Face aux groupes armés présents à Nairobi, Kinshasa exige : « Le cessez-le-feu immédiat et la reddition inconditionnelle» 

Négociations, pourparlers, dialogue ? Les avis sont partagés sur les échanges que l’Etat congolais a eus à Nairobi (Kenya) avec les délégués des milices et groupes armés présents en République Démocratique du Congo. Pour Kinshasa, toutes les discussions tournent autour de deux propositions : « cessez-le-feu immédiat et reddition inconditionnelle ». Ce sont les préalables posés par les émissaires du Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, aux délégués des groupes armés qui ont fait le déplacement de Nairobi.
A Nairobi, capitale du Kenya, Kinshasa s’est donné un temps pour écouter des délégués de divers groupes armés qui pullulent dans la partie Est de la République Démocratique du Congo. Si, pour le moment, Kinshasa écarte toute idée de négociations ou d’un quelconque dialogue avec les groupes armés, il pense néanmoins obtenir deux choses à l’issue de ces assises : «cessez-le-feu immédiat et reddition inconditionnelle».
Les consultations de paix entamées samedi dernier se poursuivent à Nairobi. Une dizaine de groupes armés ont participé aux travaux lundi, originaires pour l’essentiel du Sud Kivu. D’autres groupes armés, en provenance du Nord-Kivu et de l’Ituri sont toujours attendus. Le week-end dernier le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a exhorté tous les groupes armés locaux de la RDC à «participer» à ce processus politique. En coulisses, de nombreux spécialistes de la région soulignent cependant le «flou» qui règne autour de l’organisation de ces discussions.

Même objectif, divergence dans la méthode
A Nairobi, tout le monde est d’accord sur l’objectif final : ramener la paix dans l’Est de la RDC. Mais sur la méthode et la nature exacte du processus en cours, on note un certain flottement, note RFI. Le Kenya, qui joue le rôle de facilitateur parle dans ses communiqués d’un « dialogue de paix inter-congolais». Kinshasa préfère le terme de «consultations » et exige des participants une «reddition inconditionnelle» fermant ainsi la porte à toute idée de négociations.
La liste des participants ne semble pas avoir été établie à l’avance. Elle s’allonge de jour en jour au grès des arrivées. «tous les groupes armés qui acceptent de cesser les hostilités sont la bienvenue», explique Giscard Kusema, directeur adjoint de la présente, en permanence à Nairobi.
«Reste que cela donne au processus un parfum d’improvisation», déplore un diplomate. D’autant que ces participants ont des profils variés : du groupe armé connu et actif, au groupuscule quasi inconnu, en passant par des chefs traditionnels venus d’Ituri. « On ne comprend pas exactement la stratégie », estime Jason Stearns, directeur du groupe d’étude sur le Congo (GEC) de l’Université de New York. Sans oublier le flou autour de la participation de la principale branche du M23 (la branche Makenga), qui représente l’une des principales menaces à la sécurité dans l’Est de la RDC mais ne prend plus part aux travaux, chassé depuis samedi par le gouvernement congolais.
Depuis samedi, et le reprise des affrontements entre M23 et FARDC, les deux délégués du mouvement présents dans la capitale kényane n’ont plus pris part aux discussions. Ils démentent toutefois avoir été exclus samedi de la salle où se déroulaient les échanges. Ils parlent d’une «suspension» et se disent en attente de la suite.
«Il n’y a pas eu de rencontre directe entre nous depuis ce jour-là, ce qui est dommage. Nous sommes tous frères. Mais on attend jusqu’à ce qu’on nous dise la suite. On est là, on cherche la paix, on est là pour ça. On attend jusqu’à ce qu’on nous appelle. (…) La facilitation a suspendu et elle regarde comment est-ce qu’on peut faire », a indiqué Lawrence Kaniyuga, porte-parole de la délégation du M23 Makenga, cité par RFI.

Des groupes armées affluent à Nairobi
Le lundi 25 avril 2022, au troisième jour des discussions, les délégués de plusieurs autres groupes armés conviés du Nord-Kivu restent toujours bloqués à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu.  
Jusqu’à la fin de la matinée du lundi, une grande délégation des représentants des groupes armés du Nord-Kivu, qui avait déjà finalisé avec les formalités d’usages pour le voyage à Nairobi, attendaient toujours leur avion, révélaient des sources proches de ces groupes.   
Il s’agit, entre autres, des représentants de Nduma defense of Congo NDC/Rénové de Fidèle Mapenzi et Désiré Ngabo, ceux de l’Union des patriotes pour la défense du Congo (UPDC) de Maachano et Bilikoliko. Les délégués des Forces de défense des droits humains (FDDH/Nyatura) de Dusabe Gashamira, du Groupe armé des volontaires (GAV) de Matata Suleiman, des délégués de l’Alliance des forces de résistance congolaise (AFRC) de Kakule Masivi alias «Je t’aime», ainsi ceux de l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS), aile Paul Muhanuka, sont aussi à Goma. 
De nombreux autres groupes armés importants opérant dans la province du Nord-Kivu affirment avoir déjà été contactés et attendre une invitation formelle avant leur déplacement pour Nairobi. Il s’agit notamment de l’APCLS de Janvier Kalahiri de Masisi, dont le porte-parole précise que leurs délégués attendent encore une confirmation plus «convaincante », avant de venir à Goma pour les formalités.   
Même discours tenu par le collectif des mouvements pour le changement (CMC/Nyatura) de Rutshuru, et Front des patriotes pour la paix (FPP) de Kabido, actif dans le territoire de Lubero. 
Les délégués de ces groupes armés locaux en attente à Goma, depuis deux jours, se plaindraient déjà du fait que leur prise en charge ne soit pas encore assurée, précisent des sources locales. 
Parmi les six nouveaux arrivants, il y a le colonel auto-proclamé Olivier Murindangabo du groupe Ngumino, Justin M’munga M’shaleke, coordonnateur de la coalition des Forces des patriotes pour la défense du Congo (FPDC), du groupe Ebwela Mtetezi. Le FPDC regroupe en effet plus de soixante-cinq groupes armés autochtones actifs dans l’Est de la RDC.   
Le groupe armé «Yaku-tumba», quant à lui, venait de désister à la dernière minute. Et pourtant, il avait reçu l’invitation et avait exigé et obtenu le versement des frais de voyage pour un jet privé que de prendre le vol collectif avec les autres délégués des groupes armés. Son porte-parole a notamment fait savoir que «Yakutumba» ne peut pas se mettre aux côtés de M23 qu’il considère être un groupe étranger, mais, qui négocie avec Kinshasa. 
Entre temps, sur le terrain, au Sud-Kivu, la situation sécuritaire reste toujours tendue dans les hauts et moyens plateaux d’Uvira et de Fizi. De violents combats ont opposé, vendredi 22 avril 2022, le groupe Gumino et alliés aux miliciens Biloze Bishambuke dans les villages Masango, Muramvya et ses environs faisant plusieurs morts et plusieurs blessés. 

Kinshasa aux aguets
Le gouvernement congolais a prévenu, l’option militaire sera maintenue contre ceux qui iront à l’encontre de la carte du dialogue. A l’issue de ces discussions, Kinshasa envisage deux options. La première diplomatique et l’autre militaire. Dans la première option, «Il s’agit ici de la reddition inconditionnelle. Tous les groupes armés doivent déposer les armes, et tous sans exception, y compris le M23, doivent s’aligner». Si l’option diplomatique échoue, c’est l’option militaire qui sera enclenchée. «L’option militaire reste sur le terrain, et c’est une option qui va s’appliquer à tous les groupes armés qui seront réfractaires», a indiqué la même source.
Le M23/Makenga reste donc la grande inconnue des discussions de Nairobi. Présents à la première journée des travaux, mais expulsés de la salle à la demande des envoyés de Kinshasa après la nouvelle de la reprise des combats entre les FARDC et le M23 dans le Rutshuru samedi en milieu d’après-midi.
Dans un communiqué officiel, le M23 accuse les forces militaires congolaises de les avoir attaqués. Selon eux, ils n’ont fait que réagir aux provocations des FARDC.
Pour sa part, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui a salué, samedi 23 avril 2022, les efforts du président kenyan, Uhuru Kenyatta, et de la communauté Est-africaine pour la promotion de la paix, la stabilité et le développement en République Démocratique du Congo et dans toute la région de l’Afrique de l’Est, exhorte tous les groupes armés locaux opérant en République démocratique du Congo à participer sans condition au processus politique, et tous les groupes armés étrangers à désarmer et à retourner sans condition et immédiatement dans leurs pays d’origine respectifs, a fait savoir à l’opinion son porte-parole, Eri Kaneko.
Le chef de l’ONU a insisté sur la nécessité d’une coordination efficace entre la force régionale et la mission de l’Onu pour stabilisation en RDC (MONUSCO), «qui est essentielle pour assurer la protection des civils». Il a appelé à un dialogue continu, franc et ouvert entre toutes les parties prenantes en vue de résoudre les tensions et de renforcer la confiance.
Pendant ce temps, à Nairobi, on est encore loin d’une fumée blanche.

Tighana Masiala