C’est dans le malheur que l’on reconnaît les vrais amis, dit-on. À Goma, cet adage retentit sur les collines face à cette sorte de solitude que vit la population depuis le carnage d’au moins 50 civils lors de la répression d’une manifestation anti-Monusco. Une solitude bien bavarde face au silence de ces nombreux leaders du Grand Kivu qui ont préféré battre en retraite. On a, en effet, vite fait le tour des déclarations consécutives à ce meurtre de masse sans en enregistrer de la part de ces acteurs politiques dont la plupart, particulièrement les parlementaires, sont pourtant en vacances. Même pas de message de compassion. En tout cas, pas de récriminations. Les Gomatraciens ont ainsi pleuré et attendent d’enterrer les leurs pendant qu’à Kinshasa, leurs notables tiennent congrès et mini-congrès pour adouber leurs champions en perspective de la présidentielle de décembre prochain.
Douze jours après le massacre à Goma des adeptes de la secte mystico-religieuse de «La Foi Naturelle Judaïque Messianique Vers les Nations (FNJMN/Agano La Uwezo Wa Neno/Wazalendo», supposément par des militaires de la Garde républicaine, un silence de mort est observé dans le camp de la plupart des «leaders politiques » du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Généralement portés sur des discours démagogiques et intarissables lors de longues harangues de campagne quand il s’agit de louer la vision du chef de l’Etat dans une démarche électorale sans fin, ils gardent un silence inexplicable dans le drame qui continue à endeuiller les familles des plus des 50 victimes qu’ils ne se gênent pourtant pas à présenter comme leurs «bases».
Ni condamnation, pas le moindre message de compassion. Plus de cinquante morts et des dizaines de blessés dans ce qui restera comme l’un des pires massacres de l’histoire récente de la province du Nord-Kivu ne suscitent aucune réaction de la part des élus et autres «personnalités et notables» de la province résidant dans la capitale.
SE TAIRE PAR PEUR DES POURSUITES
Cette attitude pour le moins étrange s’expliquerait, selon un analyste politique s’exprimant sous le sceau de l’anonymat, par deux faits marquants que les «leaders», visiblement embarrassés, auraient beau jeu d’évoquer pour expliquer leur mutisme. D’abord, le procès des six militaires mis en cause – dont deux officiers supérieurs – est en cours. Ensuite, et plus grave, le commandant de la Garde républicaine du Nord-Kivu, incriminé, aurait déclaré devant la cour qu’il aurait reçu des renseignements fiables faisant état de la présence parmi les adeptes Wazalendo des rebelles infiltrés du M23. La marche projetée étant un prétexte destiné à préparer la prise de la ville de Goma par la rébellion appuyée par les forces rwandaises. Ce qui aurait justifié l’assaut meurtrier.
Dans l’un et l’autre cas, se prononcer en faveur des victimes, ou leur exprimer de la compassion serait assimilé, dans leur entendement, à de la complicité pure et simple, et donc condamnable. Dès lors, les «leaders» du Nord-Kivu et du Sud-Kivu sont tétanisés par le peur de se retrouver, à un peu plus de trois mois des élections générales, disqualifiés par des poursuites implacables par la justice militaire.
SEULS DANS LA DOULEUR
Du coin du regard, les observateurs sont témoins de cet embarras manifeste qui tenaille ces leaders entre compatir avec leurs bases et risquer de perdre les grâces de leur Champion. Même embarras, ou presque, lors de l’évaluation de l’état de siège décrié par cette même base. Cette fois-là, ces leaders étaient assurés du confort offert par tous les activistes venus des montagnes du Kivu et qui ont crié si fort qu’eux n’avaient plus rien à ajouter.
Même si on se demande jusqu’à ce jour si ce silence était une approbation de l’opinion dominante contre cet état de siège ou simplement la peur du « qu’en dira-t-on » politique s’ils avaient hurlé avec leurs meutes. Julien Paluku, qui avait eu l’audace de s’hasarder, avait su bi un sérieux début de diabolisation à haut débit…
En tout cas, face à un tel silence électoral, les Gomatraciens ne seront pas prêts d’oublier combien ils sont seuls dans cette dure épreuve…
DES VOIX VENUES D’AILLEURS
Néanmoins, des voix se sont élevées pour condamner les tristes événements de Goma. Et elles sont venues des personnalités qui ne disposent pas d’un ancrage familial ou clanique dans les deux Kivu.
Dans un tweet posté au lendemain du massacre, l’activiste des droits de l’homme Jean-Claude Katende (ASADHO) notait : « Je suis étonné que sous le régime du président Tshisekedi on massacre autant de compatriotes à Goma, au motif qu’ils ont violé l’interdiction de manifester. Je condamne cette violence de l’armée et de la police.
J’en appelle à une enquête sérieuse et impartiale de cette tuerie ». Dans la même veine, l’ancien premier ministre et candidat à la résidentielle, Augustin Matata Ponyo, disait condamner énergiquement le massacre de plusieurs des compatriotes à Goma à la suite d’une intervention surdimensionnée.
Tout en présentant ses condoléances aux familles éplorées, il demande qu’une enquête soit diligentée pour que les coupables soient sévèrement sanctionnés.
Dès le lendemain de la tragédie, l’opposant Moïse Katumbi, lui aussi candidat à la magistrature suprême, réagissait par une vive condamnation.
«Les victimes étaient non armées. Cette tuerie est un crime contre l’humanité […] les images qui circulent sont insupportables car le droit à la vie est sacré».
NE PAS JUGER SEULEMENT DES LAMPISTES
L’ouverture mardi du procès des auteurs présumés de la tuerie de Goma est favorablement accueillie par l’opinion nationale dans son ensemble. Dans le compte-rendu de la réunion du Conseil des ministres du 8 septembre 2023, le porte-parole du gouvernement, le ministre Patrick Muyaya, a laissé entendre que «le souhait exprimé par la population est de voir le gouvernement continuer sa lutte acharnée contre les actes de banditisme et de criminalité dans les villes et agglomérations urbaines à travers le pays».
Mais la même population s’attend par ailleurs que les vraies responsabilités soient établies et que le procès de Goma ne se limite pas à condamner de simples lampistes.
Econews