Etat de siège : jour de vérité ce mercredi au Palais du peuple ; continuer ou s’arrêter ? :

Au Palais du Peuple où se clôture ce mercredi 16 août la table-ronde sur l’état de siège décrété depuis deux ans, dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, une certaine unanimité semble se dégager autour de la levée de cette mesure exceptionnelle. Sans résultat sur le terrain militaire, l’état de siège a, par contre, fortement augmenté les restrictions de liberté en Ituri et au Nord-Kivu, notait en mai dernier Amnesty International. Pendant ce temps, les autorités civiles, politiques et judiciaires ont cédé la place aux militaires, déjà en échec dans leur propre domaine de compétence. Continuer avec l’état de siège ou s’arrêter ? C’est tout le problème. Quoi qu’il en soit, le dernier mot reviendra au Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, seul habilité à trancher sur cette question d’intérêt national.
L’état de siège va-t-il se poursuivre, être requalifié ou va-t-il être carrément levé ? C’est à cette question que doivent répondre les travaux d’évaluation, débutés lundi et devant se clôturer ce mercredi 16 août, de cette mesure qui avait été prise par le Président de la République depuis un peu plus de deux années dans le but de lutter contre les groupes armés et protéger les populations civiles dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Pour en assurer la réussite, des administrations militaires avaient été instaurées dans ces provinces et à la tête de leurs territoires.
Ces administrations, assurant aussi le commandement militaire dans les opérations, étaient dotées de pouvoirs les plus étendus, jusque sur la justice, et ne faisaient face à aucun mécanisme de contrôle. En effet, elles répondaient directement de Kinshasa puisque même les assemblées provinciales avaient été mises en congé.
Très vite, cependant, des voix se sont faites divergentes dans l’évaluation de cet état de siège. À sa première année déjà, les différents rapports indiquaient un bilan plutôt contradictoire avec les objectifs poursuivis par cet état de siège.

Un régime de répression, selon Amnesty International
Dans un rapport daté de juin 2022, Amnesty international dénonçait un instrument dont le plus grand rôle aura été, en une année, d’écraser les dissidences. Des dizaines de personnes jugées critiques sur cet état de siège et les pratiques en cette période ont été privées de liberté. Parmi eux des députés, des activistes pro démocratie ou encore ceux des droits de l’homme. Deux d’entre eux ont même trouvé la mort en cette première année de l’état de siège dans des conditions demeurées mystérieuses à ce jour.
Amnesty international invitait, dans ce rapport, le Président Félix Tshisekedi à « lever toutes les restrictions en matière des droits de l’homme et veiller à ce que l’état de siège ne devienne pas un régime permanent en définissant un calendrier précis de sortie ».
De son côté, l’ONU indiquait, dans un autre rapport sur la même période, le doublement du nombre de personnes tuées sous ce régime pourtant instauré pour protéger les populations. L’organisation mondiale avait, en effet, documenté au moins 1.261 morts entre juin 2021 et mars 2022 contre 559 morts pour la période correspondante entre 2020 et 2022.
Au plan interne, l’état de siège avait aussi été l’objet de profondes discordes pour une mesure censée œuvrer pour la paix. Son efficacité a été l’objet de débats houleux à l’Assemblée nationale et même le Président de la République était obligé de mener des consultations quant à l’opportunité de lever cette mesure ou pas. Des députés du Nord-Kivu et de l’Ituri – qui avaient décidé de boycotter les plénières qui autorisaient la prorogation de cette mesure – ont été parmi les plus consultés.
Cependant, aucune décision ne s’est dégagée ni de ces débats parlementaires qui avaient formulé des recommandations ni des consultations du Chef de l’État qui avaient enregistré les mêmes observations. Au contraire, les observateurs sont d’avis que le gouvernement et le Chef de l’état ont laissé perdurer trop longtemps cet état de siège qui avait montré déjà ses limites jusqu’à devenir contre productive en divisant les Congolais et en éloignant les dirigeants de la base qui réserve sa confiance depuis.

Loin des attentes
Deux ans après son instauration, l’état de siège reste toujours une énigme, alors que la RDC s’apprête à rentrer en campagne électorale, avec des élections générales prévues en décembre prochain.
Nombre d’analystes pensent qu’«aujourd’hui, l’état de siège semble ne plus avoir de raison d’être après les échecs à répétition de l’armée congolaise, et surtout depuis l’arrivée des troupes de l’East African Community (EAC) au Nord-Kivu ». Après un énième accord de cessez-le-feu, les soldats est-africains sont venus s’interposer entre l’armée congolaise et le M23, prenant le contrôle des zones libérées par les rebelles.
Sur ce chapitre précis, de nombreuses organisations des droits de l’Homme congolaises et internationales demandent la levée de l’état de siège.
Généralement critique avec cette mesure exceptionnelle, le mouvement citoyen LUCHA n’a toujours pas été tendre envers Kinshasa.
«L’instauration de l’état de siège a suscité l’espoir d’une action militaire forte de l’armée congolaise contre les différents groupes armés. Plusieurs groupes armés locaux se sont ainsi déclarés prêts à déposer les armes pour adhérer au schéma de la paix. Certains ont même déposé les armes et sont mis à la disposition des autorités pour un processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Cependant, faute de prise en charge et d’un processus DDR adéquat, d’un programme de démobilisation, désarmement et réinsertion communautaire, différents groupes armés continuent à semer la terreur et la désolation », relevait, en mai dernier, un document interne de LUCHA. Et d’ajouter : «L’Etat n’a pas été capable de contraindre les groupes récalcitrants à déposer les armes. En effet, l’instauration de l’état de siège n’a donné lieu à des nouvelles opérations militaires de grande envergure sur terrain. Celles qui étaient en cours ont paradoxalement diminué. La nomination des officiers militaires à des fonctions politico-administratives a contribué à détourner l’armée de ses missions régaliennes de sécurisation du territoire congolais et de ses citoyens et à renforcer l’affairisme de certains de ses membres. Le manque de soutien logistique et financier conséquent de la part du gouvernement ainsi que le détournement des fonds alloués aux opérations militaires ont renforcé l’inefficacité de l’armée congolaise qui ne fait qu’assister impuissamment à l’expansion des violences armés». Avant d’en constater l’échec : «Plutôt que réformer et donner des moyens aux forces armées congolaises pour les rendre capables de défendre notre pays et son peuple, les autorités congolaises les ont plutôt substituées par des forces armées étrangères, des mercenaires étrangers et des groupes armés locaux. L’armée nationale a ainsi été réduite à une simple force assistée plutôt que d’être renforcée, assainie et réformée».
A LUCHA de conclure : «Du fait du manque d’une évaluation sans complaisance des facteurs des conflits armées, l’échec de l’état de siège était prévisible malgré la bonne foi des populations et des organisations comme la nôtre qui se sont résignées à l’accepter. Il faut maintenant tirer les leçons des limites majeures de l’état de siège comme stratégie de pacification et envisager des alternatives crédibles».
Pour Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International, cité par Afrikarabia, «Si le président Félix Tshisekedi ne lève pas l’état de siège aujourd’hui, après deux ans de restrictions illégales et injustifiées imposées aux droits humains, les membres du Parlement doivent rejeter toute nouvelle demande de prorogation faite par le Gouvernement».

Une évaluation aux visées électoralistes 
Aujourd’hui, certains observateurs se demandent si une table-ronde d’évaluation aujourd’hui n’a pas simplement des visées électoralistes. Ceci parce qu’ils sont convaincus que le Gouvernement aurait dû réfléchir sur d’autres stratégies pour faire face à la situation qui avait tellement évolué qu’elle ne correspondait plus aux éléments ayant fondé l’instauration d’un état de siège, surtout que le nombre de groupes armés censés être combattus n’a guère baissé et que la poursuite de leurs activités, comme la CODECO, continue à semer mort et désolation. Comme la résurgence du M23 a aggravé la situation sécuritaire au Nord-Kivu.
Le contexte sécuritaire, sur lequel l’état de siège n’a eu aucun impact notable, a tellement évolué qu’on se demandait à quoi il servait, sinon à couvrir l’embarras de le lever sans bilan à brandir. Alors il aurait donc fallu, selon les analystes, trouver une voie de sortie tout en préparant une défense pour le contexte électoral.
La prochaine session parlementaire de septembre va être la toute dernière de cette mandature. Consacrée au budget, et alors que les esprits vont être définitivement tournés vers la campagne électorale, il fallait trouver un forum pour tourner, sans bruits ni curiosité, la page de cet état de siège vide de tout bilan à se mettre sous la dent.
C’est dire que tout dépend de ce qu’en dira le Président de la République, sur base des conclusions de la table-ronde du Palais du peuple.

Econews