Crise dans l’Est de la RDC : Tshisekedi revoit sa stratégie avec Kigali

Après les violents combats entre l’armée congolaise et le M23, à une trentaine de kilomètres de Goma, les autorités congolaises ont accusé officiellement le Rwanda de soutenir les rebelles. Un net changement de ton de Kinshasa qui espère mettre en difficulté Kigali sur le plan diplomatique.
Depuis maintenant deux mois, c’est l’escalade entre la République Démocratique du Congo (RDC) et son voisin rwandais. Les affrontements entre les rebelles du M23 et l’armée congolaise ont connu un regain de tension ces derniers jours. Kinshasa et le M23 s’accusent mutuellement d’avoir repris les hostilités, mais une chose est sûre, les violents combats dans le secteur de Rutshuru, près de la frontière rwandaise, ont poussé plus de 70.000 civils à fuir la zone, selon les Nations Unies.
La semaine dernière, les affrontements ont été rudes entre rebelles et armée régulière. Le M23 a réussi à prendre quelques positions et à encercler le camp de Rumangabo, repris par les FARDC après d’âpres combats. La rébellion s’est ainsi approchée à une trentaine de kilomètres de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma. En 2012, le M23 s’était déjà emparé brièvement de la ville, avant d’être finalement défait en 2013. Un traumatisme que les Congolais n’ont pas oublié.

Acculé par le M23, Kinshasa hausse de ton
La tension est encore montée d’un cran lorsque les autorités congolaises ont annoncé ce week-end avoir capturé deux soldats rwandais sur le sol congolais, près de Bihumba… à plus de 20 kilomètres de la frontière rwandaise. La présence de forces rwandaises en RDC n’est pas une nouveauté pour les habitants de la zone. Régulièrement, les incursions de Kigali au Nord-Kivu sont dénoncées par la Société civile, l’opposition politique et les mouvements citoyens.
Mais cette fois, Kinshasa a décidé de hausser le ton. Acculées par les coups de boutoir du M23 qui ont menacé Goma, et face à la colère des Congolais, les autorités congolaises ont pour la première fois accusé officiellement le Rwanda de soutenir la rébellion.

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Deux militaires rwandais capturés dans les rangs de M23. Ce qui, selon Kinshasa, confirme la main noire du Rwanda

Des accusations contre Kigali
Des uniformes de l’armée rwandaise, et des armes ont en effet été retrouvées sur le terrain. Des preuves irréfutables pour Kinshasa. «Nous pensons que le M23 ne peut pas disposer de l’arsenal militaire comme celui qu’on trouve chez lui sur le terrain des opérations. D’où, la cristallisation de nos soupçons sur le Rwanda», a dénoncé le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya.
En réponse, la RDC a décidé de placer le M23 sur la liste des groupes terroristes et l’exclu des discussions de Nairobi, où les groupes armés étaient appelés à négocier avec le gouvernement. Les vols de la compagnie Rwandair ont été suspendus et l’ambassadeur rwandais a été convoqué par le ministre des affaires étrangères.
Jamais Kinshasa n’aura été si raide vis à vis de Kigali.

Les deux pays se renvoient la balle
Si le M23 n’est qu’un des multiples groupes armés qui sévissent dans l’Est de la RDC, sa «proximité» avec Kigali cristallise l’attention des Congolais et du gouvernement. Le «dossier M23 » est en effet plus politique que sécuritaire. Les deux pays se renvoient pourtant la balle sur la question. Kinshasa accuse Kigali d’armer le M23 pour déstabiliser l’Est et continuer de se fournir en minerais congolais, alors que le Rwanda dénonce la collaboration de l’armée congolaise avec les FDLR, un groupe armé en lutte contre le pouvoir de Paul Kagame.
Pour de nombreux observateurs, la présence très réduite des FDLR au Congo, ne serait plus une menace directe pour Kigali, mais un simple prétexte pour maintenir la pression militaire en RDC.

Le M23, un problème congolais?
Le soutien rwandais au M23 a toujours été un secret de Polichinelle au Congo. Mais il a beaucoup évolué depuis la création de la rébellion en 2012. Aujourd’hui, la rébellion a plusieurs têtes et n’est plus la marionnette entière de Kigali. Chacun essaie de se servir de l’autre pour ses propres intérêts : le M23 pour s’armer et circuler, le Rwanda pour maintenait une «zone tampon» à ses frontières. Les intérêts de chacun peuvent donc être parfois divergents, et le Rwanda n’a pas toutes les cartes en main pour contrôler complètement la rébellion. Depuis sa défaite en 2013, le M23 n’a pas toujours été soutenu comme il l’aurait voulu par Kigali, ce que le groupe lui reproche aujourd’hui.
Pour le Rwanda, le M23 est maintenant un problème interne à la RDC. Le gouvernement congolais a en effet refusé toute réintégration des rebelles au sein de l’armée et a freiné leur rapatriement depuis leurs camps installés en Ouganda et au Rwanda. C’est le principal reproche du M23 envers Kinshasa. Ce qui pourrait expliquer leur retour sur le terrain militaire… une fâcherie contre le gouvernement congolais.

Les stratégies tout azimut de Tshisekedi
Pour éradiquer l’insécurité endémique dans l’Est du pays, le président Tshisekedi a tenté plusieurs options. En début de mandat, il s’est d’abord rapproché de ses voisins rwandais, ougandais et burundais, espérant mettre sur pied une opération militaire régionale. Les tensions entre le Rwanda et l’Ouganda, et entre le Rwanda et le Burundi ont fait capoter l’idée.
Félix Tshisekedi s’est alors résolu à résoudre le conflit par lui-même en décrétant l’état de siège dans les deux provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Là encore, cette idée ne fonctionne pas. Les offensives des FARDC ne réduisent ni l’action des groupes armés ni le nombre de morts. Face à l’échec de l’état de siège, le président Tshisekedi décide enfin d’autoriser l’entrée de l’armée ougandaise sur le sol congolais. C’est un nouvel échec, et surtout, l’idée déplait fortement à Kigali.

Rwanda, la fin de l’innocence de Tshisekedi
Echaudé par la tournure des événements récents et la résurgence du M23, Félix Tshisekedi a donc décidé de se montrer plus virulent contre son encombrant voisin. Pour de nombreux Congolais, le président Tshisekedi a été trop naïf envers Paul Kagame. Et politiquement, le président congolais pourrait le payer cash à 18 mois d’une élection présidentielle où il brigue un nouveau mandat. Maintenant, sortir ses griffes sur le plan diplomatique peut-il être efficace sur le plan sécuritaire ?
Pour le moment, l’armée congolaise peine toujours à mettre un coup d’arrêt aux agissements des groupes armés. Kinshasa compte sur les discussions de Nairobi pour que de nombreuses « forces négatives » déposent les armes. Cela sera sûrement le cas, mais certainement pas pour les ADF, le groupe le plus puissant, et pour le M23.

Tshisekedi compte sur la Communauté d’Afrique de l’Est
Alors, Kinshasa espère une aide extérieure. Sa condamnation très sévère de Kigali commence à porter timidement ses fruits sur la scène internationale. La commission des affaires étrangères du Sénat américain a demandé des comptes à Kigali, et Paul Kagame sera sans doute très sensible à toute évolution de la position américaine sur le Rwanda. Ensuite, Félix Tshisekedi compte sur la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) pour mettre en place une force militaire offensive contre les groupes armés. Il faudra voir quels seront les pays qui voudront bien y participer. Mais une chose est sûre.
Après les accusations de Kinshasa contre le Rwanda, les pays de la région seront bien obligés de se positionner sur la situation d’un de ses membres. C’est du moins ce qu’espère Félix Tshisekedi, qui reste toujours impuissant à résoudre la crise sécuritaire dans l’Est depuis son arrivée au pouvoir.
Avec Christophe Rigaud (Afrikarabia)