a dit », se retrouve enfin démasqué dans son incompétence et unanimement désavoué. En effet, c’est à cause de lui (malheureusement pour le FCC et heureusement pour le CACH), à la suite de son orgueil, de son arrogance, de sa suffisance, de son intempérance, de son incompétence, de sa déconnexion de la réalité… bref, de ses boursouflures que le FCC a failli rendre définitivement l’âme en perdant, en un tournemain, les fauteuils du pouvoir sur lesquels les membres du FCC, étaient assis, tous constipés, jouisseurs et distraits.

Comment se sont passés les faits ?

Avant la passation pacifique et civilisée du pouvoir par le Président sortant à un Président entrant issu de l’opposition radicale, une grande et unique première en RDC, les deux personnalités concernées avaient négocié un accord pour la gestion coalisée du pouvoir. La répartition des postes était tout aussi bien négociée, l’entrant ayant le pouvoir de Chef de l’Etat et l’autre conservant une majorité parlementaire.

Alors que tous célébraient cette coalition FCC-CACH qui, concrètement, avait sauvé le pays d’une guerre civile meurtrière après la crise électorale à laquelle tous étaient mêlés, y compris les Eglises, la suite va donner raison aux oiseaux qu’on croyait de mauvais augure pour avoir qualifié cette coalition de contre-nature.

Tôt déjà, les divergences de vues se sont manifestées. Les uns (FCC), après 18 ans de permanence au pouvoir, ont continué à se comporter comme s’ils étaient encore toujours seuls au pouvoir. Les autres (CACH), après 37 ans d’opposition sans merci contre les 3 précédents régimes, ont continué à se comporter aux commandes de l’Etat comme s’ils étaient encore et toujours dans l’opposition. Entre les deux camps, restés étonnamment ennemis même au sein de leur coalition au pouvoir, aucun modérateur, les Eglises et la Société civile ayant troqué leur neutralité qui aurait pu aider à modérer les deux parties en empoignades au sein même du staff qui dirige du pays.

Du côté FCC, la voie de la sagesse était tournée en dérision. L’arme juridique était constamment brandie par son juriste de coordonnateur, visiblement peu mature en politique. Hautain, imbu de lui-même, il s’était fait entourer par une poignée de pairs juristes, tous aussi inexpérimentés, alors qu’en face, on a positionné de véritables professionnels de la politique (« animaux politiques »).

Le puissant coordon du FCC s’était également arrangé pour couper tout contact entre l’Autorité morale et les autres membres de ce regroupement politique qu’il a, par ailleurs, pris soin de priver de toute structure organisationnelle (le FCC c’est moi). Faisant dès lors couver, certes à son insu, nombre d’aigris qui n’attendaient qu’une étincelle pour quitter le navire FCC, la classe politique congolaise étant mondialement reconnue pour sa grande propension à la transhumance politique.

En effet, le style de coordination adopté au FCC était teinté de distanciation (même téléphonique), de mépris, d’arrogance, de chantage et même de trafic d’influence (l’autorité morale a dit…). De quoi prêter le flanc à l’autre camp qui a mis au point des techniques d’approche faite de paroles mielleuses, attrayantes, rassurantes et savamment mêlées à un chantage de recourir à la dissolution du Parlement au cas où… Cependant, cette menace était douce et bien voilée dans les discours séduisants pour les élus peu sûrs de réélection.

La coordination du FCC avait également, peut-être inconsciemment, paralysé la machine communicationnelle du FCC en écartant les rompus en la matière au profit d’un bataillon de copains, jeunes, sans expérience et incapables de tenir tête à la compression communicationnelle adverse.

Même alors, au lieu d’assurer l’encadrement de ces jeunes par de vieux routiers du domaine, prêts à le faire bénévolement, le puissant patron de ce groupement politique les fera soi-disant former à grand frais par un journaliste étranger inconnu, au moment où le camp adverse s’assurait le service d’un brillant journaliste qui a fait ses preuves en interne comme en international, en théorie (il est professeur, chercheur et auteur) comme en pratique (il est professionnel éprouvé des médias, sous Mobutu et à Radio France Internationale).

«Monsieur FCC » était aussi boosté par la faiblesse au niveau de l’action gouvernementale. Dans un régime à juste titre qualifié de « primo-ministériel » eu égard à la pertinence des attributions constitutionnellement dévolues à la Primature, un Premier ministre plus politique et plus actif aurait pu jouer sagement à la médiation, à l’apaisement, à la réconciliation des points de divergence. Mais « Monsieur FCC » était plus présent dans les médias que le Premier ministre (plus même que les services de communication de ce dernier). A chaque apparition, on pressentait l’absence de sagesse : déclarations arrogantes, choquantes, pas de nature à apaiser les esprits… Si bien que le camp adverse, se sentant bien aguerri dans des situations conflictuelles, profita du flanc lui prêté pour se lancer, comme dans un combat sauvage, dans des attaques et contre-attaques qui se sont révélées mortelles pour le FCC.

Entretemps, fort de la pseudo-force que procure le mirage juridique, le FCC, avec ses communicateurs qui confondent régulièrement injures et messages, se sont mis à multiplier les maladresses, inconscients du fait que le pouvoir avait changé de camp, que le contrôle des médias publics, la signature légalisante, le privilège d’orientation et de décisions… avaient déjà été cédés lors de la passation pacifique et civilisée du pouvoir. Ce en quoi ils se sont mis à l’école de leurs adversaires du CACH qui, endurcit par les dures expériences des 37 années d’opposition toujours radicales, savaient bien nager dans l’univers populiste congolais.

Mais, comme la copie même conforme à l’original n’est que copie, il était difficile aux membres suffisants du FCC d’égaler leurs adversaires en communications offensives et violentes, en recours à de fortes et irrésistibles mobilisations de masses, en chantages… tout cela soutenu par la disposition d’un impérium légitimé par les masses fortement idéologisées.

On l’a vu, lors de la démission forcée d’un vice-Premier ministre FCC, comment la puissante machine populiste a fonctionné pour normaliser la défenestration d’un membre influent du gouvernement à la suite d’un incident mineur. On l’a davantage vécu lors de la prestation de serment des trois juges constitutionnels et de l’écroulement annoncé du Bureau de l’Assemblée Nationale. Parlons-en un peu, même brièvement.

Tout a commencé avec la déchéance non réfléchie du 1er vice-président du Bureau de l’Assemblée nationale, à la suite d’un incident qu’on aurait dû minimiser si on y mettait un peu de sagesse. En effet, il eut été plus stratégique de garder le personnage au perchoir d’où on pouvait le contrôler. Mais, dans une euphorie insensée, on a préféré sa défenestration de la manière que l’on sait, le jetant ainsi dans la rue dont il a une expertise avérée et inégalée de mobilisation. Débarrassé des brides que lui imposait sa position d’autorité parlementaire, il pouvait enfin opérer librement. Ce qui fut fait avec une redoutable compétence, car les triomphalistes du FCC n’ont eu aucun répit pour savourer leur pseudo victoire.

Le CACH n’avait pas trouvé mieux que cette personnalité déchue pour retourner la situation en sa faveur. En effet, non seulement le (mal)heureux déchu a empêché l’élection de sa remplaçante pourtant désignée par la hiérarchie du parti, mais il a aussi réussi à ruiner les espoirs du Président de la CENI désigné dans la controverse des hommes d’Eglise visiblement divisés… Mais surtout, avec une cynique et admirable efficacité politicienne, il a été dans toutes les étapes, dans toutes les manœuvres qui ont conduit à la chute humiliante du Bureau FCC à l’Assemblée nationale, Bureau constitué de ses ex-collègues.

L’ultime maladresse du FCC noyé dans un juridisme embrouillant fut l’occasion saisie par les stratèges du CACH pour déployer habilement le coup final et fatal. En effet, le FCC a fait montre du comble de zèle à la suite de la nomination, semble-t-il en violation des accords (Ô juridisme, comme tu sais aveugler !), de trois nouveaux juges à la Cour Constitutionnelle, sans le contreseing (constitutionnel) du Premier ministre.

La sagesse n’étant pas au rendez-vous là où l’hystérique euphorie «fccéenne » s’était enracinée, le FCC s’engagera, derrière son puissant coordonnateur, dans un débat juridique stérile (comme toujours) sur le contreseing, sur le respect de la Constitution, sur le respect des textes, sur le respect des engagements pris lors des accords désormais bidons… bref, sur toutes ces questions qu’on n’aurait pas dû se poser dans un contexte d’extrême compétition politique.

Du coup, il devenait, aux yeux de l’opinion chauffée par l’agressive communication adverse, illogique d’empêcher un Chef de l’Etat de remplacer des juges nommés par son prédécesseur ! Il devenait donc de plus en plus crédible que le FCC s’était érigé en instance de blocage de l’action du Chef de l’Etat. Il n’y avait alors plus qu’un pas, vite et allègrement franchi, pour diaboliser l’ancien pouvoir, pour rendre les 18 ans passés responsables de tous les malheurs de la RDC, pour tourner en dérision tout le travail abattu sous le régime FCC, pour réclamer en chœur le divorce de la coalition contre-nature FCC-CACH, etc. Le discours de divorce du Chef de l’Etat ne pouvait donc qu’être enthousiasmant pour les masses populaires congolaises préparées à ce sujet.

Qu’en tirer comme leçon théorique ?

Membre non actif du FCC, j’éprouvais tant de chagrin de voir l’embarcation dans laquelle j’étais engagée aller à la dérive, vers un naufrage qu’on pouvait bien éviter. Croyant venir en aide à nos injoignables coordonnateurs, j’avais entrepris quelques réflexions écrites et télévisées sur la nécessité pour les camps qui s’empoignaient au sein de leur coalition de modérer leurs propos en vue de sauver une coalition qui avait assuré la paix au pays.

Cependant, alors que de partout je recevais des messages d’encouragements pour mes propositions de paix négociée entre gens du pouvoir, les échos qui me parvenaient de ma famille politique étaient plutôt défavorables, frisant même la menace. Et le sort que subit aujourd’hui le FCC est consécutif à la déraison qui a caractérisé son puissant et attitré coordonnateur qui, usant et abusant de la confiance de l’Autorité morale absente de la scène publique active, n’a pas su manager en homme politique ouvert. Par contre, il a préféré fonctionner en JURISTE suffisant, borné dans une métaphysique propre à son métier. Or, en toute chose, l’humilité, la modestie et l’ouverture d’esprit doivent être de mise.

Au plan de la sociologie politique, les faits vécus et relatés ici veulent confirmer les thèses que nous avons toujours avancées contre le juridisme en politique active. Les faits qui font problème ne seront pas résolus par des lois surannées et d’inspiration extérieure. Seuls les débats portés sur les problèmes sociaux réels et concrets nous affranchiront des marécages où nous embourbe un juridisme relevant de la métaphysique aristotélicienne.

Entretemps, le pays ne fait que sombrer. Plus que jamais, invitons Machiavel à la rescousse. Janvier 2021.        

Prof Emile Bongeli Yeikelo ya Ato

Sociologue