Déguerpissement de Zoé Kabila à Gombe : Tshisekedi pousse Kabila à la faute

Au-delà d’être une simple affaire judiciaire, le déguerpissement de Zoé Kabila, jeune frère de l’ancien président de la République, Joseph Kabila, a des ramifications plutôt politiques. On ne peut donc s’empêcher de faire le lien avec Joseph Kabila. Car, s’attaquer à Zoé Kabila, c’est autrement viser Joseph Kabila. Aphone depuis son retrait de la Présidence de la République, Joseph Kabila s’est totalement soustrait de la vie politique. Il est devenu presqu’un mystère. Personne ne sait ce qu’il pense, ni ce qu’il décidera de son sort en 2023. Joseph Kabila reste donc un mystyère. En s’attaquant à son jeune frère, cherche-t-on à le faire sortir de sa tannière ? Une hypothèse plausible. Le plus évident est qu’en déguerpissant Zoé Kabila de la résidence qu’il occuppait dans un quartier huppé de la commune de la Gombe, Pius Muabilu, ministre d’Etat de l’Urbanisme et Habitat, a misé gros. Derrière lui, on soupçonne la main noire du Chef de l’Etat qui agit par Pius Muabilu interposé, pour pousser Kabila à révéler ses vraies intentions. Le scenario tient la route.
L’affaire continue à faire grand bruit depuis quarante-heures. Le déguer-pissement de Zoé Kabila, frère cadet de l’ancien président Joseph Kabila, de la résidence qu’il occupait au numéro 2 de l’avenue Likasi, dans la commune de la Gombe, à Kinshasa, secoue les réseaux sociaux, tandis que les médias traditionnels s’en sont emparés commentant au gré de leurs préférences politiques.
L’intéressé, ancien gouverneur de la province du Tanganyika, ne semble pas engager un bras-de-fer avec le cabinet du ministre de l’Urbanisme et Habitat duquel émanait la décision de son déguerpissement, au nom de la lutte contre la spoliation des biens meubles et immeubles de l’Etat. Seuls ses avocats sont montés au créneau, dénonçant la violence de l’opération, au nom de la société Katanga Premier SARL qui se réclame concessionnaire de la parcelle querellée. «Un déguerpis-sement illégal», selon Me Benjamin Muganza, à travers un mémo publié le mercredi 24 août.
Pour cette société, le déguerpissement en question a été fait dans le non-respect de la procédure en la matière, s’agissant d’une propriété couverte par un certificat d’enregistrement, seul titre prouvant le droit de propriété immobilière en RDC. A l’appui de son argumentaire, Me Muganza ajoute que le ministre de l’Urbanisme et Habitat a procédé à un déguerpissement illégal, alors que deux actes sont pendants devant le Conseil d’Etat et le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe.
«Le déguerpissement s’est déroulé nuitamment jusqu’au matin par des militaires lourdement armés qui ont procédé au bris du portail. Ils sont entrés par effraction après avoir bouclé tout le périmètre en vue d’empêcher tout accès à la parcelle susvisée. Certains biens appartenant à la société ont été méchamment détruits», renseigne le mémo.
Des images montrant des biens domestiques éparpillés sur le trottoir ont inondé les réseaux sociaux, attestant d’une intention manifeste d’humilier l’occupant des lieux. Et le fait de la proximité familiale de Zoé Kabila et son frère, l’ancien président de la République, interroge sur la véritable cible visée par une opération nocturne comme s’il était question d’envoyer un message par des voies détournées. En clair, que ce soit le Rais qui est visé, il n’y a qu’un pas que l’on franchit d’autant plus aisément que le ministre Pius Mwabilu ne s’en prendrait pas avec hargne aux intérêts du clan Kabila sans un confortable parapluie.

Le choc frontal
Le déguerpissement du jeune frère de Joseph Kabila n’est pas le fait du hasard. Le camp Tshisekedi sait que cet acte est une manière de pousser l’ancien chef de l’État à rompre le silence.
Pour Joseph Kabila, laisser le pouvoir ne s’était pas fait volontairement. Il a été contraint de quitter le pouvoir et de ne même pas le transférer à son dauphin désigné, Emmanuel Ramazani Shadary. Il lui était même impossible d’opérer un forcing en modifiant les résultats «à l’africaine». C’est donc un opposant issu du parti d’opposition à tous les régimes qui ont dirigé la RDC depuis 1965.
Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est donc ce président de la République de l’UDPS qui a pris le pouvoir à l’issue de la présidentielle du 30 décembre 2018. C’est donc avec lui que l’ancien président Joseph Kabila a fait la remise-reprise. Ce 24 janvier 2919 fut un grand jour pour les deux hommes et pour la République tout entière.
L’alternance pacifique avait eu lieu sans un seul coup de feu. Un exemple sur le continent et surtout dans la région des grands lacs africains. Deux années après, c’est le divorce. Le 6 décembre 2020, dans un discours de six minutes, Félix Tshisekedi a mis fin à la coalition FCC-CASH qui s’était illustrée par des conflits au sommet de l’Etat. Tout était complètement bloqué. C’était un soulagement total, parce que les Congolais s’étaient dits que désormais: le Chef de l’Etat va mettre en application son programme de gouvernance.
Mais, en politique il est inacceptable de laisser deux caïmans dans un même marigot. Félix Tshisekedi le savait en écartant Kabila. Maintenant, en franchissant la ligne rouge, c’est-à-dire toucher la famille biologique de l’ancien président de LA République, Tshisekedi offre la preuve que les Kabila ont été un problème pour les Congolais. Ce premier pas va en appeler d’autres, parce qu’en matière immobilière à Gombe, des sources du ministère de l’Urbanisme confient qu’au niveau de la place Royal, toutes les maisons de l’Etat ont été spoliées. Certains vont jusqu’à affirmer que le siège de la Fondation M’zée Kabila serait aussi concerné par cette vague des déguerpissements.
La sortie des avocats de Zoé Kabila n’a en rien changé la donne. Le camp Tshisekedi, présentement tracté dans ce processus par un ex-Kabiliste pur et dur, le ministre Pius Muabilu, ne jure que par la récupération de tous les immeubles de l’Etat spoliés. Les visages des anciens bonzes n’effraient pas le baroudeur Muabilu. Ce n’est donc pas un hasard que ce soit lui à la manœuvre.
L’objectif est de pousser Kabila à la faute et donc le mettre définitivement hors circuit en l’anéantissant, avant les échéances électorales de 2023.
Mémo sur le déguerpissement illégal de KATANGA PREMIER SARL
La société KATANGA PREMIER SARL est concessionnaire de la parcelle portant le numéro 6327 du plan cadastral, sise au n°2, avenue Likasi dans la commune de la Gombe en vertu du certificat d’enregistrement n° AGL.557 Folio 197 du 02 juin 2021.
Les archives de la conservation des titres immobiliers de la Gombe retracent l’historique de cet immeuble et révèlent que par acte de vente notarié du 26 mai 1989 conclu entre l’Etat congolais (jadis la République du Zaïre représentée par le commissaire d’Etat au portefeuille) et Monsieur KUNDO KWANGELE MAKUTU, ce dernier est devenu concessionnaire perpétuel de la parcelle en cause et a obtenu, tour à tour, le contrat de concession perpétuelle n° 18235 du 02 mars 2004 et le certificat d’enregistrement Vol. AL 383 Folio 143 du 03 mars 2004 établi en son nom;
Par acte de vente notarié du 07 février 2004 passé entre Monsieur KUNDO KWANGELE MAKUTU et Monsieur IPOTE Joachim, ce dernier est devenu concessionnaire perpétuel et a obtenu le certificat d’enregistrement Vol.AL 383 Folio 144 établi en son nom en date du 03 mars 2004;
A la suite de l’acte de vente conclu entre Monsieur IPOTE Joachim et la société COSHA INVESTMENT en date du 14 décembre 2007, la parcelle est devenue propriété de la société COSHA INVESTMENT qui obtint le certificat d’enregistrement AL 421 Folio 101 établi en date du 11 janvier 2008.
Il convient de noter ici qu’avant de devenir propriétaire dudit immeuble, la société Cosha Investment fut locataire sur les lieux.
Suivant l’acte de cession notarié du 07 mai 2021 passé entre COSHA INVESTMENT SARL et KATANGA PREMIER SARL, cette dernière est devenue concessionnaire ordinaire de la parcelle susvisée en vertu du certificat d’enregistrement Vol.AGL 557 Folio 197 du 02 juin 2021 établi en son nom en bonne et due forme. Cette cession a été motivée par le fait que COSHA INVESTMENT SARL étant une société minière, devait se conformer aux dispositions de l’artilce 23 du code minier qui exige que l’objet social d’une société minière soit exclusivement minier.
Cela étant, les lieux ont été occupés sans une quelconque réclamation de la part du Ministère de l’Urbanisme et Habitat depuis presque 15 ans par COSHA INVESTMENT SARL, société proche de KATANGA PREMIER SARL.Cette occupation paisible a été troublée par la lettre n° 0974/CAB/MIN.ETAT/MIN-UH/EMK/2021 du 24 septembre 2021 par laquelle le Ministre de l’Urbanisme et Habitat a attribué la parcelle en cause au Ministre de la Défense et Anciens combattants pour raisons de fonction alors que la parcelle n’est pas un bien du domaine public et qu’il a quitté le domaine privé de l’Etat depuis 1989, c’est à dire in tempore non suspecto, en bonne et due forme. C’est donc par erreur que l’arrêté pris par le Ministre KOKONYANGI l’a reprise sur les biens du domaine privé de l’Etat.
En date du 06 octobre 2021, après une sommation verbale de déguerpissement faite le 28 septembre 2021, une équipe composée des agents du Ministère de l’Urbanisme et Habitat a fait intrusion dans la parcelle susvisée, accompagnée des militaires du Bataillon PM/Ville de Kinshasa pour demander à la société Katanga Premier de déguerpir immédiatement des lieux. Cette première tentative de déguerpissement avait échoué.
C’est dans ce contexte que KATANGA PREMIER SARL a assigné le Ministre de l’Urbanisme et Habitat en cessation des troubles de jouissance sous RC 122.063 devant le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe et a saisi le Conseil d’Etat par voie d’un recours en annulation de la lettre d’attribution susvisée enregistré sous RA 731.
Alors que ces deux actions sont encore pendantes devant les juridictions susvisées, le Ministre de l’Urbanisme et Habitat a fait procéder au déguerpissement illégal de la société KATANGA PREMIER SARL en date du 23 août 2022 sans brandir une décision judiciaire ordonnant le déguerpissement comme le veut la constitution en son article 34 qui dispose : «La propriété privée est sacrée. Nul ne peut être saisi en ses biens qu’en vertu d’une décision prise par une autorité judiciaire compétente».
Cette opération de déguerpissement illégal s’est déroulée nuitamment jusqu’au matin par des militaires lourdement armés qui ont procédé au bris du portail. Ils sont entrés par effraction après avoir bouclé tout le périmètre en vue d’empêcher tout accès à la parcelle sus visée. Certains biens appartenant à la société Katanga Premier SARL ont été méchamment détruits.
En conclusion, ce déguerpis-sement est illégal car il a été fait sans respecter la procédure en la matière s’agissant d’une parcelle couverte par un certificat d’enregistrement, seul titre prouvant le droit de propriété immobilière en République Démocratique du Congo conformément à l’article 219 de la loi dite foncière qui dispose : « Le droit de jouissance d’un fonds n’est légalement établi que par un certificat d’enregistrement du titre concédé par l’Etat ».
Fait à Kinshasa, le 24 août 2022
Benjamin Lukamba Muganza
Avocat