Chantage ou stratégie : offensive diplomatique russe en RDC

Loin du champ des opérations en Ukraine, c’est en Afrique que la Russie de Vladimir Poutine cherche à élargir sa zone d’influence. Si la Russie table, pour le moment, sur ses partenaires traditionnels, la République Démocratique du Congo, en proie à une insécurité permanente dans sa partie Est, est une cible idéale pour Moscou. Pas étonnant que Kinshasa ait délégué à Moscou son ministre de la Défense nationale, Gilbert Kabanda, à la 10ème Conférence annuelle sur la sécurité internationale. Décidément, quelque chose se prépare sur l’axe Kinshasa-Moscou. Chantage ou stratégie, Moscou est finalement en train de lorgner sur les terres très prisées de la RDC. A première vue, Kinshasa se tient prêt à ouvrir ses portes au pays de Poutine. Au grand dam d’un Occident, poussif, maintes fois indifférent au drame qui continue à s’abattre sur la partie Est de la RDC.
Alors que se tient à Moscou, en Russie, loin des regards des États-Unis et de ses alliés occidentaux, de la 10ème Conférence annuelle sur la sécurité internationale, la République Démocratique du Congo ne joue pas aux abonnés absents à ces assises de haute portée stratégique. A l’occasion, Kinshasa a dépêché à Moscou son ministre de la Défense nationale, Gilbert Kabanda. Une présence qui ne passe pas anodine. Car, en réalité, Gilbert Kabanda a reçu du Président Félix Tshisekedi la mission de jeter le pont entre Kinshasa et Moscou pour une coopération multiforme.
Mercredi lors de son intervention à la Conférence de Moscou, le ministre Kabanda a réitéré la main tendue de la RDC à la Russie
Lassé par un Occident, à la fois mou et trop conciliant envers les agresseurs de la RDC, principalement le Rwanda, Kinshasa est apparemment tenté d’explorer la piste qui mène à la Sibérie. Il y va de sa sécurité.
A Moscou, Gilbert Kabanda n’est pas allé par le dos de la cuillère : «L’objectif immédiat du ministère de la défense de mon pays est de mobiliser et d’obtenir les moyens nécessaires à fournir aux forces armées de la RDC en faveur des opérations contre les groupes armés au Nord-Kivu, au Sud-Kivu ainsi qu’en Ituri», rappelant que «l’appui multiforme de la Russie et de l’ensemble des pays participants à cette conférence est vivement souhaité». Avant de passer par une vaste opération de charme pour amener la Russie à lorgner vers la RDC.
A ce propos, le ministre congolais de la Défense a fait comprendre que la RDC, pays doté d’immenses ressources nationales autant pour son peuple que le reste du monde, ploie sous le poids «des activités des forces hostiles, essentiellement externes, notamment les forces armées du Rwanda» Ce qui, pense-t-il, «retarde son développement et, de surcroît, menace la sécurité internationale».
Pour étouffer cette menace récurrente, Kinshasa pense que bien expérimenter la piste russe.

Kinshasa pas loin de Moscou
Une chose est vraie : la Russie ne fait pas encore de la République Démocratique du Congo sa priorité en Afrique. Elle table sur des partenaires traditionnels de sa politique extérieure en Afrique. L’Algérie, l’Éthiopie, le Congo-Brazzaville notamment sont des destinations privilégiées de Moscou.
Pour autant, il se constate que des initiatives sont prises dans le sens de donner des signaux clairs qu’il existe des rapprochements entre les deux capitales : Kinshasa et Moscou. En géostratégie, cela a un sens.
Moscou ne veut pas rester en position marginale vis-à-vis d’un pays stratégique comme la RDC. C’est ainsi que le ministre congolais de la Défense séjourne déjà en Russie pour une mission.
Selon des indiscrétions, ce médecin-militaire à la retraite compte solliciter auprès de Moscou des appuis en termes d’armement, de soutien diplomatique et de coopération militaire.
Des sources concordantes affirment que la RDC est favorable à la diversification de ses partenariats pour défendre les frontières. La Russie s’est déjà montrée plus d’une fois favorable à la RDC notamment au Conseil de sécurité de l’ONU.
A Kinshasa, un fait nouveau n’est pas passé inaperçu. Une chambre de commerce RDC – Moscou a vu le jour. Dans un tweet, son président a indiqué que sa structure veut accompagner l’ancien président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), Corneille Nangaa, dans ses activités agricoles. Corneille Nangaa, qui est sous des sanctions américaines, les a toujours rejetées, les qualifiant d’injustes et de sans fondements.
Lors du passage d’Antony Blinken en RDC, l’ancien président de la CENI avait plaidé sa cause. Rejeté et sanctionné, il pourra embrasser facilement le camp russe. Ce qui ne serait pas sans conséquence au niveau institutionnel…
Chantage ou stratégie, la Russie et la RDC se sont lancés dans une voie qui trouble la visibilité des analystes sérieux. Les Etats-Unis, alliés privilégiés de la RDC, devront un jour choisir entre fermer les yeux sur les exactions rwandaises ou normaliser les relations entre les deux pays en mettant en avant la justice, l’équité et le droit.

La bataille africaine
Tout compte fait, l’avenir de l’Occident se joue en partie en Afrique, continent à la croissance démographique vigoureuse et aux perspectives économiques dynamiques. C’est bien pour cette raison que la compétition géopolitique entre Russes et Occidentaux ne cesse de s’y aiguiser. Elle a été encore illustrée récemment par les tournées du président français Emmanuel Macron et des chefs des diplomaties américaine et russe, Antony Blinken et Sergueï Lavrov.
Il ne faut pas non plus oublier que, depuis son annexion de la Crimée, en 2014, Moscou a conclu plus de 20 accords de coopération militaire avec des pays africains. Parallèlement, en déployant ces dernières années des troupes en Centrafrique, au Mali, en Libye ainsi au Soudan et en pratiquant une activité intense sur les réseaux sociaux et dans les médias africains, la Russie cherche à déstabiliser les intérêts occidentaux à moindre coût – et plus elle s’enlise en Ukraine, plus elle est tentée de le faire. Des pays tels que la RDC sont dans le schéma russe.
Qu’en est-il du peuple congolais ? Avec une présence amorphe des troupes onusiennes en deux décennies, la RDC est logiquement tentée d’explorer d’autres pistes, pourquoi pas celle menant à Moscou.
A tout prendre, le rapprochement entre Kinshasa et Moscou ne fait l’ombre d’aucun doute. Quelque chose se prépare. En attendant que Kinshasa donne des garanties nécessaires de sa volonté de travailler avec Moscou, sans froisser ni frustrer qui que ce soit.
De passage en RDC, Anthony Blinken a dit craindre un tel scénario. Mais, pour des raisons de sécurité et face à un agresseur, le Rwanda, caressé dans le sens des poils par un Occident plus que jamais hypocrite, voir un jour Kinshasa convoler en justes noces avec Moscou ne relève plus de l’utopie.

Econews