Créances de Congo Challenge : Matata met la pression sur le ministre des Finances, Nicolas Kazadi

Le Think tank Congo Challenge, dont le Conseil d’administration est dirigé par l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, continue à réclamer ses créances auprès du Gouvernement, via le ministre des Finances, Nicolas Kazadi Kadima-Nzuji. Entre les deux parties, on assiste, depuis lors, à un dialogue des sourds tant le ministre des Finances refuse, selon Congo Challenge, d’honorer le paiement de près de deux millions USD relatifs à une série d’études réalisées par Congo Challenge dans le cadre de l’impact du Covid-19 sur l’économie congolaise. Congo Challenge n’est pas d’accord avec les raisons avancées par le ministre des Finances, alors que ces paiements, dit-il, devraient être prélevés sur des fonds de la Banque africaine de développement mis à la disposition du Gouvernement. Pour Matata, il y a nettement une mauvaise foi de la part du ministre des Finances. C’est ce qu’il lui fait part, en réponse à sa lettre du 21 novembre 2022. Matata conclut son plaidoyer par une interpellation : « Pour l’honneur de la République Démocratique du Congo et dans le but de préserver la crédibilité du pays, je vous exhorte à payer les différentes factures de Congo Challenge ».
Sans commentaires, voici la réplique de Congo Challenge, dans une lettre que le président de sonConseil d’administration, MatataPonyoMapon, a adressée, le vendredi 24 novembre 2022, au ministre Nicolas Kazadi.

Econews
Accusé de réception paiement des factures de Congo Challenge
Excellence Monsieur le Ministre des Finances,
J’accuse réception de votre lettre référencée CAB/MIN/FINANCES /BG/MMC/DMM/2022, du 21 novembre 2022, relative à l’objet repris en marge et vous en remercie.
Après exploitation de votre lettre, je confirme les éléments repris dans ma précédente correspondance adressée au Conseil d’Administration de la Banque Africaine de Développement (BAD) dans laquelle j’ai signifié que vous ne vouliez pas régler les factures de Congo Challenge du fait que le Président de son Conseil d’administration est candidat aux élections présidentielles 2023 et fait partie de l’opposition. En effet, je vous informe que je dispose des informations fiables issues des sources crédibles qui appuient cette affirmation. Je suis prêt à témoigner, en cas de besoin, devant les membres d’une institution neutre, en précisant dans quels échanges vous avez affirmé vouloir payer les factures de Congo Challenge après les élections de 2023.
Ceci est contraire aux exigences en matière de gestion des fonds de la BAD et du Trésor public.
En parcourant les raisons que vous avez évoquées comme justification du non-paiement des factures de Congo Challenge, j’ai noté qu’elles ne sont pas d’ordre technique mais plutôt politique. Je m’attendais à ce subterfuge. En effet, dans votre lettre, vous justifiez le blocage du paiement des factures de Congo Challenge par: (j) le manque d’assurance sur la qualité des études réalisées par le cabinet, notamment celle portant sur la mobilisation des recettes que vous jugez théorique et (ii) l’absence des procès-verbaux de validation des rapports d’étude par le Comité de marché qui devrait entre autres comprendre les experts de la Banque mondiale, BAD, CEA, FMI et PNUD.
En ce qui concerne l’étude sur la mobilisation des recettes dont vous faites allusion dans votre lettre, j’aimerais vous rappeler que, normalement, Congo Challenge n’avait aucune obligation de vous la transmettre pour pré-validation. Le cabinet l’a fait pour des raisons d’élégance professionnelle compte tenu du fait que cette étude touche directement votre secteur et que son contenu devrait vous aider à accroître les performances des régies financières en termes de mobilisation de recettes publiques. Après que vous ayez reçu cette étude, vous avez indiqué au consultant que l’étude était théorique et que vous aviez besoin qu’elle soit renforcée avec des aspects pratiques. Ce qui n’était pas du tout vrai. Face à cette réaction, nous avions déjà senti qu’il s’agissait d’un piège de votre part. Pour ne pas y tomber, nous avons sollicité des séances de travail avec les responsables et experts des différentes régies financières pour consolider la qualité de ladite étude et répondre à leurs attentes en y apportant des éléments supplémentaires d’ordre empirique et pratique nous fournis par lesdites régies financières. Ainsi, toutes leurs orientations et suggestions ont été prises en compte dans la version finale de l’étude qui se trouve depuis près de huit mois (depuis le 28 avril 2022) dans votre bureau. Dès lors, votre argument ne tient pas la route à moins que vous ne doutiez de la compétence des différents responsables et techniciens des régies financières du ministère que vous pilotez ? Pour ma part, j’ai été également Ministre des finances en RDC de 2010 à 2012, j’ai travaillé avec les mêmes experts et je n’ai jamais jugé leurs travaux théoriques.
S’agissant de la validation des études, je tiens à vous rappeler, puisque vous faites allusion au point 3 des différents contrats, que le Comité de marché que vous citez ne se limite pas qu’aux experts des institutions que vous avez listés. Ledit Comité est composé de Secrétaire Général du Plan; Directeur de Cabinet du Ministre du Plan; 2 conseillers du Ministre du Plan; le Coordonnateur du CIR/finances; le Directeur chef de service de la Direction des Etudes Macroéconomiques du Ministère du Plan ; le Secrétaire Permanent de la Cellule de Gestion des Projets et des Marchés publics du Ministère du Plan; les économistes de la BM, BAD, CEA, FMI et PNT.JD comme présenté en annexe. Ainsi, conformément à cette disposition, le Ministère contractant (Ministère du Plan) avait invité les principales parties prenantes à prendre part aux ateliers de validation des différentes études. Si les économistes des institutions internationales ne se sont pas présentés lors des différents ateliers, il n’est pas de la responsabilité du consultant de les faire venir de force. Au contraire, cela est la responsabilité du gouvernement (auquel vous appartenez) de s’assurer que les différentes parties prenantes prennent part aux assises organisées pour la validation desdites études. C’est ce qui explique que dans votre correspondance vous citez l’étude sur la mobilisation de recettes, mais vous n’êtes pas en mesure de dire un mot sur les trois autres études parce que vous n’en êtes pas responsable. Du reste, c’est ce même gouvernement (Ministère du Plan) qui a validé, avec le concours des experts issus de plusieurs ministères (parmi lesquels ceux du ministère des finances) et institutions nationales spécialisées, les différents rapports.
Pour votre gouverne, dans le cadre de ces études, le Ministère du Plan avait même constitué un Comité de marché élargi en y ajoutant également les experts des ministères directement concernés par les différentes études. Ainsi, si certains experts n’ont pas répondu à l’invitation du Ministère du Plan, quelle est la responsabilité du consultant ? Aussi, je tiens à vous préciser que les experts du Ministère du Plan et d’autres ministères et structures spécialisées ont apporté leurs suggestions et validé les différents livrables des études. Pensez-vous que tous ces services ou experts sont incompétents parce qu’ils sont nationaux? Pensez-vous que, suivant les points 3 des contrats relatifs à ces quatre études relatif à la composition du comité de marché pour le suivi de la mise en œuvre des études, les économistes des institutions internationales y afférents disposent d’un veto pour valider la qualité des rapports produits dans le cadre de ces quatre études ?
Je me permets de vous dire que cela n’en est nullement le cas. Pour notre part, étant donné que le Comité de marché (dans lequel se trouvent des experts compétents de votre propre ministère), réuni avec la majorité de ses membres, a validé les différentes études, Congo Challenge devrait déjà être payé.
Par ailleurs, je tiens à vous rappeler que les contrats de ces quatre études prévoyaient des paiements par étape (rapport de démarrage, rapport provisoire et rapport définitif). Pour les rapports de démarrage, aucun examen scientifique du contenu n’est requis pour le paiement. Ce dernier est activé dès réception du rapport et de la facture étant donné qu’il ne s’agit que d’un rapport qui présente la méthodologie du consultant et le plan de travail (chronogramme). En effet, le point 6 des conditions particulières de marché des différents contrats prévoit que 30% des honoraires du consultant soit payé sur présentation du rapport de démarrage et de la facture; 40% après dépôt du rapport provisoire et présentation de la facture; 30% après présentation du rapport final et annexes jugés acceptables par le client. Ceci conforte notre opinion et montre clairement que la validation ne devrait intervenir qu’après dépôt du rapport provisoire avant d’obtenir le définitif.
S’agissant des rapports de démarrage, le ministère du Plan a transmis par voie de courrier mais aussi à travers la chaîne de la dépense (réf N° dossier 1446372 – N°DTO 1784/22; N° dossier 1446373 – N°DTO 1787/22; N° dossier 1446374 – N°DTO 1786/22; N° dossier 144637 -N°DTO 1785/22, factures ainsi que procès – verbal de validation des rapports de démarrage par le comité de marché. Ainsi, comment expliquer que jusqu’à ce jour, Congo Challenge n’ait reçu aucun paiement pour les rapports de démarrage de quatre études? Comment expliquer que le Client (Ministère du Plan) ait validé les différents rapports provisoires (après ateliers de validation auxquels les principales parties prenantes ont pris part y compris les agents du ministère des finances) et transmis les factures au Ministère des Finances pour paiement et que ce dernier refuse de payer sous prétexte de n’avoir pas obtenu les procès-verbaux de validation? Ceci montre que votre argument sur le blocage des paiements n’est pas professionnel. Les ateliers ont bien été réalisés et les études ont été validées en plénière et cristallisés par rapports et procès — verbaux. Ceci a été organisé par le Ministère du Plan et c’est auprès de ce membre du gouvernement que vous deviez récupérer ces éléments et non auprès du consultant Congo Challenge.
Je tiens à vous rappeler que, en décembre 2021, j’ai échangé avec vous au sujet du non-paiement des factures de Congo Challenge et vous m’aviez indiqué que ces paiements n’étaient pas intervenus suite à votre déplacement en Afrique du Sud et que, à votre retour au pays, ils devraient être effectués. Il s’agissait une fois de plus des subterfuges programmés pour ne pas payer un opposant au régime actuel. Ce qui n’est pas professionnellement acceptable.
J’espère que vous ne bloquez pas ces différents paiements du fait que, suivant les valeurs cardinales véhiculées à Congo Challenge, il ne serait pas du tout envisageable pour notre cabinet de vous verser une quelconque commission sur le montant global de ses factures.
Monsieur le Ministre, je constate que vous faites une confusion des responsabilités. Votre rôle n’est pas de valider les études ou la qualité des études. C’est le Ministère du Plan qui en est le responsable et qui a validé les études et qui vous a toujours transmis les factures de Congo Challenge afin que vous procédiez à leur paiement. A ce niveau du processus, votre rôle ne se limite qu’au paiement, votre ministère (par l’entremise de vos experts) ayant déjà participé à la validation des outputs. Voilà pourquoi la mise en exécution effective de la Loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques portant notamment sur la mise en place d’une budgétisation par programme se fait sérieusement attendre. En effet, suivant cette réforme, chaque ministre réalisera l’ordonnancement des dépenses pour les activités du ministère dont il a la charge.
De ce fait, cela éliminera le type de confusions sur les responsabilités que vous faites dans le cadre de ce dossier. C’est notamment aussi pour ce genre d’ambiguïté qu’en tant que ministre des Finances, j’avais initié cette Loi. Autrement dit, avec l’effectivité de la mise en œuvre de cette Loi, vous n’auriez aucun rôle à jouer quant au paiement des factures de Congo Challenge. Ce marché me rappelle qu’il faudrait effectivement qu’en 2024 cette réforme soit totalement mise en application.
Il y a lieu de relever également que par votre correspondance, nous avons noté que vous n’avez pas répondu à une préoccupation majeure et avez éludé la question concernant la désaffectation des fonds de la BAD pour un autre usage. Du coup, les ressources de la. BAD sont utilisées comme une arme de guerre anti-démocratique pour éliminer des potentiels candidats présidents dans le pays. Vous savez comme moi que ces ressources ont été totalement utilisées. C’est donc une des vraies raisons qui bloquent le paiement des factures de Congo Challenge. Il faut prendre le courage de l’avouer.
Enfin, je tiens à indiquer que ces pratiques ne sont pas correctes vis-à-vis des principes de bonne gouver-nance institués par les Lois de notre pays, cela l’est également vis-à-vis de partenaires au développement. Je vous rappelle que, alors que vous étiez dans l’opposition, mon gouvernement vous a servi, et ce, à plusieurs reprises. Que cela soit pendant que j’étais Premier Ministre, et même plus loin lorsque j’étais Ministre des Finances, nous avons toujours eu à payer les opposants lorsque nous étions en possession des factures similaires. Ainsi, je vous invite à recourir à la bonne foi et à faire les choses dans les règles conformément aux différents contrats signés avec le Ministère du Plan.
Pour l’honneur de la République Démocratique du Congo et dans le but de préserver la crédibilité du pays, je vous exhorte à payer les différentes factures de Congo Challenge.
Veuillez agréer, excellence Monsieur le Ministre des Finances, l’expression de ma parfaite considération.
Le 24 novembre 2022
Matata Mponyo Mapon