Soupçonnant des malversations de la Sicomines, la Société civile attend de pied ferme le rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives.
Le Président de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, a eu beau proposer une évaluation des projets liés au contrat «sino-congolais», signé en 2008 par son prédécesseur Joseph Kabila, il y a peu de chances que cela suffise.
Les Congolais sont plus que jamais décidés à mieux comprendre comment fonctionnent les mines dans leur pays. Ils n’attendront pas cette évaluation, encore moins le rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) qui porte sur la Sino-Congolaise des mines (Sicomines). Fondée il y a treize ans à partir d’une convention entre l’État congolais et la Chine, cette société est soupçonnée de malversations.
Pékin bousculé sur le terrain…
Les manifestations de riverains se succèdent depuis la mi-août, date à laquelle les autorités provinciales du Sud-Kivu ont décidé de suspendre les activités d’entreprises chinoises soupçonnées d’«abus» manifestes et «multiples» dans l’exploitation de sites aurifères dans le territoire minier de Mwenga, dans l’Est. Cette décision, bien que contestée par la ministre nationale des Mines, n’a fait que renforcer un sentiment d’injustice qui s’exprime de plus en plus au grand jour, obligeant la Chine à réagir.
L’ambassade chinoise en République Démocratique du Congo est montée au créneau via plusieurs canaux pour se défendre face aux prises de position perçues comme hostiles à la très forte présence de la Chine en RDC, à sa manière d’opérer dans le juteux secteur minier et à celle de (ne pas) tenir ses engagements. Le changement est notable, au moins sur la forme, par rapport à l’apparente lune de miel de ces vingt dernières années.
… change sa stratégie de communication minière
L’ambassadeur de Chine en RDC, Zhu Jing, a assuré que Pékin condamnait toute «exploitation illégale des ressources naturelles» en RDC. Il a fait par ailleurs part de «la disponibilité du gouvernement chinois à collaborer avec les autorités congolaises pour sanctionner les responsables».
Plus inédit, Pékin a déclaré qu’il imposerait des sanctions aux entreprises reconnues coupables. «Elles doivent également quitter la province du Sud-Kivu», selon Wu Peng, directeur général du département des Affaires africaines du ministère chinois des Affaires étrangères. Il est rare que la Chine condamne les activités de ses propres entreprises en Afrique et ailleurs, malgré les accusations régulières d’opérations illégales, d’atteintes aux droits de l’homme et de violations de l’environnement.
Un engagement fort de la Chine dans le secteur minier
La Chine est fortement présente dans le secteur minier de la RDC, ses entreprises ayant massivement investi dans les abondantes ressources minières de ce pays d’Afrique centrale. La RDC est le premier producteur mondial de cobalt et le premier producteur africain de cuivre.
La Chine, quant à elle, est le plus grand importateur mondial de cobalt, que ses entreprises utilisent pour fabriquer des batteries lithium-ion, indispensable dans la fabrication des véhicules électriques, des smartphones, des tablettes, ordinateurs portables et bien d’autres.
Le mois dernier, le gouverneur de la province du Sud-Kivu, Théo Ngwabidje Kasi, a suspendu six sociétés d’extraction d’or appartenant ou travaillant avec des Chinois afin de «rétablir l’ordre dans l’exploitation minière semi-industrielle» et de protéger «les intérêts de la population locale, l’environnement et le respect des droits de l’homme», a rapporté l’AFP. Cela faisait suite à des semaines de tension entre les entreprises et la communauté qui les accusaient de violations du droit du travail et de l’environnement.
Le pouvoir de Kinshasa pris en tenaille
Avec des questions sur les bénéfices que la RDC tire de ses propres minéraux, le pays est en train de revoir ses accords miniers avec des parties prenantes étrangères, notamment des investisseurs chinois. Début septembre, un documentaire du journaliste camerounais Alain Foka, titré «En finir avec la traite négrière en Afrique», diffusé sur YouTube, a sévèrement mis en cause les activités des sociétés chinoises en RDC. D’autant plus que le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, y est interrogé et assimile à «une forme d’esclavage» le comportement des Chinois.
Une commission parlementaire «d’enquête chargée de recueillir les informations les plus complètes sur l’exploitation de ressources naturelles et la protection de l’environnement», particulièrement dans le territoire de Mwenga, séjourne actuellement à Bukavu.
À la mi-mai, lors d’une visite dans la ville minière de Kolwezi, dans le Sud-Est, le Président de la République, Félix Tshisekedi, avait annoncé son intention de renégocier les contrats miniers, notamment ceux conclus avec la Chine par Joseph Kabila. Cette révision était promise au nom des Congolais qui «croupissent toujours dans la misère» dans un pays dont le sous-sol regorge d’immenses richesses minières.
Dans la foulée du discours présidentiel, les annonces se sont accélérées depuis début août. La présidence de la République a notamment décidé d’examiner la part de l’entreprise minière publique, la Gécamines, dans une importante mine de cuivre et cobalt, TFM (Tenke Fungurume Mining), dont l’actionnaire principal est le groupe chinois China Molybdenum. Une commission va évaluer l’ampleur des réserves du site, afin de permettre à l’État de «rentrer équitablement dans ses droits», a-t-elle promis. Élu en décembre 2018, le président Tshisekedi a rompu en décembre 2020 la coalition qu’il formait avec le camp Kabila, après deux ans et demi de cogestion conflictuelle du pays.
De la «renégociation» à «l’évaluation»
Sauf que, entre-temps, le terme «renégocier » n’est plus employé, les autorités parlent désormais d’évaluation. En effet, c’est sous l’ère du président Kabila (2001-2019) que de nombreux contrats ont été signés. Ce dernier avait négocié en 2008 l’un des plus importants contrats sous forme de troc – cobalt et cuivre contre la construction d’infrastructures – avec un consortium chinois pour un montant de 9 milliards de dollars américains, renégocié à six (6) milliards sous pression du Fonds monétaire international (FMI). Cette somme était répartie de la manière suivante : 3,2 milliards de dollars US pour créer la Sicomines, une joint-venture et trois (3) milliards pour réaliser des infrastructures nécessaires au pays.
À ce jour, près de 2,74 milliards ont été décaissés par la partie chinoise, pour l’essentiel sous forme d’investissements.
La pression monte avant la publication du rapport de l’ITIE
Selon une ONG congolaise, Afrewatch, l’État congolais serait largement perdant. Dans son rapport publié en juin 2021, il apparaît clairement que la Chine et la RDC n’ont réalisé que moins de 50 % de leurs engagements. Dans le même temps, la production de cuivre était bien partie dès 2015.
La semaine dernière, le président congolais a réitéré sa requête, alors qu’est très attendue la publication d’un rapport d’analyse de l’ITIE, produit par un consultant indépendant, portant précisément sur la Sino-Congolaise des mines.
«L’exécution des grands projets d’infrastructures inscrits dans le cadre de ce contrat avait été interrompue pour des raisons techniques liées notamment à l’insuffisance d’énergie électrique pour la production minière», a indiqué le porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya. «Ce problème étant réglé par le lancement imminent de la centrale de Busanga, la mise en œuvre de ces projets devrait être relancée sans tarder».
Illustration sur le Boulevard triomphal à Kinshasa, en face du Palais du peuple, les travaux du gigantesque futur Centre culturel et artistique pour l’Afrique centrale avancent. «La pandémie de Covid-19 a stoppé beaucoup de choses, mais pas la construction» de ce centre, «financé par un don du gouvernement chinois et nouveau symbole de la coopération sino-congolaise», a tweeté l’ambassade de Chine en RDC, photos à l’appui.
Mais ce discours ne semble guère convaincre l’opinion congolaise plus perméable ces dernières semaines à des remontées du terrain très défavorables aux Chinois.
Vendredi dernier, le tweet de l’ambassade chinoise en RDC sur le centre culturel a suscité des commentaires mitigés, allant de «bravo à @AmbCHINE en RDC, @USAmbDRC n’a jamais rien offert de tel au peuple», à «cette construction énorme ne va pas nous faire oublier le pillage et l’esclavagisme entretenus par vos ressortissants».
Econews avec Le Point Afrique