Election des gouverneurs et stabilisation des institutions provinciales : Belhar Mbuyi répond à l’appel de Félix Tshisekedi et propose la proportionnelle avec prime majoritaire

En République Démocratique du Congo (RDC), la gouvernance et la stabilité de provinces sont en inadéquation avec les objectifs de décentralisation. Un frein permanent qui retarde inexorablement le développement de provinces. Répondant à l’appel du Chef de l’Etat, Belhar Mbuyi, journaliste et analyste politique indépendant, propose la voie de la proportionnelle avec prime majoritaire comme la voie de scrutin idéal pour mettre les provinces dans un bel état de gouvernance. Tribune.

Au cours de son discours sur l’état de la nation le 13 décembre dernier devant le Congrès, Félix-Antoine Tshisekedi a fait le malheureux constat relatif à l’instabilité du pouvoir provincial en RDC. Il a déclaré à ce propos : «Je dois malheureusement mentionner que l’année 2021 a fondamentalement été caractérisée par l’instabilité des Assemblées et Gouvernements provinciaux. En effet, les conflits entre ces Institutions provinciales se sont exacerbés au cours de cette année, au point d’hypothéquer foncièrement le développement des Provinces concernées. Il y a lieu de noter que 14 Provinces sur 26 ont connu la destitution de leurs Gouverneurs par les assemblées provinciales». A la suite de ce constat, le Président de la République a lancé un appel aux élites politiques et, par-delà, à tous les Congolais pour un brainstorming général afin de réfléchir et trouver un meilleur système susceptible de stabiliser le pouvoir provincial tout en respectant la justice et les principes démocratiques.

Je réagis à cet appel en faisant une proposition révolutionnaire, concernant l’élection, aussi bien des députés provinciaux que des gouverneurs eux-mêmes. Il importe dans un premier temps, de rappeler d’où l’on vient avant de baliser les chemins d’un nouvel avenir que l’on souhaite différent en matière de stabilité et de gouvernance des institutions provinciales.

Après l’échec du régime du maréchal Joseph Mobutu, jacobin à outrance, la volonté de tourner la page conduisit l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et le mouvement démocratique de la Conférence nationale souveraine à opter pour un changement radical d’option : au centralisme dictatorial de Mobutu devait succéder son extrême contraire : le fédéralisme. Dans le projet de constitution adopté lors de ce forum, du reste, intitulé «Constitution de la République fédérale du Congo», la CNS adopta donc le fédéralisme comme système d’organisation administrative du pays. L’idée était que, les provinces jouissant d’un pouvoir autonome fort garanti par la constitution, seraient capables de tenir tête au pouvoir central comme on le voit aux Etats Unis et au Nigeria, et constitueraient, déjà, un rempart contre toute nouvelle tentative dictatoriale des dirigeants de Kinshasa.

Plusieurs années plus tard, lors du Dialogue inter-congolais de Sun City en Afrique du Sud de 2002 et 2003, les peurs des ressortissants des provinces de l’Est du pays, alors administrées par des mouvements rebelles soutenus par les voisins ougandais et rwandais accusés, à tort ou à raison, de cultiver des ambitions annexionnistes de certains pans de la RDC, fit reculer l’espérance fédéraliste. Et Sur le plan de l’organisation administrative du pays, la Constitution de juin 2006 consacrait le régionalisme politique, en instaurant une structure politique digne d’un état fédéral, avec, au niveau de chaque province, une assemblée législative qui élit un gouverneur et dont émane un gouvernement.             La Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces vint compléter le tableau en reconnaissant l’autonomie de gestion des provinces et des autres entités décentralisées. Comme en 1960, la constitution instituait le fédéralisme … mais sans le dire !

Simples commis ?

Unitariste et, donc, anti-fédéraliste notoire, Joseph Kabila réussit à faire intégrer dans la constitution cette obligation d’une ordonnance présidentielle d’investiture des gouverneurs pourtant élus. Ce qui eut pour conséquence d’installer dans le subconscient collectif le fait que, d’une façon ou d’une autre, les gouverneurs doivent leur pouvoir aussi au chef de l’Etat. Comme sous Mobutu qui les nommait … et dont ils n’étaient, en réalité, que des simples commis. Ensuite, par une révision de la constitution, l’ancien chef de l’Etat se donna le pouvoir de démettre un gouverneur après concertation avec les présidents des deux chambres du parlement national. Désormais, On le voit dans le comportement de nos gouverneurs : même élus de l’opposition nationale, ils tournent casaque et deviennent très vite des atalaku – flagorneurs qui chantent les louanges du président de la République dans l’espoir de sécuriser leur pouvoir.

Dix-sept ans après l’adoption de la loi fondamentale actuelle, et après deux législatures provinciales, il est temps d’évaluer la décentralisation en œuvre dans le pays sous l’angle de l’accession des dirigeants provinciaux au pouvoir : le mode de scrutin des gouverneurs des provinces.      

Les élections des gouverneurs d’avril 2019 ont suscité la réprobation générale à cause de la corruption qui l’avait entachée. Cependant, le phénomène n’est pas nouveau. Si, à la suite d’Abraham Lincoln, la démocratie se définit d’abord comme le pouvoir du peuple, il va de soi que les dirigeants, à quelque niveau qu’ils soient, doivent être ceux que le peuple souhaite avoir par son vote. Et dans le cas d’une élection au second degré, l’enjeu est de conformer le vote des députés provinciaux à la volonté émise dans les urnes par le souverain primaire. Exemple d’un cas extrême : en 2006 à Kinshasa, le MLC avait, signe d’une incroyable discipline de vote des Kinois dans un système proportionnel intégral au plus fort reste, obtenu 22 sièges sur les 44 à pourvoir. Autant dire que si le pays appliquait le système majoritaire, le parti de Jean-Pierre Bemba aurait raflé autour de 80% de sièges.

Non-sens absolu

Cependant, lorsqu’il a fallu élire le gouverneur de province, c’est André Kimbuta Yango du PPRD, parti qui n’avait recueilli que 7 députés provinciaux, lui-même battu aux élections législatives, qui fut élu. Et comme à Kinshasa, des provinces acquises à l’opposition comme le Bas-Congo, le Kasaï occidental et le Kasaï oriental se retrouvèrent avec des gouverneurs de l’AMP après des prestidigitations politico-financières dignes d’anthologie ! Même l’Equateur se donna un gouverneur kabiliste après la destitution du gouverneur MLC José Makila Sumanda. Il va sans dire que les populations de ces provinces se sont senties trahies, voir violées dans leur volonté clairement exprimée dans les urnes. En effet, c’est comme si les électeurs britanniques se retrouvaient avec un Premier ministre conservateur après qu’ils ont majoritairement voté pour les Travaillistes. Un non-sens absolu !

La même réalité a été au rendez-vous en 2019 : le FCC était aux commandes de toutes les provinces à l’exception d’une seule, le Kasaï oriental, alors que cette plateforme était largement minoritaire dans le pays dans le contexte des élections de décembre 2018. Après la création de l’Union sacrée de la nation, tous ont traversé la rue dans le sens contraire afin de sauver leur pouvoir.                  En outre, les gouverneurs élus après un copieux mouillage de barbe des députés provinciaux, ne peuvent que se maintenir par les mêmes méthodes décriées. L’instabilité est donc généralisée.

Certains proposent carrément l’élection des gouverneurs au suffrage universel direct. A mon avis, il s’agit d’une proposition de facilité qui ne respecte pas l’inclination parlementaire du pouvoir au Congo : que ce soit au niveau national ou provincial, le pouvoir exécutif émane du législatif et est responsable devant ce dernier.

En outre, il faudra éviter d’éventuels blocages si jamais un gouverneur élu directement par le peuple ne disposait pas de la majorité à l’assemblée provinciale. Si notre objectif commun est, comme dans l’Italie des années d’avant 80, de conjurer du même coup cette instabilité chronique au niveau de la gouvernance de nos provinces, nous devons alors chercher le meilleur moyen de constituer des majorités solides dans chaque assemblée provinciale.

Je propose donc le système proportionnel avec prime majoritaire de 50% sur fond du système proportionnel à la plus forte moyenne. Ma proposition a un triple mérite : elle permet forcément au parti dominant au niveau de chaque province de diriger l’entité administrative avec du même coup un gouverneur fort jouissant d’une épaisseur de légitimité personnelle indéniable et stable qui le met à l’abri de manipulations de la part du pouvoir central, et disposant de la majorité au sein de l’assemblée ; elle permet de conformer le vote des députés provinciaux à celui émis par le peuple dans les urnes ; elle ouvre la voie à tout le monde, même issus d’ethnies minoritaires, de pouvoir accéder aussi à la fonction de gouverneur à partir du moment où ils auront été désignés tête de liste du parti dominant ; et elle permet d’éviter la corruption qui entoure souvent l’élection des gouverneurs, ainsi que les pressions qu’exercent certains leaders nationaux sur ceux-ci.

Propositions novatrices

Ainsi, sans préjudice des autres conditions relatives à l’élection des députés et des gouverneurs et vice-gouverneurs, il faut intégrer les nouveaux éléments de base ci-après :

1. Chaque parti ou regroupement qui désire concourir aux élections législatives provinciales présente au secrétariat exécutif provincial de la CENI sa liste de candidats et désigne lequel d’entre eux est son candidat gouverneur de province. Les noms de tous les candidats gouverneurs de province sont publiés au même moment que la liste de tous les candidats députés provinciaux.

2. Les députés provinciaux sont élus dans chaque province au scrutin de liste provinciale à un tour. Chaque liste est constituée d’autant de sections qu’il y a de circonscriptions dans la province.

3. A l’issue du scrutin, il est attribué à la liste arrivée en tête en termes de suffrages exprimés, un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l’unité supérieure. En cas d’égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d’âge la plus élevé.

4. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle du plus fort reste. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus.

5. Les sièges attribués à chaque liste sont répartis entre les circonscriptions qui composent la province à concurrence du nombre de sièges reconnu à chaque circonscription.

6. Lors de sa première séance, la nouvelle assemblée provinciale se dote de son bureau définitif. Le candidat gouverneur présenté par le premier parti de l’assemblée provinciale est élu gouverneur de province à la majorité simple avec un candidat vice-gouverneur qu’il a choisi. Au cas où le candidat gouverneur présenté n’a pas été élu, son parti politique ou regroupement désigne son remplaçant parmi les élus. Si aucune majorité ne se dégage à l’assemblée provinciale pour son élection en qualité de gouverneur de province après trois tours de scrutin, l’assemblée provinciale est dissoute de plein droit, et des nouvelles élections convoquées dans un délai de 60 jours. De même, lorsqu’une assemblée provinciale retire sa confiance au gouverneur, elle est dissoute de plein droit, et des nouvelles élections sont organisées endéans 60 jours.

Exemples pratiques

Je donne en exemple pratiques, le cas des deux (02) provinces prises aléatoirement : le Kongo central, dans l’extrême ouest du pays, et le Sud-Kivu dans l’extrême Est du Congo. Etant donné que la CENI et sa devancière la CEI n’ont jamais publié les résultats détaillés des élections législatives provinciales de 2006 et de 2018, je prendrais comme chiffres les plus récents disponibles : ceux des législatives nationales de 2011 (les détails de celles de 2018 n’ont pas non plus été publiés). Ces résultats peuvent valablement être utilisés pour illustrer ma proposition étant donné qu’il s’agit des mêmes circonscriptions et que le nombre d’élus n’est pas très différent.

I. Kongo central

A l’issue des élections de 2011, les résultats se sont présentés de la manière ci-après : Total votants : 782 027. Nombre de sièges à pourvoir : 22. Les 11 premiers partis en nombre de voix recueillis sont dans l’ordre :

1.       UDPS : 67 845

2.       PPRD : 62 390

3.       MSR : 50 265

4.       ABAKO : 41 763

5.       PPPD : 38 998

6.       RECO : 38 860

7.       MPCR : 25 623

8.       AAA : 25 059

9.       MLC : 22 197

10.     CDC : 21 413

11.     ECT : 18 134

12.     RRC : 18 078

Première opération : le parti arrivé en tête rafle la moitié des sièges. L’UDPS prend donc 11 sièges, selon l’ordre des suffrages de ses candidats. Le reste des sièges est réparti selon la règle du plus fort reste. Avec 782.027 votants pour 11 sièges, le quotient électoral est de 71.093.

Les sièges restants seront répartis entre les partis suivants en fonction de leur quotient électoral :

1.       UDPS : 1 siège

2.       PPRD : 1 siège

3.       MSR : 1 siège

4.       ABAKO : 1 siège

5.       PPPD : 1 siège

6.       RECO : 1 siège

7.       MPCR : 1 siège

8.       AAA : 1 siège

9.       MLC : 1 siège

10.     CDC : 1 siège

11.     ECT : 1 siège.

12.     RRC : 1 siège

Conclusion : à elle seule, l’UDPS, premier parti de la province et principale tendance dans cette province qui a voté son candidat à la présidentielle à 75%, détient la majorité de 12 sur 23 députés. Elle peut donc faire élire son candidat gouverneur qui serait plus facilement accepté par la population, surtout qu’il avait été présenté publiquement avant la tenue des élections. En plus, l’UDPS peut, dans les circonstances de l’époque, compter sur ses alliés de l’ABAKO, de RECO, du MPCR, du MLC et de la CDC qui détiennent chacun un siège pour former une majorité confortable de 17 députés sur 23. Le PPRD, le MSR, le PPPD, l’AAA, l’ECT et le RRC, avec chacun un député, vont constituer une opposition de 6 élus. Ce n’est que justice dans une province comme le Bas-Congo, très ancrée dans l’opposition. Et le jeu politique gagnerait en clarté.

II. Sud Kivu

Nombre de sièges à pourvoir : 32. Les 10 premiers partis sont dans l’ordre :

1.       UNC : 170 088

2.       MSR : 100 833

3.       PPRD : 98 380

4.       AFDC : 84 510

5.       PANADER : 62 963

6.       ECT : 54 086

7.       PDC : 48 358

8.       PALU : 41 555

9.       MCSD : 40 245

10.     UDPS : 34 388

11.     UDCO : 25 991

12.     PCBG : 24 193

L’UNC est le premier parti de la province. Elle recueille donc la moitié des sièges, soit 16, en fonction des suffrages obtenus par chaque candidat.

Les autres sièges sont répartis selon la règle de la proportionnelle au plus fort reste. Cela donne les résultats suivants :

1.       UNC : 4 sièges

2.       MSR : 2 sièges

3.       PPRD : 2 sièges

4.       AFDC : 2 sièges

5.       PANADER : 1 siège

6.       ECT : 1 siège

7.       PALU : 1 siège

8.       MCSD : 1 siège

9.       UDPS: 1 siège

10.     UDCO: 1 siège

Constat : à elle seule, l’UNC totalise une majorité écrasante de 20 députés sur 32. Elle représente la tendance lourde au niveau de cette province, et peut, donc, faire passer son candidat gouverneur. Elle peut en plus compter sur l’élu de l’UDPS pour renforcer sa majorité d’une unité (21 sur 32 députés). Le MSR (2 sièges), le PPRD (2 sièges), l’AFDC (2 sièges), le PANADER (1 siège), l’ECT (1 siège), le PALU (1 siège), le MCSD (1 siège), et l’UDCO (1 siège) peuvent ainsi constituer une opposition forte de 11 membres.

Il faut noter qu’il faudra laisser les chefs coutumiers totalement en dehors des assemblées provinciales, par respect à la loi n° 15/015 du 25 aout 2015 fixant le statut des chefs coutumiers qui décrète, en son article 25 : «Les chefs coutumiers sont apolitiques».

Les inclure dans les assemblées provinciales, et les obliger ainsi à prendre parti pour un camp contre un autre lors du vote ou de la déchéance du gouverneur, ou des membres du bureau des assemblées, revient forcément à briser leur si fondamentale neutralité politique, et à en faire des politiciens parfaitement engagés. Il faudra, de même, supprimer cette fameuse investiture par le chef de l’Etat : une fois élus, les gouverneurs entrent automatiquement en fonction. 

Avec des gouverneurs ainsi légitimés par le suffrage universel et reposant sur une majorité parlementaire claire, les institutions provinciales vont gagner en cohérence et en stabilité. 

Belhar Mbuyi

Journaliste et analyste politique