En RDC, le méga-contrat émirati provoque la colère d’entreprises minières locales

Quatre partenaires locaux de la société publique congolaise Sakima accusent cette dernière d’avoir renié ses engagements au profit de la société Primera Mining Ltd.

La cérémonie de signature du contrat entre la Société Aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima), une entreprise parapublique congolaise et l’entreprise émiratie Primera Mining Limited, le 17 juillet dernier, avait eu un certain retentissement.

Ce contrat d’un montant de plus d’1,9 milliard de dollars, signé sous le haut patronage de Félix Tshisekedi et de Cheikh Shakhbut bin Nahyan Al Nahyan, ministre d’État des Émirats Arabes Unis alors en visite en RDC, vise l’installation de «plus de quatre mines industrielles» pour «connecter les provinces du Sud-Kivu et du Maniema ».

En ligne de mire, l’or et les «3T» : étain, tantale, tungstène. Mais la signature de ce contrat n’est pas du goût de Stone MiningCompany SARL, de CDMC SARL, d’Amur SARL et de DFSA Mining Congo, quatre sociétés minières de droit congolais qui étaient toutes, au 17 juillet, engagées dans un partenariat avec Sakima pour des projets situés dans le périmètre concerné par le projet émirati.

«Revenir à la raison»

Si ces entreprises ont reçu, à compter du lendemain de la signature de l’accord, des courriers de la structure publique leur indiquant son retrait de chacune des coentreprises et la récupération de la pleine jouissance des permis d’exploitation concernés, leurs dirigeants dénoncent une rupture de contrat menée dans l’ignorance «des termes des accords comme des lois de la République».

Dans une lettre conjointe adressée à la présidence de la République, à la Primature, au ministère du Portefeuille, au président du Sénat, au cadastre minier, au ministère des Mines et à celui de la Justice, et dont Jeune Afrique a pris connaissance, les responsables des quatre sociétés appellent la Sakima à «revenir à la raison».

Ils estiment que deux options sont encore possibles : soit une procédure de rupture unilatérale de l’engagement de Sakima qui respecte la procédure et prévoit un dédommagement de ses partenaires, soit une redirection de Primera «vers des sites libres de tout engagement». Sans quoi, l’entreprise doit s’attendre à «une montagne d’obstacles et de contentieux interminables sur le plan national et international» se dressera.

Enjeux de sécurité

Dans le courrier informant CDMC du retrait de la Sakima de leur projet commun, Fidèle Babala, le DG de l’entreprise publique, justi»e sa décision par l’échec de son partenaire à développer les sites concernés et assume vouloir, conformément aux options stratégiques du gouvernement congolais, se tourner vers d’autres partenaires pour assurer «une migration rapide vers l’exploitation industrielle ».

Dans sa démarche, il a reçu le soutien de la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (Licoco), qui a publié le 1er août un communiqué de presse appelant à retirer les titres miniers des partenaires de la Sakima qui n’ont «pas respecté le code minier» en ne mettant pas en valeur les gisements concernés.

«C’est vrai que les procédures n’ont pas vraiment été respectées et qu’il aurait fallu résilier ces contrats avant d’en conclure de nouveaux. Mais dans cette région instable où les intérêts privés priment sur l’intérêt général, la priorité est la lutte contre l’insécurité. Or, force est de constater que l’industrie contribue à la paix, alors que les mines artisanales contribuent à renforcer les groupes armés qui nous agressent. Là où Barrick ou Alphamin opèrent, il n’y a pas d’insécurité», explique à Jeune Afrique le directeur exécutif de l’organisation, Ernest Mpararo, pour qui il est «urgent de couper la source d’approvisionnement en métaux précieux des pays voisins ».

Des exportations d’or multipliées par 10

Basée à Abu Dhabi et principalement active en Tanzanie, Primera Mining Limited est arrivé en RDC au début de 2023, avec la création de sa «filiale Primera Gold DRC. «En l’espace de trois mois, elle a exporté 10 fois plus d’or que la quantité officiellement exportée par le gouvernement de la RDC en 2022 et a mis en place des mécanismes de conformité pour répondre aux exigences nationales, régionales et internationales en matière d’approvisionnement responsable», relève, dans son rapport publié en juin 2023, le Groupe d’experts sur le Congo de l’Onu. Qui pointe cependant des «défis, notamment le risque que Primera Gold RDC devienne un canal de blanchiment d’or illégal ».

Ni Fidèle Babala ni le ministère congolais des Mines n’ont donné à nos sollicitations.

Avec Jeune Afrique