Au nom d’une «fiscalité punitive», selon la FEC : Gouvernement et miniers à couteaux tirés

Louis Watum, président de la Chambre des mines de la FEC

Dans le cadre d’un forum, organisé dernièrement à Kinshasa, autour de « l’activité minière en RDC et ses défis : évaluation du Code minier révisé de 2018 », la Chambre des mines de la FEC (Fédération des entreprises du Congo) a fustigé une fiscalité qu’elle juge «punitive» et qui, à terme, pense-t-elle, risquerait de créer un vent de désinvestissement dans le secteur. Au terme de ce forum, la Chambre des mines a adopté une série de recommandations, dans l’espoir que le Gouvernement en prenne compte dans le prochain round de négociations. La Commission «Fiscalité et Douane» de ce forum a répertorié des goulots d’étranglement qui plombent les acticités des entreprises minières. Une position qu’embouche Engunda Ikala, un analyste indépendant », qui est d’avis que « la stabilité du régime minier est une grosse arnaque ». « A mon sens, écrit-il, au regard des investissements miniers industriels que nous souhaitons attirer en RDC, la stabilité du régime fiscal minier actuel ne constitue en rien une stabilité. Il faut avoir le courage de le reconnaître et de repenser cette notion de +stabilité du régime fiscal+ afin de se donner les moyens d’attirer des gros investissements miniers ». Voici en intégralité la tribune d’Engunda Ikala et les recommandations formulées par la Commission fiscalité et douane de la chambre des mines de la FEC.
Econews

Stabilité du régime fiscal minier en RDC : grosse arnaque !

La RDC est un scandale géologique. On y trouve de l’or, du cobalt, du cuivre, du lithium, du coltan etc.… Ces avantages naturels se reflètent notamment par un taux de croissance positive du pays, poussé en grande partie par le secteur minier.
Cependant à y regarder de plus près, cette potentialité me semble sous exploitée. En effet, lorsque j’analyse l’état des titres miniers, daté de juillet 2021, il ressort qu’il existe sur les 388 titres miniers d’exploitation actifs appartenant à des entités privées. Afin d’identifier dans cette catégorie les entreprises réellement en exploitation, la compilation des données, notamment la redevance minière (paiement à l’exportation), nous constatons que sur les 839 millions USD de redevance minière payés entre 2018 – 2020 et partagé entre le pouvoir central, la province, les ETD et le FOMIN, 59%, soit 486 millions USD sont payés par seulement 4 entreprises qui ne possèdent en tout que 26 permis d’exploitation de substance minérale, soit environ 3,5% des permis d’exploitation de substance minérale existant en RDC. Il s’agit de :
• Tenke Fungurume Mining : 182 millions USD
• Mutanda Mining : 157 millions USD
• Kamoto Cooper Company : 79 millions USD
• Kibali Gold Mines : 78 millions USD.
Au regard des potentialités géologiques de la RDC, cette constatation est une anomalie, le secteur minier industriel d’un tel pays ne peut reposer que sur quelques entreprises.
D’où, la question doit être comment attirer des gros investissements miniers de type KCC, Kibali Gold Mines, Tenke Fungurume, Mutanda Mining ? Pour cela, il faut saisir les besoins de ses gros investisseurs et ils sont connus. Il s’agit notamment de l’exhaustivité et la stabilité du régime fiscal, c’est-à-dire indiquer très exactement à l’investisseur ce qu’il devra payer en matière de fiscalité et la période durant laquelle ce régime fiscal ne va pas changer à son égard.
Vu l’historique d’instabilité de la RDC, ses aspects, notamment «la stabilité du régime fiscal» sont fondamentaux pour attirer des gros investissements miniers et c’est pourtant là qu’il y a un déficit énorme qu’il faut corriger. Je m’explique !
Selon l’article 276 du Code minier la clause de stabilité est de 5 ans à dater de l’entrée en vigueur du code minier révisé, soit le 9 mars 2018 ou dès l’octroi du titre d’exploitation pour ce qui se verront octroyer des droits miniers d’exploitation après le 9 mars 2018.
Pour comprendre l’absurdité de cette durée ridicule de la stabilité du régime fiscal minier il faut saisir qu’un investissement minier de type KCC, Tenke Fungurume ou Kibali Gold Mine comprend plusieurs phases d’exploitation. En effet, ce type d’investissement extrêmement lourd, qui se chiffre en milliards USD, ne commence pas par la production au lendemain de l’octroi de droits d’exploitation.
En toute logique, l’on débute logiquement par la construction de l’usine qui prend 2 à 4 années. Par la suite en passe à la phase d’amortissement de l’investissement qui prend 6 à 10 années et c’est seulement après que l’investisseur débute à la jouissance des bénéfices.
Partant de ces faits, la stabilité du régime fiscal d’une durée de 5 ans, à compter de l’octroi de droits d’exploitation, n’a vraiment aucun sens car il couvre à peine le temps de la construction de l’usine. L’exploitation proprement dite sans parler du temps de l’amortissement de l’investissement ne pourront bénéficier de cette stabilité du régime fiscal. Ainsi, dans sa forme actuelle, la stabilité du régime fiscal minier en RDC ne représente pas, au regard d’un investissement minier industriel, une quelconque stabilité du régime fiscal car au moment où l’investisseur débutera son exploitation, il ne pourra pas en jouir vu que la durée se sera épuisée le temps de la construction de l’usine.
Engunda Ikala (CP)

Recommandations de la Commission fiscalité et douane de la Chambre des mines
la problématique du non-respect du principe de l’exhaustivité et exclusivité du régime fiscal du secteur minier : il a été recommandé de se conformer aux dispositions de l’article 276 du Code en récusant toute législation contraire au Code minier et de saisir le Gouvernement pour dénoncer toute pratique contraire.
– le non-respect des dispositions de l’article 234 alinéa 3 qui limitent le taux des redevances à payer à l’exportation à 1% de la valeur commerciale brute : il a été recommandé d’harmoniser les vues pour avoir une seule valeur de base et c’est la valeur commerciale brute tel que le dit le Code minier et de faire respecter cette interprétation à toutes les parties.
– la problématique de la non-application des dispositions de l’article 220 alinéa 3 : il faut adopter les principes de base en matière d’allègements à accorder aux provinces requérantes pour éviter la discrimination fiscale.
– la difficulté d’interprétation des articles 71 et 80 au sujet de la participation gratuite de l’Etat lors de l’obtention du permis et lors du renouvellement dudit permis d’exploitation : il a été recommandé d’améliorer la législation en apportant des éclaircissements en cas de détention de plusieurs permis pour un seul projet minier et de prendre une mesure réglementaire pour expliciter.
– la problématique du non remboursement du crédit TVA : mettre en place la franchise TVA (qui permet de suspendre la collecte de la TVA à l’intérieur) afin de soulager l’industrie locale et la rendre compétitive dans le secteur minier.
– la problématique de l’Impôt Spécial sur les Profits Excédentaires ou l’impôt sur les supers profits sur des bases contestables : il a été recommandé de convoquer une séance d’harmonisation des vues entre la tripartite Présidence-Gouvernement-FEC.
– la problématique de réclamation de l’impôt sur les engins qui circulent dans le site minier et leur immatriculation : il faut faire respecter les dispositions des lois.
– la problématique de perceptions irrégulières dans Sydonia et hors Sydonia lors des opérations d’exportation des produits miniers marchants : il faut faire appliquer la Loi en la matière et le cas échéant rémunérer ces services avec les 1% de droit de sortie collectée par la DGDA.
– la problématique de la multiplicité des plateformes : il faut appliquer le Décret limitant le nombre des services opérationnels aux frontières.
– la problématique des contentieux douaniers sujets à plusieurs mesures de contrainte précipitées à l’encontre des entreprises minières, bloquant ainsi leurs opérations d’Import/Export : il faut respecter la procédure de débats contradictoires.
– le problème de l’assainissement de l’espace professionnel des commissionnaires en douane et persistance du manque ou de la mauvaise connexion Sydonia.