Evariste Mabi M. : «La résilience de l’économie nationale ne pourra provenir que de la diversification économique»

Le professeur Evariste Mabi Mulumba

Économiste de renom et professeur d’université, l’ancien Premier ministre, Evariste Mabi Mulumba, fait le diagnostic de l’économie congolaise, trace les conditions de réussite du programme conclu en juillet 2021 avec le Fonds monétaire international (FMI) et revient sur les réformes prioritaires dont le pays a besoin pour sa transformation. Il s’est confié au magazine Enjeux africains de François Katende. Interview.

Quel diagnostic porteriez-vous aujourd’hui sur l’évolution des fondamentaux de l’économie congolaise ?

L’économie congolaise est caractérisée par une instabilité chronique découlant du manque de diversification économique. En nous limitant à l’analyse de la balance commerciale de la RDC, nous nous rendons compte que l’économie du pays reste fragile, car reposant sur les matières de base dont les prix sont volatiles.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la RDC, dont l’économie reste très dépendante du secteur minier, soumis aux aléas des cours internationaux, est un Etat qui reste en situation de fragilité. L’économie congolaise est spécialisée, largement dépendante du secteur minier : 95% de ses exportations sont des matières premières (principalement le cuivre et le cobalt).

Cette structure contraste avec celle connue, par exemple, en 1959 où les produits miniers rapportaient 57,2% des recettes en devises au pays et les productions agricoles 42,8%.

Malgré l’impact du Covid-19, l’activité aura connu néanmoins une croissance positive du PIB en 2020 de 1,7% grâce à un rebond plus rapide des cours des matières premières, portés par la demande chinoise. Le poids de la pandémie a été particulièrement important dans le secteur des services, entraînant une contraction du PIB hors industries extractives, en perte de vitesse par rapport à 2019. Selon le FMI, la croissance pourrait s’établir à 4,9% en 2021 et autour de 5,6% en 2022. Cette nette reprise devrait continuer de reposer sur le secteur minier. L’inflation serait limitée à 6%.

Selon sa dernière analyse de soutenabilité, le FMI considère que le risque d’endettement reste modéré. Même si le niveau de la dette est relativement faible en pourcentage du PIB, l’insuffisance de recettes fiscales comme des capacités limitées de réponses à des chocs exogènes limitent la possibilité pour l’instant d’un recours aux prêts. Le pays est éligible à l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) du G20 et du Club de Paris.

Quel commentaire vous inspire le programme conclu en juillet 2021 entre la RDC et le FMI ?

L’approbation en sa faveur, le 15 juillet 2021, par la Conseil d’administration du Fonds monétaire international d’un accord au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) de 1,52 milliard USD est un événement majeur dans l’accomplissement de sa politique économique. Ce crédit est classé dans la catégorie des financements concessionnels, c’est-à-dire aux conditions allégées. Le taux d’intérêt des financements accordés au titre de la FEC est de 0% avec un différé d’amortissement de cinq ans et demi et une échéance maximale de dix ans. L’arrangement au titre de la FEC va se concentrer sur trois domaines-clés, à savoir l’intensification de la mobilisation des recettes intérieures afin d’accroître la marge de manœuvre budgétaire pour les infrastructures et les dépenses sociales; le renforcement de la gouvernance notamment la gestion des ressources naturelles et la transparence; enfin, le renforcement du cadre de la politique monétaire et de l’indépendance de la Banque centrale. L’accord au titre de la FEC est amené à catalyser le soutien au budget et aux projets des partenaires extérieurs. Ce concours supplémentaire du FMI fait suite au soutien d’urgence du FMI à la RDC au titre de Facilité de crédit rapide (FCR) en décembre 2019 et en avril 2020 (en soutien budgétaire) pour un total de 731,7 millions USD.

Il faut rappeler que ce nouvel accord est triennal, donc court sur trois ans et que le premier décaissement s’est élevé à 216,9 millions USD et les prochains tirages vont se faire tous les six mois après une évaluation concluante chaque fois avant de libérer les prochaines tranches, et que l’accord peut être suspendu à chaque évaluation comportant un non-respect de critères de performance ou de réalisation. En fait, il s’agit d’un financement assorti de conditionnalités.

Il n’y a qu’à rappeler l’échec de deux programmes du gouvernement qualifiés de Programme économique du gouvernement (PEG) :

• PEG 1 couvrant la période allant d’avril 2001 à la fin de mars 2006 suspendu pour non-respect de trois critères quantitatifs à la cinquième revue de ce programme.

• PEG 2 qui courait du 12 décembre 2009 au 10 décembre 2012 dont les trois derniers décaissements de l’ordre de 220 millions USD attendus de l’accord signé entre la RDC et le FMI n’ont pas été exécutés par le Fonds en raison de l’opacité ayant caractérisé les informations du secteur minier, c’est-à-dire la non publication des contrats miniers alors que la RDC s’était engagée à les rendre publics.

A cette occasion, la Banque centrale du Congo fera cette grave déclaration : «Cette situation conforte le constat général fait il y a plusieurs décennies prouvant que les programmes financiers conclus entre la RDC et le FMI n’ont jamais pu être menés à terme», (BCC, Rapport sur la politique monétaire en 2012, p.69).

Dans ce cas faut-il être optimiste quant à l’issue de l’actuel programme appuyé par le FMI depuis le 15 juillet 2021 ?

Il y a lieu de l’être quand on se réfère au constat fait dernièrement par le FMI reconnaissant que les autorités congolaises ont réalisé des progrès dans le domaine de la transparence dans l’exécution des dépenses liées au Covid-19 et en publiant les contrats miniers.

Le rappel de ces deux programmes (PEG1 et PEG2) avec le FMI non menés jusqu’à leurs termes sert à inviter le gouvernement à ne pas baisser sa vigilance face à l’accomplissement des conditionnalités conclues par les deux parties au risque de compromettre les espoirs placés dans les résultats de la relance économique attendue. Bien sûr cet appui s’insère dans la recherche d’une croissance soutenue, mais qui ne sera inclusive que si les résultats des investissements induits vont avoir un impact positif sur les différents segments de l’économie nationale avec des effets d’entraînement sur la croissance de différents secteurs de l’économie et une répartition équilibrée des revenus induits.

Quelles sont les réformes prioritaires dont le pays a besoin pour sa transformation ?

La réussite d’un développement durable devra reposer sur une stabilité politique et une paix sociale. C’est ce qui doit constituer le socle de toute croissance économique durable.

• Pour cela, l’accent devra être mis sur l’amélioration de la gouvernance ainsi que sur le renforcement de la capacité de négociation des contrats de partenariat et de la lutte contre la corruption et l’impunité.

• Il y a nécessité de diversification de l’économie basée sur l’industrialisation et le développement du secteur agricole renforcée par la priorité portée sur les infrastructures de transport et énergétiques sans oublier l’amélioration de l’éducation nationale.

• La résilience de l’économie nationale ne pourra provenir que de la diversification économique.

Comment avez-vous accueilli la nomination d’une femme à la tête de la Banque centrale ?

A notre avis, cette nomination s’intègre parfaitement dans la mouvance des progrès que le monde moderne imprime à l’histoire de l’humanité en recourant à toutes les forces vives de la société tenant compte de l’aptitude de chaque citoyen sans discriminations aucunes de sexes et autres, les seuls critères pris en compte étant la compétence et le savoir-faire.

Le fait qu’une femme soit nommée à la tête de notre Banque centrale ne constitue pas une innovation lorsqu’on se réfère au recours fait à la gent féminine à travers le monde. Les femmes accèdent à l’heure actuelle à toutes les fonctions exercées par les hommes.

En nous limitant au secteur bancaire et financier, il faut relever que la Banque centrale européenne (BCE) est dirigée à l’heure actuelle par une femme, Christine Lagarde, anciennement directrice générale du FMI. Cette fonction est actuellement exercée par une autre femme, Kristalina Georgieva.

Comme un fait du hasard, l’actuelle gouverneure  de la BCC, Malangu Kabedi-Mbuyi a œuvré près de 30 ans au sein du FMI. Avec cette expérience, sa compétence n’est pas à démontrer. C’est dire que la nouvelle gouverneure de la BCC réunit toutes les conditions pour réussir dans ses nouvelles fonctions.

Quel commentaire vous inspire le niveau atteint par les réserves de change de la BCC de l’ordre de 3,3 milliards de dollars US ?

Ce niveau de réserves de change de l’ordre de 3,3 milliards USD fait renaître l’espoir sur la stabilité de la monnaie du pays et par ricochet un optimisme sur le cadre macroéconomique, une condition pour relancer la croissance économique. Il faut toutefois attirer l’attention sur l’origine de ces ressources additionnelles.

En effet, celles-ci ont une origine extérieure : 1,52 milliard provenant de la FEC du FMI et 1,5 autre milliard provenant de la création de nouveaux Droits de tirage spéciaux (DTS) crées par le FMI au profit de ses membres pour faire face à l’impact négatif du Covid-19 sur l’économie mondiale. C’est dire que ces ressources ne proviennent pas de la dynamique de l’économie nationale et leurs effets risquent de s’estomper si elles ne participent à la relance économique, d’où l’accent mis sur leur orientation vers des réformes devant accroître la mobilisation des ressources internes, le renforcement de la gouvernance et le renforcement du cadre de la politique monétaire et de l’indépendance de la Banque centrale.

L’accord avec la Chine n’a pas produit les résultats escomptés. D’après vous, pourquoi ? Et si c’était à refaire, quelle serait la voie à suivre ?

Cet accord a été signé le 22 avril 2008 entre l’Etat congolais et un consortium d’entreprises chinoises (deux entreprises étatiques et une société privée de droit chinois). De ce contrat naîtra la Sicomines SA, une joint-venture constituée par le gouvernement congolais représenté par la Gécamines et le Groupe des entreprises chinoises (GEC) détenant 68% du capital et la Gécamines possède le reste, soit 32%.

Globalement, le projet portait sur 6,2 milliards USD dont 3 milliards pour les infrastructures et 3,2 milliards pour le projet minier (Sicomines). L’investissement de 3,2 milliards USD dans le projet minier était financé à l’aide d’un prêt sans intérêts de 1,1 milliard USD, ainsi que d’un prêt de 2,1 milliards USD assortis d’un taux d’intérêt de 6,1%. L’investissement de 3 milliards USD dans les infrastructures publiques était à financer au moyen d’une série de prêts à décaisser pour chaque projet, chacun étant assorti d’un taux d’intérêt fixe de 4,4% (LIBOR plus 100 points de base au 22 avril 2008). Tous les prêts sont libellés en dollars. Le consortium d’entreprises chinoises a payé à l’Etat congolais un pas de porte de 250 millions USD et à la Gécamines la somme de 100 millions USD. Le projet minier devrait dégager des bénéfices d’exploitation à partir de 2013, lesquels serviront à rembourser les prêts aux projets miniers et d’infrastructure publique. En réalité, ce n’est qu’en 2016 que la production a réellement pu commencer par Sicomines en relevant toutefois de gros soucis d’énergie. Quel est le niveau d’exécution du contrat chinois 12 ans après ? Pour ce qui est du financement des infrastructures, il n’a été décaissé que 900 millions USD, intérêts compris au lieu de 3 milliards USD annoncés, et pour les investissements miniers 1,8 milliard au lieu de 3,2 milliards.

En conclusion, l’exécution du contrat chinois ne s’est pas exécutée à un rythme acceptable face aux attentes du peuple congolais. Ce dysfonctionnement est attribuable, à notre avis, du côté congolais, à une lacune grave dans les mécanismes de suivi. Une lacune assimilable à une négligence grave. Tous ces projets retenus dans le contrat chinois sont essentiels pour la relance de notre économie. L’amélioration à apporter réside dans la mise en œuvre d’un mécanisme de suivi dans l’exécution des engagements des parties comprenant une évaluation périodique dans des délais les plus rapprochés possibles.

Propos recueillis par F.K. (Enjeux africains)