«Détournement de 1,9 million USD de la BAD par le ministère des Finances» : Matata dégaine à nouveau

C’est finalement sur la place publique, par presse interposée, que l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, et le ministre des Finances, Nicolas Kazadi Kadima-Nzuji, ont décidé de se régler des comptes.
La pomme de discorde est encore et toujours une créance de 1,9 million USD que le cabinet d’études Congo Challenge, dont Matata Ponyo est le président du Conseil d’administration, réclame à l’Etat congolais pour des études menées en 2019 dans le cadre de la riposte post-Covid.
Si le boxeur Martin Bakole a pu trouver gain de cause en se faisant payer cash la somme de 100.000 USD pour un combat inexistant de boxe, après une forte pression médiatique et sur les réseaux sociaux – l’aveu est du ministre des Finances – décidément la chance n’a donc pas souri à Matata qui rencontre une farouche opposition du ministre des Finances pour le paiement de la créance de Congo Challenge.
Si Matata ne se lasse pas d’envoyer des courriers à l’argentier national pour exiger son paiement qui devait être déduit sur une ligne de crédit de la Banque africaine de développement (BAD), c’est plutôt par voie de presse que le ministre Nicolas Kazadi a préféré lui répondre, dans une « interview-fleuve » de cinq pages publiée dans un journal de la place. Et Matata Ponyo n’a pas apprécié ce geste. C’est ce qu’il lui dit dans une lettre qu’il adresse, le 4 avril 2023, au ministre des Finances. Le contenu est tout aussi piquant que la dernière interview du ministre Kazadi.
Matata se sent d’ailleurs offusqué. C’est notamment lorsqu’il écrit : « Au lieu de me répondre conformément aux exigences professionnelles, vous avez préféré accorder une interview-fleuve de cinq pages par un journal de la place. Une lettre de deux pages au petit format A4 vous adressée contre cinq pages d’interview de grand format A3. C’est dire que vous vous reprochez quelque chose », avant de se dire « abasourdi par l’abondance de mensonges et contre-vérités qui s’y trouvaient ».
Quoi qu’il en soit, pour avoir été ministre des Finances, bien informé des procédures des bailleurs de fonds, Matata confirme que les fonds de 1,9 million USD destinés à Congo Challenge ont été bel et bien détournés au ministère des Finances. Et de conclure : « Je ne vous aurais jamais écrit si votre ministère n’avait pas détourné les fonds de Congo Challenge. Je dénonce plutôt la mauvaise gouvernance au ministère des Finances dont vous avez la charge. J’espère que cette fois-ci vous payerez ces fonds, ne fut-ce que pour l’honneur de la République et des fonctions que vous occupez ».
Voici la lettre au vitriol de Matata Ponyo au ministre Nicolas Kazadi.
Econews

Monsieur le ministre,
Je me réfère à ma lettre réf N°CC/PCA/MPM/2023/005 du 7 février 2023 par laquelle je vous demandais de bien vouloir payer la somme due à Congo Challenge à hauteur de 1,9 million USD. Au lieu de me répondre conformément aux exigences professionnelles, vous avez préféré accorder une interview-fleuve de cinq pages par un journal de la place. Une lettre de deux pages au petit format A4 vous adressée contre cinq pages d’interview de grand format A3. C’est dire que vous vous reprochez quelque chose.
J’ai lu l’entièreté de votre interview et les commentaires y afférents. J’ai été abasourdi par l’abondance de mensonges et contre-vérités qui s’y trouvaient. A titre d’exemple, il est dit que Congo Challenge a été créé quand j’étais Premier ministre, alors qu’il l’a été en 2017 après mon départ de la Primature en décembre 2016. Ensuite, vous dites que je ne vous ai jamais reçu dans mon bureau à la Primature.
C’est dire alors que j’ai reçu plusieurs fois votre « sosie » I Malheureusement, plusieurs personnes qui vous ont introduit dans mon bureau disent le contraire. Et elles sont prêtes à le témoigner. Avant de lire votre interview-fleuve, je n’ai jamais cru qu’un ministre des Finances pouvait mentir aussi grossièrement comme vous avez fait. C’est taste. C’est cela la politique en RDC !Je n’ose pas évoquer les autres mensonges et contre-vérités y contenus.
En dépit de cela, je confirme que le montant de 1,9million USD décaissé par la BAD pour payer Congo Challenge, notre cabinet d’études, a été détourné par le ministre des Finances. Tel est aussi le point devue de plusieurs experts. Vous n’avez rien à m’apprendre sur les règles de gestion de fonds de la BAD, ayant moi-même géré les fonds de cette institution pendant près de 7 ans au BCECO. Je confirme aussi que dans le circuit de la dépense, il m’a été demandé de payer une commission de 400.000 USD ; ce qui est moralement et professionnellement inacceptable. Je confirme de même que vous avez dit : « je ne paierai pas ces fonds parce que Monsieur Matata est candidat Président de la République ; ce serait lui donner les moyens de sa campagne à la présidentielle ». Ce type de propos est inacceptable pour un ministre des Finances d’autant plus que les fonds détournés n’appartiennent pas à l’Etat congolais.

Monsieur le Ministre,
Toutes les raisons évoquées dans votre interview-fleuve ne valent rien et vous décrédibilisent. Il vaut mieux parfois se taire que de parler. Vous dites que les quatre études produites par Congo Challenge ne sont pas consistantes. Qui peut vous croire lorsque, conformément aux clauses des quatre contrats, un comité interministériel d’experts congolais, dont certains de votre propre ministère, confirme la qualité de ces études ? Etes-vous plus intelligent que tous les experts de différents ministères réunis ? Et le ministre d’Etat au Plan qui a validé la qualité de ces études n’était-il pas intelligent ? Et puis, les clauses des contrats qui vous lient ne vous confèrent pas la compétence de certifier la qualité de ces études. Avez-vous eu le temps de lire ces contrats ? Par ailleurs, si vous refusez de payer le montant dû aux études proprement dites, pourquoi alors ne payez-vous pas la facture d’avance chiffrée à 592.200 USD ? La note métrologique de quatre études élaborée à cet effet pour obtenir ce premier payement a été validée par le ministre d’Etat au Plan. Voulez-vous dire que Congo Challenge, Cabinet d’études à réputation continentale, a été incapable d’élaborer une note méthodologique ? Qui pourrait vous croire ? Enfin, pourquoi, depuis deux ans que vous refusez de payer, vous ne vous êtes jamais adressé au ministre d’Etat au Plan pour récuser sa compétence et la qualité de ces études ? Comment vous, ministre des Finances, non compétent en la matière, pouvez remettre en cause la qualité des études validées par le ministre d’Etat au Plan, compétent en la matière ?

Monsieur le ministre,
Vous avez promis de me traduire en justice pour n’avoir pas révélé dans les 72 heures le nom de la personne qui m’a demandé les 400.000 USD sous forme de commission. J’attends toujours votre démarche. Vous avez indiqué dans votre interview-fleuve que j’ai détourné près d’un milliard USD au cours de la période 2015-2016 alors que j’étais Premier ministre. J’attends que vous me traduisiez en justice pour le démontrer. J’insiste que vous le fassiez. C’est à la mode pour votre gouvernement de me traduire en justice sur des dossiers fabriqués de toute pièce comme Bukanga-Lonzo et Biens zaïrianisés.
Toutefois, je vous informe que, pour question d’honneur personnel, j’avais écrit le 26 août 2020 à l’Inspecteur général des finances pour enquêter sur la gestion de charges publiques que j’ai assumées en tant que Directeur général du BCECO (2003-2010à, ministre des finances (2010-2012) et Premier ministre (2012-2016). Vous connaissez vous-même la maigre moisson des enquêtes envoyées à travers l’ensemble de la République avec pour mission de trouver absolument quelque chose contre moi. J’ose espérer que vous écrirez aussi à l’Inspecteur général des finances une lettre pareille quand vous quittez vos fonctions de ministre des finances.

Monsieur le ministre,
Contrairement à ce que vous pensez et avez dit dans votre interview-fleuve, je n’ai pas besoin de publicité au travers les correspondances avec vous pour promouvoir ma candidature à la présidentielle. Si c’était l’objectif, je choisirais un autre, de préférence performant. C’est plutôt vous qui en avez besoin pour couvrir vos contre-performances économico-financières. J’ai dirigé le ministère des Finances pendant près de deux ans, vous venez de passer presque la même durée à la tête de ce département. Comparez votre bilan et le mien et vous saurez qui d’entre nous deux a besoin de la publicité par rapport à l’autre. Je ne vous aurais jamais écrit si votre ministère n’avait pas détourné les fonds de Congo Challenge. Je dénonce plutôt la mauvaise gouvernance au ministère des Finances dont vous avez la charge. J’espère que cette fois-ci vous payerez ces fonds, ne fut-ce que pour l’honneur de la République et des fonctions que vous occupez. Car le système d’interview-fleuve pleine de mensonges et de contre-vérités que vous avez adopté pour vous dérober de vos responsabilités ne fait que désacraliser la fonction de ministre des Finances et vous décrédibilise davantage.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma parfaite considération.
Matata Ponyo Mapon
Président du Conseil d’administration de Congo Challenge