Blanchiment des capitaux et financement du terrorisme : une grave menace pèse sur la RDC

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En matière de lutte contre le blanchiment des capitaux (BC) et le financement du terrorisme (FT), la République Démocratique du Congo est loin répondre aux 40 recommandations du GAFI (Groupe d’action financière ». De plus en plus, le pays court le risque d’être classé parmi les « pays voyous » qui servent de plaque tournante en matière de BC/FT. Le GABAC (Groupe d’action de lutte contre le blanchiment d’argent en Afrique Centrale) a, depuis son rapport d’évaluation d’avril 2022, tiré la sonnette d’alarme sur ce grand danger. A cet effet, il a proposé 18 mesures prioritaires à mettre en œuvre pour rattraper le retard et éviter la liste noire du GAFI.
La République Démocratique du Congo (RDC) fait face à un éventail de facteurs qui l’exposent à des activités criminelles de BC/FT (Blanchiment des capitaux et financement du terrorisme). La structuration de son économie avec une prépondérance du secteur informel, la forte utilisation du numéraire du fait du faible niveau d’inclusion financière, la forte dollarisation de l’économie du fait du faible contrôle opérationnel des changes, l’absence d’un système d’identification fiable, la corruption généralisée créent un environnement criminogène propice aux activités de blanchiment des capitaux. Ces risques sont accentués par la perpétration de crimes économiques et environnementaux générateurs de produits susceptibles d’intégrer le processus de blanchiment tels que : les détournements de deniers publics, la fraude douanière et fiscale, l’exploitation illégale de ressources naturelles, la criminalité faunique et ligneuse.
La RDC est également exposée aux menaces du terrorisme et de son financement du fait de la présence de groupes et bandes armés non étatiques pouvant se livrer à divers trafics illicites, de son environnement géographique et sécuritaire immédiat, notamment avec l’instabilité de certains pays voisins accentué par la porosité des frontières.

L’alerte de GABAC
Selon le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique Centrale (GABAC), la RDC est un mauvais élève dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Etabli en avril 2021, le rapport d’évaluation mutuelle de la RDC sur les efforts fournis par le Gouvernement pour lutter contre le blanchiment des capitaux note qu’en cette matière, la RDC accuse un grand retard.
Désormais, le GAFI menace de classer la RDC sur la liste noire de « pays voyou » qui servent de plaque tournante dans le blanchiment des capitaux, avec les conséquences énormes sur le secteur bancaire et financier du pays.
Selon Ernest Mpararo, secrétaire exécutif de la LICOCO (Ligue congolaise de lutte contre la corruption), la RDC a été évaluée d’abord par le groupe régional des évaluations de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Le résultat a montré que le pays satisfait seulement à quelque cinq ou sept indicateurs sur quarante du GAFI« On a donné à la RDC le temps de se conformer en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, notamment le vote des lois et mesures réglementaires », note-t-il.
Ainsi, la RDC risque gros en cas des sanctions de GAFI. Le secteur bancaire sera lourdement touché en priorité, les investissements subiront le même sort. Conséquence, la prospérité serait à l’arrêt.
L’histoire renseigne qu’en RDC de nombreux flux financiers circulent hors circuit bancaire. La situation inquiète aussi les Etats-Unis, dont les diplomates multiplient des missions en RDC pour alerter les autorités congolaises. Le procès, dit de 100 jours, en est une illustration. A cela s’ajoute l’affaire de la décote des pétroliers, révélée en 2019, où 15 millions de dollars US avaient disparu de la Rawbank en l’espace de cinq jours.
D’après les experts, la lutte reste faible. De nombreux services de contrôle du pays ne collaborent pas entre eux, pas d’échange d’information, pas de confiscation des avoirs, les lois déposées au parlement pour renforcer la répression n’ont jamais été votées.
Pour échapper à cette sentence, lourde de conséquences sur le secteur bancaire et financier de la RDC, Kinshasa est appelé à renforcer sa législation par l’adoption des lois et règlements destinés à renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cependant, sur le terrain, rien ne rassure.
Dans le rapport consacré à la RDC, le GABAC prend, en guise d’illustration, un protocole d’entente datant de 2010. « Par un protocole d’entente signé le 9 septembre 2010 entre la CENAREF et l’Association Congolaise des Banques, les banques sont dispensées de faire des déclarations automatiques à la CENAREF concernant les personnes politiquement exposées, sauf en cas de soupçon de BC/FT ou de demandes expresses de la CENAREF, ce qui réduit l’utilisation des renseignements financiers et n’est pas en cohérence avec le profil de risque du pays ».
Ceci veut dire qu’une autorité du pays – national ou provinciale – peut déposer sur son compte en banque de grosse sommes d’argent sans que la banque ne lui pose l’obligation d’en informer au préalable la CENAREF (Cellule nationale de renseignements financiers) pour que cette dernière l’interpelle afin de prouver l’origine des fonds déposés dans son compte. Une entente qui porte un coup dur dans la lutte contre le blanchiment des capitaux.
Annuler ce protocole d’entente de 2010 serait déjà un pas dans le sens des recommandations du GAFI.

Synthèse du rapport d’évaluation mutuelle de la RDC
Les autorités compétentes de la RDC ont globalement une faible compréhension des risques de BC/FT auxquels est exposé le pays. Toutefois, elles ont adopté la loi n°04/016 du 19 juillet 2004 pour encadrer la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Elles ont par ailleurs pris des initiatives institutionnelles visant à renforcer cette lutte, notamment la création de la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF), du Comité consultatif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLUB), du Comité National de Coordination de Lutte contre le Terrorisme international (CNCLT), du Fonds de Lutte Contre le Crime Organisé (FOLUCCO) et de l’Observatoire de Surveillance de la Corruption et de l’Ethique Professionnelle (OSCEP). Mais ce cadre juridique n’est pas adapté aux recommandations du GAFI, telles que révisées en 2012, et les ressources mobilisées ne permettent pas au cadre institutionnel de produire les résultats satisfaisants.
La RDC est particulièrement exposée à des risques de BC liés à l’intégration dans le système financier des produits issus de la corruption, des détournements de deniers publics, de la fraude douanière et fiscale, du braconnage, du trafic d’espèces fauniques et d’essences forestières protégées, du trafic de minéraux. Ces risques sont accentués par des vulnérabilités inhérentes à l’importance du secteur informel, la prépondérance de l’utilisation du cash dans les transactions financières, le faible niveau de l’inclusion financière et l’insuffisance du cadre législatif et réglementaire encadrant les EPNFD (Entreprises et Professions Non Financières Désignées) et les ASBL.
Le risque de FT est également important en raison du contexte sécuritaire marqué par l’activisme de groupes et bandes armés, l’instabilité de certains pays voisins dans la partie orientale et la porosité des frontières.
La RDC n’a pas encore défini des procédures et mécanismes de traitement des listes établies au titre des Résolutions 1267 et 1373 de Nations Unies, d’où la difficulté de mise en œuvre des sanctions financières ciblées contre les personnes listées. Les procédures de gel et confiscation des avoirs et autres biens des terroristes ne sont ni définies, ni mises en œuvre.
La RDC dispose d’une cellule de renseignements financiers (CENAREF) qui traite, analyse et dissémine les déclarations qu’elle reçoit des entités déclarantes relatives aux soupçons de BC/FT. Le nombre de DOS reçues par cette cellule reste très faible au regard de la démographie et du potentiel délictuel du pays. Vingt (20) rapports ont été transmis aux autorités judiciaires, mais un seul a donné lieu à un jugement à la suite d’une requalification des faits. La CRF (Cellule de Renseignements Financiers) congolaise a une opérationnalité limitée. Elle ne dispose pas de système de sécurisation fiable des informations. La protection des informations transmises à cette structure est souvent remise en cause par certains assujettis qui expliquent ainsi la faiblesse du nombre de DOS transmises malgré la structuration de l’environnement criminogène.
Le dispositif congolais de LBC/FT est fragilisé par la capacité et l’intégrité morale assez limitées des enquêteurs et des magistrats dans le cadre des poursuites judiciaires sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Les insuffisances du cadre législatif et réglementaire laissent certaines IF et EPNFD en dehors du champ d’application de l’ensemble des mesures préventives relatives à la LBC/FT. En ce qui concerne le devoir de vigilance relatif à la clientèle, des instructions ont été publiées par la Banque Centrale du Congo (BCC) pour compléter et faciliter l’application de la loi anti-blanchiment, en vue de la mise en œuvre efficiente des obligations de vigilance. Celles-ci ne s’appliquent cependant qu’aux Etablissements de crédit (banques, institutions de micro-finance, COOPEC, caisses d’épargne, institutions financières spécialisées, sociétés financières), excluant les autres institutions financières du champ d’application, notamment le secteur des assurances, les établissements de monnaie électronique et les services financiers de la Poste.
Le secteur bancaire de la RDC a globalement une compréhension basique des risques de BC/FT et met en œuvre les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle et de vigilance constante des opérations, quoique de manière peu satisfaisante. Par contre, les secteurs de la microfinance et des coopératives d’épargne et de crédit, de change manuel, de transfert de fonds et de valeurs, de monnaie électronique ou encore celui des assurances, n’ont aucune compréhension des risques de BC/FT que représentent leurs clients, produits ou services; ce qui se traduit par une faible mise en œuvre des mesures préventives par les acteurs de ces secteurs dont certains sont pourtant confrontés à des risques élevés de BC/FT. De manière générale, la mise en œuvre satisfaisante de l’obligation de vigilance est confrontée au défaut de pièces d’identification sécurisées en RDC, ce qui rend difficile la connaissance du client.
Au niveau de la régulation et du contrôle, la BCC a une certaine compréhension des risques de BC/FT. Elle a mis en place des mécanismes de contrôles prudentiels périodiques qui incluent des contrôles sur place, mais leur efficacité est toutefois limitée. L’approche de cette supervision n’est pas fondée sur les risques de BC/FT étant donné qu’aucune étude visant à établir les risques sectoriels n’a encore été menée et les sanctions prononcées ne concernent pas le volet LBC/FT alors que les IF présentent des défaillances en la matière. L’ARCA (Agence de Régulation et de Contrôle des Assurances), de création récente, ne dispose pas encore de méthodologie et d’outils appropriés pour assurer une supervision de LBC/FT dans le secteur des assurances. Le secteur des EPNFD est dépourvu d’autorités désignées de supervision en matière de LBC/FT, malgré les risques élevés de BC/FT qu’il représente dans une économie marquée par l’informel et une circulation abondante du cash.
La RDC dispose d’un cadre juridique satisfaisant en matière d’entraide judiciaire et d’extradition. L’effectivité de sa mise en œuvre demeure toutefois très limitée dans le domaine de la LBC/FT du fait de l’inexistence de demandes reçues et de requêtes émises. La coopération des autorités compétentes en matière de LBC/FT est relativement active au niveau de la CENAREF qui, bien que n’étant pas membre du Groupe Egmont, échange des renseignements de manière réactive avec des homologues étrangers avec lesquels elle a signé des protocoles d’entente. Elle est cependant moins perceptible au niveau des autorités de régulation et de contrôle des IF, de la douane et de la police qui pourtant disposent des pouvoirs légaux et réglementaires pour conclure des accords de coopération leur conférant la capacité générale de partager des informations avec des homologues étrangers dans le cadre de leurs missions. En outre, la douane congolaise est membre de l’OMD et la police est membre de l’OIPC-Interpol (Organisation International de police Criminelle). Ces deux organismes internationaux offrent des plateformes d’échanges d’informations.
Les mesures prioritaires
Sur la base de ces conclusions générales, les actions prioritaires recommandées aux autorités de la RDC sont les suivantes :
i. Adopter une évaluation exhaustive des risques de BC/FT en RDC afin d’améliorer la compréhension des menaces, vulnérabilités et risques de BC/FT dans le pays. L’ENR (Evaluation Nationale des Risques) devrait inclure une évaluation de toutes les menaces qui génèrent le plus de profits en RDC, y compris les détournements de fonds publics, les prises illégales d’intérêts, les trafics de produits miniers, les trafics d’espèces sauvages et de produits forestiers. L’ENR devrait être mise à jour régulièrement pour assurer une compréhension en continue des risques et ses conclusions pertinentes devraient être disséminées à l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques de la LBC/FT afin d’assurer une compréhension cohérente des risques;
ii. Adopter une stratégie globale de LBC/FT en s’appuyant sur les résultats de l’ENR afin d’établir des politiques coordonnées et cohérentes en priorisant les secteurs à haut risques et établir des plans d’actions sectoriels;
iii. Réviser la loi n°04/016 et les autres textes organiques pour les rendre conformes aux normes et standards internationaux en matière de LBC/FT, en particulier concernant les mesures préventives reliées à l’identification de la clientèle, la transmission des DOS et les PPE et étendre le champ d’application des obligations à toutes les entités concernées par les standards du GAFI;
iv. Révoquer le protocole de 2010 signé entre la CENAREF et l’ACB (Association Congolaise de Banques) et adopter des mesures pour exiger des banques qu’elles transmettent à la CENAREF les déclarations automatiques liées aux PPE;
v. Améliorer la collaboration au niveau politique, en renforçant la capacité du COLUB à agir en tant que structure de coordination, et au niveau opérationnel, en établissant des plateformes d’échanges d’information formelles entre les parties prenantes;
vi. Définir et conduire des programmes de sensibilisation et de formation au profit des assujettis de la LBC/FT afin d’accroître leur compréhension des risques, renforcer l’intégration d’une approche basée sur les risques dans leurs activités et les sensibiliser à leur rôle respectif et obligations au sein du régime LBC/FT;
vii. Renforcer les capacités de la BCC (Banque Centrale du Congo) et des autres organismes de contrôle afin qu’ils conduisent des évaluations sectorielles des risques et développent une approche basée sur les risques de BC/FT à leurs activités, en particulier pour les contrôles sur pièces et sur place;
viii. Identifier et désigner les organes de supervision en matière de LBC/FT pour les secteurs des EPNFD et exiger que toutes les parties concernées intègrent l’approche fondée sur les risques dans leur dispositif de LBC/FT;
ix. Renforcer la capacité d’analyse opérationnelle de la CENAREF en offrant la formation nécessaire aux analystes, en la dotant de ressources informatiques et en révisant les processus décisionnels pour permettre une analyse opérationnelle indépendante et autonome;
x. Renforcer les capacités des autorités judiciaires et de poursuite pénale en matière de détection, d’enquête et de répression des activités de BC/FT;
xi. Mettre en place un mécanisme de collecte d’informations sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et constructions juridiques;
xii. Elaborer des directives provisoires, sur la base des dispositifs d’identification actuellement en place, pour créer des exigences auxquelles les assujettis doivent se conformer pour l’exécution des mesures de CDD et autres déclarations;
xiii. Renforcer les efforts d’inclusion financière en élaborant et mettant en œuvre, avec l’appui des autorités en charge de la LBC/FT, la feuille de route de l’inclusion financière, en prenant les dispositions nécessaires pour faciliter l’identification de la clientèle et la vérification des identités, par exemple par l’instauration de pièces d’identités uniformes en RDC et/ou en s’appuyant sur la digitalisation d’identité et en prévoyant des mesures de vigilance simplifiées et encourageant leur mise en œuvre dans les cas appropriés;
xiv. Prendre des mesures afin d’obliger les représentations des sociétés internationales de transfert de fonds à se constituer en entités juridiquement responsables en RDC, soumises à un agrément formel avant toute activité et d’établir une autorité de contrôle en charge d’identifier les prestataires de services de transfert de fonds sans licence, d’élaborer et de mettre en œuvre un régime de sanctions proportionnées, dissuasives et efficaces visant les prestataires de services de transfert de fonds sans licence;
xv. Créer, au sein du ministère en charge de la Justice, un service spécialement chargé de la coopération internationale qui assurerait le lien entre le parquet général près la cour de cassation, le ministère de la justice, le ministère des affaires étrangères et les autorités étrangères destinataires ou émettrices des demandes de coopération;
xvi. Intégrer l’aspect FT dans le mandat du CNCLT (Comité National de Coordination de Lutte Contre le Terrorisme International) et dans la stratégie de lutte contre le terrorisme et former les agents opérationnels aux enquêtes financières liées au FT;
xvii. Mettre en place des mécanismes formels pour la mise en œuvre des RCSNU (Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies) 1267 et 1373 ainsi que les RCSNU appliquant les SFC liées au financement de la prolifération des armes de destruction massive et produire des statistiques sur le gel de fonds en application de ces Résolutions;
xviii. Mettre en place un système centralisé de production des statistiques sur les enquêtes, condamnations, gel et confiscations en matière de BC/FT.