En RDC, Kolwezi la rebelle dévorée par ses mines

Face aux défis que l’Afrique doit affronter sur les fronts de la dette et du financement pour affronter les défis du changement climatique, l’Afrique voudrait pouvoir mieux compter sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. © FADEL SENNA / AFP

Capitale mondiale du cobalt, le chef-lieu de la province de Lualaba n’en finit pas d’être grignoté par l’exploitation industrielle du minerai, aux mains d’une entreprise chinoise.
Les habitations de la cité Gécamines à Kolwezi reculent. Progressivement rayées du cadastre, elles sont chassées par l’avancée des mines bordant ce quartier construit dans les années 1930 pour les travailleurs de la «mangeuse de cuivre », le surnom donné à l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK) au temps du colonisateur belge, rebaptisée Gécamines après l’indépendance en 1960. Les actions changent de mains. Les moyens industriels évoluent. Mais l’activité demeure la même depuis la nuit des temps : racler, creuser, trier la terre pour en tirer du cuivre et du cobalt. Et tant pis pour les familles vivant sur les filons.
La ville et ses habitants appartiennent à la mine, et non l’inverse. Kolwezi est devenue en quelques années la capitale mondiale du cobalt, indispensable élément pour la fabrication de batteries électriques. Chef-lieu de la province du Lualaba, coffre-fort des exportations congolaises, qui affiche l’une des pires statistiques en matière de malnutrition en République Démocratique du Congo (RDC).
A la cité Gécamines, de l’autre côté d’une haute palissade en béton barrant l’entrée sur le site minier – détenu dorénavant par une entreprise chinoise, la Sicomines –, une masure tombe en ruine. «Les habitants ont été déguer-pis [chassés]», explique Léonard Zama, militant de l’organisation de la société civile Lutte pour le changement, plus connue sous le nom de Lucha. En bordure du quartier, l’école primaire et l’Eglise méthodiste ont fermé. Plus assez sûres. Trop fissurées par l’onde de choc provoquée par les explosions de dynamite des miniers.
«Environ 40 % du quartier ont été grignotés ces dernières années », note Marcellin Mukembé-Mubedi, enseignant à l’Institut supérieur pédagogique de Kolwezi et grand spécialiste de l’histoire de la ville. A quelques kilomètres de là, dans le quartier Mutoshi, c’est l’activité des creuseurs artisanaux qui, comme la lèpre, ronge les maisons. « On ne peut pas exclure qu’il faille un jour déplacer la ville plus à l’Est », ajoute l’historien rappelant qu’un tel projet, radical, avait été évoqué dans les années 1970.

Fortune des miniers et désespoir des mineurs
La cité Gécamines est victime des richesses colossales de son sous-sol. On ne parierait pourtant pas un franc congolais sur la présence de ce trésor sous-terrain en contemplant la pauvreté des masures de tôles et de briques de terre érigées le long de venelles poussiéreuses et insalubres. Si Kolwezi a connu son heure de gloire, un passé aussi étincelant que le cuivre, celui-ci a fait la fortune des miniers et souvent le désespoir de ses mineurs.
Il y a eu peu de retombées positives pour les habitants alors que la présence de ces minerais est identifiée depuis des lustres. Bien avant l’ère industrielle, « les traces métallurgiques les plus anciennes de l’activité des «mangeurs de cuivre» qui amenaient des malachites [carbonate de cuivre] dans des bas fourneaux datent aux alentours de l’an 400 avant J.-C., c’est un site immensément riche », affirme Marcellin Mukembé-Mubedi. Cette exploitation artisanale produisait une monnaie d’échange, les croisettes de cuivre devenues emblématiques du Katanga. «On en a retrouvé jusqu’en Amérique du Sud, au Brésil », explique l’historien en désignant l’un de ces croix accrochées au mur de son salon.
Il faudra attendre le début du XXe siècle, au lendemain de la première guerre mondiale, pour basculer dans une tout autre dimension. «L’UMHK gérait la ceinture congolaise du cuivre dont Kolwezi est l’un des maillons. Les mines tournaient à plein régime, même la nuit. Les agglomérations de la région profitaient des fruits de cette réussite industrielle. Il y avait des routes en bon état, des centres urbains bien organisés, des hôpitaux. Mais ces cités florissantes étaient aussi marquées par un apartheid colonial. En 1960, Kolwezi comptait 4.000 Blancs et 20.000 Congolais. Chaque communauté avait ses écoles, ses hôpitaux, ses centres culturels. Ces deux mondes ne se mélangeaient pas », expliquait le journaliste belge né à Kolwezi Erik Bruyland, auteur de Cobalt Blues, dans un entretien publié par Le Monde, le 3 octobre 2021.

Une descente aux enfers sous Mobutu
La ville de Kolwezi en tant que centre urbain n’émerge qu’en 1937, cinq ans après le début de la construction de la voie ferrée qui la reliera au port angolais de Lobito, à 1 500 km de là sur la côte atlantique. Quelques vestiges architecturaux subsistent de cette époque, dans le « quartier européen » le long de l’avenue Kasa-Vubu, depuis le siège de l’ancienne UMHK jusqu’à la cathédrale. Mais ce sont surtout les fantômes qui rôdent.
Près de la gare désaffectée, l’hôtel Impala n’est plus qu’un squat où des haillons pendent sur des cordes à linge. Subsiste, accroché au mur, la tête stylisée d’une antilope impala. De jeunes hommes irrités par une présence étrangère jouent avec des capsules de bière sur un damier en carton. En mai 1978, l’hôtel était couru par les Européens de passage. Plusieurs centaines d’expatriés, essentiellement des cadres de la Gécamines et leurs familles, s’y regroupèrent lorsque les rebelles du mouvement des Tigres katangais prirent le contrôle de la ville. Plusieurs dizaines de cadavres d’Européens, massacrés par les rebelles, furent découvertes dans l’hôtel par les légionnaires du 2e REP parachutés sur la ville lors de l’opération Ebonite pour libérer les otages. L’événement sonna le glas de la présence européenne massive qui avait déjà décliné depuis l’indépendance de 1960.
La ville allait poursuivre une descente aux enfers au rythme des errements de Mobutu Sese Seko, leader de la RDC (de 1965 à 1997) longtemps incontesté avant d’être chassé par les armes. Kolwezi et la Gécamines vivaient en symbiose. «Gécamines njo mama, Gécamines njo baba ! » «La Gécamines, c’est ma mère, la Gécamines c’est mon père », avait-on coutume de dire, rappelle le chercheur Benjamin Rubbers dans un long papier publié en 2006 dans les Cahiers d’études africaines décrivant l’effondrement, par étapes, du minier entre sa nationalisation par Mobutu en 1967 et le début des années 2000.
Victime d’un «cercle vicieux sans autre issue que l’écroulement de l’édifice (…), l’argent entrait et disparaissait aussitôt », analyse Benjamin Rubbers. L’entreprise est démembrée, vampirisée par Mobutu et son clan puis par les Kabila père et fils, présidents successifs de 1997 à 2019. Tous ont pioché dans la caisse, puis vendu l’entreprise par appartements au fil des ans. Aujourd’hui, la Gécamines ne produit quasiment plus rien.

Les Chinois ont mis la main sur les mines
Ce n’est plus elle qui fait la loi à Kolwezi. C’est sans elle que la ville est devenue la capitale mondiale du cobalt et un centre majeur d’extraction du cuivre. La renaissance de la ville remonte à la signature, en 2008, du «contrat du siècle », évalué à 6 milliards de dollars, signé entre l’Etat congolais et un consortium d’entreprises chinoises. L’accord leur attribuait des mines de cobalt et de cuivre en échange d’investissements dans les infrastructures.
Quinze ans plus tard, le bilan est celui d’un fiasco. Les entreprises chinoises ont bien mis la main sur les mines. Ils contrôlent 80 % de la production de cobalt. Mais où sont les trente hôpitaux, les deux aéroports, les quelque 3.000 km de lignes de chemin de fer et les 7.000 km de routes qu’ils devaient construire sur toute l’étendue du pays ? Un rapport saignant de l’Inspection générale des finances, publié en février, estime que le «contrat du siècle » a abouti à une forme de «colonisation économique» de la part de la Chine.
«De toute façon, Kolwezi n’aurait rien eu de tout cela », souligne Charlotte Cime-Jinga, ancienne maire de la ville de 2008 à 2016. «Le Katanga cédait ses mines et d’autres en profitaient. Tout avait été décidé à Kinshasa sans y associer ni la ville ni la province », ajoute-t-elle. «En termes d’urbanisation, les Chinois n’ont rien fait. Ils se sont réfugiés dans les infrastructures construites par les Belges », confirme Marcellin Mukembé-Mubedi. Les empereurs du cobalt sont tapis dans l’ombre, calfeutrés dans quelques hôtels casinos neufs mais sans charme, dans leurs cités ou sur les sites miniers.

«Les rois de la corruption »
«Ils ont mis la main sur tout le business et ne partagent rien », se lamente un négociant, intermédiaire entre les creuseurs artisanaux et les transformateurs de minerais. Il n’y a pas si longtemps, cette activité faisait vivre des centaines de familles congolaises aux côtés d’hommes d’affaires libanais et indiens. «Il n’y a plus que des Chinois, eux ne paient pas beaucoup mais ils paient cash », raconte notre source qui a préféré lui-même s’associer à un partenaire chinois plutôt que disparaître. « Ils contrôlent toute la chaîne depuis l’exploitation, industrielle ou artisanale, jusqu’à la production de produits finis en Chine, sans même laisser de place à des sous-traitants locaux », se plaint un petit entrepreneur congolais.
« Surtout, ajoute-t-il, ce sont les rois de la corruption.» Or, il n’y a pas eu de miracles sur le plan de la gouvernance locale ou nationale. «Où va l’argent de la redevance minière que les entreprises versent aux entités territoriales décentralisées [ville, région…] ? », demande Jean de la Paix Mibangu, directeur général et créateur, il y a vingt-cinq ans, de la Radio communautaire libre (RCL). «L’Etat annonce des productions en hausse mais la population ne voit rien. Tout va dans les poches des nouveaux riches liés au pouvoir. Les autorités locales font gagner tellement d’argent à Kinshasa qu’elles sont intouchables », accuse-t-il.
Courageusement, faisant fi des pressions et harcèlement administratifs, la RCL se fait quotidiennement l’écho de ces abus et dysfonctionnement. « Ils ont peur de nous parce que nous avons la population derrière nous », veut croire le journaliste. L’esprit rebelle de Kolwezi vacille mais n’est pas encore mort.
Christophe Châtelot
Envoyé spécial de Le Monde à Kolwezi