Depuis Abidjan, Vital Kamerhe explore les voies d’éclosion des «champions » nationaux en RDC

C’est un joli plateau qu’a réuni Alain Foka à l’émission ‘‘Le débat africain’’ sur RFI, dimanche 24 septembre. Enregistrée à Abidjan en marge de la 9ème édition du Forum Makutano, elle a mis en face Vital Kamerhe, vice-Premier ministre et ministre de l’Economie de la RDC, Jean Billon, député et vice-président du parti d’opposition PDCI-RDA et, surtout, patron de la plus grande entreprise privée de Côte d’Ivoire, la SIFCA ainsi que le Bissau-guinéen Paulo Gomes, ancien directeur exécutif de la Banque mondiale et aujourd’hui fondateur de Orango Investments Corporation. Thème : secteur privé : l’Afrique peut-elle se développer sans champions ?
Intervenant en premier, Vital Kamerhe a rappelé que l’Afrique a été à la base de l’éclosion des sciences dans l’histoire de l’humanité. «Cheick Anta Diop nous l’a démontré suffisamment, l’Afrique a créé la mathématique, la géométrie, etc. Mais cela ne nous a servi à rien. Les autres sont venus apprendre, et ont amené ces connaissances en Grèce, et la Grèce est devenue la nouvelle civilisation, après c’était Rome et de la Rome cela a essimé partout dans le reste de l’Europe, jusqu’au nouveau monde, aux Etats Unis», a soutenu le VPM congolais. Qui garde l’espoir de voir l’Afrique décoller. «Je pense que, après la décennie où la Chine s’est réveillée – car il y a des gens qui se moquaient d’elle, mais elle est aujourd’hui respectée –, il y a l’Amérique latine avec Lula comme porte-voix qui est en train de faire des miracles. Il reste, hélas, l’Afrique. Et l’Afrique, je le dis et le confirme, va prendre rendez-vous avec son histoire», a déclaré M. Kamerhe. Et de renchérir : «Nous devons fabriquer les champions effectivement. Mais il faut savoir d’où nous venons. Nous étions dans la colonisation, après nous avons obtenu des indépendances politiques où nous pensions avoir hérité du bien-être. Si je parle du cas particulier de la RDC, nous étions forts en tout, on exportait tout. Nous avions des réserves qui nous endormaient. A preuve, la Belgique, royaume qui avait colonisé la RDC, est le seul pays d’Europe qui n’avait pas eu besoin du Plan Marshall, les richesses du Congo ont tout fait».

Immenses potentialités
L’homme d’Etat a déploré le manque de cadres universitaires lors de l’accession du Congo belge à l’indépendance – «nous avions 25 diplômés d’université, dont 17 philosophes», a-t-il soutenu – et le fait que le pays a oublié pendant des années à élaborer un modèle d’accumulation du capital. Pourtant, a poursuivi Vital Kamerhe, l’Afrique dispose d’immenses potentialités, qu’il s’agisse des richesses naturelles, ou encore de sa population, «jeune et dynamique». Il a également indiqué que c’est l’organisation qui fait défaut à l’Afrique, regrettant le manque des liens entre les champions des différents pays afin de créer les interactions entre eux.
De son côté, Jean-Louis Billon a développé un point de vue contraire quant à l’émergence des champions nationaux. «Les champions, il y’en a beaucoup en RDC, en Côte d’ivoire, etc. On ne peut pas les fabriquer. Si on les fabrique, c’est artificiel. Ce qu’il faut faire, c’est les identifier, les encadrer. Ce sont des gens qui ont au départ une certaine réussite, et qui ne demandent qu’une chose : la chance de compétir, de pouvoir exprimer leur talent, aussi bien national qu’international», a assené l’homme d’affaires ivoirien. Avant de plaider pour «un nationalisme économique susceptible d’engendrer la préférence nationale». «Pourquoi voulez-vous donner un monopole direct à un entrepreneur étranger en Côte d’ivoire, alors que si vous le donnez à un investisseur local, le chiffre d’affaires et le bénéfice vont rester dans le pays ?», s’est-il interrogé. M. Billon a également évoqué la restructuration des banques au Nigeria, qui a permis le financement de l’activité économique des champions locaux.
Pour sa part, Paulo Gomes s’est dit confiant dans l’éclosion des champions africains, citant notamment les cas de la compagnie aérienne Asky, et de la banque Ecobank. «Mais à condition que les gouvernements puissent bien assainir le secteur économique pour permettre aux champions d’éclore et d’avancer», a-t-il fait savoir.
Vital Kamerhe a donné en exemple le cas de la RDC avec la crise du maïs dans le l’ex-Katanga et le Grand Kasaï. «Nous avons commencé à planter, mais comme nous n’allons pas récolter le même jour, j’ai initié une décision qui a supprimé la taxe sur le maïs importé, ce qui fait que aujourd’hui, le maïs revient moins cher à Lubumbashi qu’à Lusaka. Ensuite, nous avons également supprimé toutes les taxes à l’importation de tout ce qui permet de développer l’agriculture : matériel agricole, intrants, etc. Nous sommes convaincu d’en recueillir les fruits très bientôt», a déclaré le VPM congolais.

Hugo Tamusa