Confusion autour de l’actionnariat de la Cominière, Willy Kitobo s’invite dans le débat :«Il faut arrêter le bradage des titres miniers des entreprises du Portefeuille de l’État »

Prof Willy Kitobo Samsoni, ancien ministre des Mines

Ministre des Mines, de septembre 2019 à avril 2021, dans le gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le professeur Willy Kitobo Samsoni a fait paraître en juin dernier chez L’Harmattan un ouvrage intitulé «Les défis à relever dans le secteur des mines de la RDC». Titulaire d’un doctorat en sciences de l’ingénieur de l’Université de Liège, il a été doyen de la faculté polytechnique de l’Université de Lubumbashi et ministre provincial chargé des Mines, de l’Environnement et du Développement durable pour le Haut-Katanga. Il estime que l’État ne fait plus assez d’efforts pour mettre en œuvre les réformes entamées et déplore le «bradage» des ressources du pays. Au regard du désordre délibérément entretenu dans le secteur minier, comme c’est le cas avec la confusion qui entoure l’actionnariat de la Cominière (Congolaise de l’exploitation minière), le prof Willy Kitobo ne va pas par quatre chemins : «Il faut aussi arrêter le bradage des titres miniers des entreprises du Portefeuille de l’État». Il répond aux questions de Jeune Afrique.
À quelles évolutions majeures doit-on s’attendre dans le secteur des mines en RDC en 2023 ?
En 2021 et au premier semestre 2022, les prix des métaux exportés par la RDC avaient sensiblement augmenté, générant des recettes importantes pour le pays. Le cuivre a ainsi dépassé la barre des 10 000 dollars la tonne, un record outrepassant celui de 2008, qui était alors de 8 000 dollars la tonne. Le cobalt a retrouvé son prix record de 2018, à 80.000 dollars la tonne. Quant à l’étain, il a atteint un prix jamais enregistré ces dernières années, à 40.000 dollars la tonne.
Les prix ont baissé au deuxième semestre 2022, et, en 2023, la demande en métaux et les prix devraient légèrement chuter, selon la Banque mondiale. Mais compte tenu de la demande toujours croissante en cuivre et en cobalt, je pense que les prix se stabiliseront autour de 7.000 à 8.000 dollars la tonne pour le cuivre et entre 45.000 et 50.000 dollars la tonne pour le cobalt.
Pour ce qui est de la production congolaise plus spécifiquement, en revanche, il est possible que sans efforts concrets du gouvernement, les améliorations attendues n’arrivent pas.

Quelles sont-elles ?
Il s’agit d’une part de l’organisation des activités minières artisanales, qui ne sont pas à négliger puisqu’elles permettent une bonne production de l’or, coltan, wolframite, diamant et presque 15 à 20 % des minerais de cobalt et donnent à des milliers de Congolais sans emploi un moyen de faire vivre leurs familles. Mais il faut que l’État agisse pour limiter la fraude, la contrebande minière, l’exploitation des enfants et l’insécurité autour des concessions exploitées en vertu du droit minier.
En 2020, des idées avaient été développées avec des partenaires comme l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques [Arecoms, créée en 2019], l’entreprise générale du cobalt [EGC, constituée en 2019 pour encadrer l’exploitation minière artisanale de cobalt] et d’autres, pour rendre cette production artisanale plus transparente, plus responsable et plus respectueuse des droits de l’homme. Mais le changement de gouvernement a ralenti l’application des mesures prises. L’autre point est l’assainissement de la gestion des entreprises du portefeuille de l’État et des permis miniers.

C’est-à-dire ? Y a-t-il trop de permis octroyés ?
À ce jour, plus de 3.000 permis et de carrières sont enregistrés par le Cadastre minier (Cami), mais moins de 600 sont des permis d’exploitation, moins de 200 sont des permis d’exploitation de petites mines et moins de 25 concernent des permis d’exploitation de rejets. Il y a donc moins de 800 exploitations autorisées par l’État congolais, dont moins de la moitié sont actives. Beaucoup sont des permis dormants et certains ont même invoqué la force majeure et ne sont pas exploités. La gestion des titres et droits miniers doit être améliorée en application stricte de la loi minière de 2018 pour permettre un bon développement du secteur.
Le gouvernement ne doit pas laisser le Cami faire ce qu’il en veut, mais récupérer ces permis miniers déjà étudiés et documentés, et les soumettre à de nouveaux appels d’offres – conformément à la loi.
Il faut aussi arrêter le bradage des titres miniers des entreprises du portefeuille de l’État. Le financement de l’économie et du développement par les contrats miniers n’est pas interdit par notre loi minière, mais le gouvernement doit chercher à mieux valoriser ses ressources et négocier correctement ses contrats, quitte à investir dans l’information géologique du secteur des mines et la recherche. Le Fonds minier pour les générations futures (Fomin) a d’ailleurs été prévu pour ça.

En termes purement législatifs, quels sont les efforts à fournir ?
La vulgarisation de notre loi minière et l’amélioration de la gouvernance et du climat des affaires sont les seules actions que je considère nécessaire à ce niveau. La loi minière existe. Elle doit maintenant être appliquée correctement et à tous les niveaux, en évitant de privilégier certaines dispositions plus favorables à tels ou tels intérêts.
Les questions de répartition des redevances minières au niveau local, les dotations aux communautés de 0,3% du chiffre d’affaires annuel des entreprises minières, mais aussi la question de la réalisation des cahiers des charges doivent être traitées en priorité pour que les populations propriétaires des ressources minières s’y retrouvent. La pesanteur de l’État propriétaire retire à la Gécamines presque tous ses moyens

Quels projets particuliers seront à suivre en 2023 ?
En 2022, c’est le projet Kamoa-Kakula qui a fait augmenter le plus sensiblement la production de cuivre en RDC, et en 2023, sa production va encore augmenter puisque l’usine n’a pas encore atteint sa capacité maximale, prévue autour de 430.000 tonnes de concentrés de cuivre par an.
L’autre projet minier attendu en 2023 est celui de Kisanfu (KGM), développé par China Molybdenum (CMOC), également actionnaire de Tenke Fungurume Mining (TFM), sur une double production cuivre et cobalt. Le projet minier de lithium à Manono était aussi attendu, mais il est actuellement bloqué par le conflit entre Cominière et AVZ.

Quel est votre regard sur la Gécamines aujourd’hui ?
C’est la société congolaise qui dispose de moyens financiers, et donc de moyens d’action grâce à ses multiples contrats miniers. Malheureusement, c’est devenu une société gestionnaire de ses contrats et de ses droits miniers plutôt qu’une vraie société minière de production. Il n’y a aucun effort pour relancer les activités de production. La lourdeur de son administration et la pesanteur de l’État lui retirent presque tous ses moyens, qui pourraient être employés à financer l’outil de production pour lui permettre d’être compétitive à long terme.
Avec Jeune Afrique