Dégradation «considérable» de la situation sécuritaire dans l’Est, alerte Bintou Keita devant le Conseil de sécurité

Le 30 mars 2023 était la nouvelle date prévue pour un retrait complet des «terroristes» du M23 des positions qu’ils occupent dans la partie Est de la République Démocratique du Congo. Ce n’est pas le cas sur le terrain où le M23 continue leur conquête de nouveau territoires. La situation est donc alarmante, défiant tous les appels à la raison de la communauté internationale. Mercredi, devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies, Mme Bintou Keita, a fait part d’une dégradation «considérable» de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC, sans compter la situation humanitaire «de plus en plus dramatique», après l’échec d’un nouvel appel au cessez-le-feu.
L’envoyée de l’ONU en République Démocratique du Congo (RDC) a prévenu mercredi le Conseil de sécurité que la situation sécuritaire dans l’Est ce pays s’est «considérablement dégradée» ces derniers mois et que la situation humanitaire y est «de plus en plus dramatique». Conscient de la dégradation de la situation, une délégation du Conseil de sécurité a effectué une visite en RDC du 9 au 12 mars, pour marquer la solidarité et la mobilisation des Nations Unies face aux défis sécuritaires, électoraux et structurels dans ce pays.
«L’intensification du conflit avec le M23 et l’activisme persistant d’autres groupes armés, notamment les ADF, Zaïre et la CODECO, pour ne citer qu’eux, continuent d’infliger des souffrances intolérables aux populations civiles», a observé mercredi la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la RDC, Bintou Keita, devant les quinze membres du Conseil.
Mme Keita, qui est également la cheffe de la Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO), a souligné que dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et d’Ituri, des centaines de milliers de personnes ont fui les exactions des groupes armés et les affrontements entre le M23 et les Forces armées de RDC (FARDC) mais aussi entre la CODECO et Zaïre.
«Au Nord-Kivu en particulier, les affrontements entre le M23 et les FARDC ont forcé 900.000 personnes à se déplacer. Les besoins humanitaires, déjà immenses en RDC, continuent d’augmenter. Cette crise humanitaire reste l’une des plus négligées au monde. Les populations déplacées, auprès desquelles je me suis rendue, vivent dans des conditions extrêmement précaires », a-t-elle déploré.
Dans ce contexte, Bintou Keita a plaidé pour la mobilisation des ressources nécessaires pour la mise en œuvre du plan de réponse humanitaire 2023 porté à hauteur de 2,25 milliards de dollars.

Mobiliser les ressources
Elle a également condamné les entraves persistantes à l’accès humanitaire, notamment l’attaque d’un hélicoptère du Service aérien d’aide humanitaire des Nations Unies (UNHAS) en février qui a contraint le Programme alimentaire mondial (PAM) à, temporairement, suspendre ses vols dans les zones de conflits. Elle a appelé toutes les parties au conflit « à respecter le droit humanitaire international et à faciliter l’accès humanitaire aux personnes vulnérables où qu’elles se trouvent ».
Parmi les déplacés, la Représentante spéciale a insisté sur «la situation particulièrement précaire des femmes» et a jugé impératif de financer le Plan d’action national de prévention de l’exploitation et des abus sexuels pour leur assurer une protection adaptée. «Plus de 2 millions de dollars sont nécessaires pour soutenir ses activités, notamment dans les zones touchées par la crise du M23. Parmi les initiatives en cours, je salue la création d’un fond de soutien aux victimes et l’assistance psychologique aux femmes mise en place par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) », a-t-elle dit.

2022, année meurtrière pour les Casques bleus
Mme Keita a expliqué aux membres du Conseil qu’en réponse à ces immenses défis sécuritaires et humanitaires, la MONUSCO « travaille sans relâche dans des environnements hostiles pour remplir son mandat », soutenant en particulier le gouvernement congolais pour la protection des civils, ainsi que le désarmement et la démobilisation des groupes armés et la mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité.
Elle a souligné que 2022 a été l’une des années les plus meurtrières jamais enregistrées pour les Casques bleus de la MONUSCO, qui opère dans un environnement « de plus en plus complexe, volatil et dangereux ».
La représentante spéciale a rappelé que les opérations militaires ne suffiront pas à elles seules à assurer la stabilité de l’est de la RDC et elle a salué les efforts régionaux en cours pour trouver des solutions durables au conflit. Elle a appelé le Conseil « à donner tout son poids à ces efforts en encourageant les parties à respecter leurs engagements et en veillant à ce que les acteurs récalcitrants rendent des comptes ». Elle a observé que les tensions entre la RDC et le Rwanda n’ont cessé d’augmenter, entraînant plusieurs incidents transfrontaliers, ces affrontements présentant « de graves risques d’escalade régionale ».

Des élections en décembre
S’agissant des élections générales prévues pour le 20 décembre 2023, l’envoyée de l’ONU a salué les autorités congolaises et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) «pour leur détermination à tenir les délais face aux défis logistiques, mais surtout face à l’insécurité ». Elle a noté que dans l’Est du Congo, les violences, les affrontements, les déplacements de populations et les zones sous contrôle du M23 «constituent de sérieux obstacles au travail d’enregistrement des électeurs», et dans l’ouest, les violences intercommunautaires dans la province du Mai-Ndombe qui n’ont toujours pas cessé, font aussi obstacle au processus.
La MONUSCO, en partenariat avec les agences onusiennes, soutient le processus électoral et a répondu présente en transportant 126 tonnes de matériel électoral pour la CENI au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri. Mme Keita a salué les efforts de la CENI « qui tente de faire face aux défis opérationnels de l’enregistrement à travers l’extension des périodes d’inscription, la prise de sanctions contre les malversations de ses agents, et la dénonciation des discours de haine».
Elle a toutefois estimé que le processus électoral reste marqué par «un manque inquiétant de confiance entre les principales parties prenantes de la société civile et de l’opposition». Elle a réitéré son appel à l’adresse de toutes les parties prenantes congolaises pour qu’elles travaillent ensemble en vue d’assurer un processus électoral apaisé, transparent, crédible et inclusif dans le strict respect de la Constitution et de la loi électorale.

Le Conseil de sécurité condamne les attaques du M23
A l’issue de la réunion, le Conseil de sécurité a adopté une déclaration dans laquelle il condamne fermement l’augmentation du nombre d’attaques commises par le M23 au Nord-Kivu ces récents mois et les avancées réalisées par ce dernier sur le terrain.
Il exige la mise en œuvre pleine et immédiate des engagements pris en faveur de la cessation des hostilités, la fin de toute nouvelle avancée du M23 et son retrait de tous les secteurs occupés, comme convenu dans le processus de Luanda qui a été approuvé par l’Union africaine. Il enjoint à toutes les parties extérieures à la RDC de cesser immédiatement d’appuyer le M23, qui est visé par des sanctions du Conseil, et de se retirer du pays.
En outre, le Conseil de sécurité se dit préoccupé par les tensions qui règnent entre la RDC et le Rwanda et lance à cet égard un appel au calme et à un dialogue accru entre les deux pays. Il condamne aussi fermement la recrudescence des attaques menées par les ADF et la CODECO contre des civils en Ituri et au Nord-Kivu ainsi que les activités des FDLR. Il exige de tous les groupes armés que leurs membres « se démobilisent immédiatement et définitivement, déposent les armes, renoncent à la violence, préviennent et fassent cesser les violations commises contre des femmes et des enfants et libèrent les enfants enrôlés dans leurs rangs ».

Appui du Conseil à l’action régionale
Le Conseil de sécurité réaffirme son appui à l’action régionale menée par la voie du processus de Nairobi conduit par la Communauté d’Afrique de l’Est et du processus de Luanda visant à rétablir la confiance, à régler les différends par le dialogue et à continuer de mettre à profit les mécanismes et organisations sous-régionaux existants.
Il souligne qu’il est prêt «à désigner des personnes ou des entités qui se livrent ou concourent à des actes qui compromettent la paix, la stabilité ou la sécurité de la République démocratique du Congo, notamment qui fournissent à toute personne ou entité désignée un quelconque appui financier, matériel ou technologique ou des biens ou services».
Le Conseil exprime sa grave préoccupation devant la crise humanitaire et demande aux États Membres et aux organisations internationales et régionales de répondre rapidement aux besoins recensés en la matière dans le Plan d’aide humanitaire au moyen d’une augmentation des contributions et de veiller à ce que tous les engagements pris soient pleinement honorés dans les délais prescrits.
Il condamne fermement la poursuite de la violence et les atteintes aux droits humains commis par tous les groupes armés et demeure profondément préoccupé par l’intensification de la mésinformation et de la désinformation.
En ce qui concerne les élections présidentielle et législatives prévues en 2023, le Conseil encourage les autorités congolaises à continuer de mettre en place, avec l’appui de la MONUSCO, des processus pacifiques, transparents, inclusifs et crédibles en vue de la tenue de ces élections.

Econews