À 39 ans, l’ex-sénateur normand, de tous les gouvernements d’Emmanuel Macron depuis 2017, devient son septième Premier ministre, et le quatrième en un an. Du jamais-vu dans une Ve République longtemps réputée pour sa stabilité mais entrée dans une crise sans précédent depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. À ce fidèle issu de la droite de trouver des « accords » avec les forces politiques avant de « proposer » un gouvernement. Une mission à haut risque dans un paysage politique éclaté et au vu des réactions très fraîches, voire hostiles des oppositions à l’annonce de sa nomination.
Sébastien Lecornu succède à François Bayrou, qui a perdu son pari de la confiance, lundi 8 septembre, à l’Assemblée nationale pour redresser les finances du pays. La passation de pouvoir entre les deux hommes a eu lieu, mercredi 10 septembre, le jour même d’une mobilisation pour « bloquer » le pays initiée par divers mouvements, qui a débuté par une série d’actions sporadiques, notamment dans l’Ouest et en région parisienne, avant une mobilisation syndicale, le 18 septembre. Les organisations syndicales appellent à la grève reconductible dans l’éducation nationale, le service public ou encore dans les transports.
Sébastien Lecornu arrive à point nommé. Il devra contenir la colère sociale, qui gronde un peu plus depuis la présentation du projet de budget de François Bayrou, le 15 juillet.
Le 9 septembre au soir, il a affirmé sur X qu’il « mesurait leurs attentes » et qu’il « connaissait les difficultés » qu’ils rencontraient. « Nous sommes au travail, avec humilité, et nous allons tout faire pour y arriver ».
Première tâche confiée par le président de la République à ce fidèle compagnon : « Consulter » les forces politiques en vue de trouver des « accords » pour préserver la « la stabilité institutionnelle pour l’unité du pays », se disant « convaincu » qu’une entente est « possible », malgré une majorité introuvable depuis la dissolution ratée de 2024.
Le nouveau pensionnaire de Matignon a déjà entamé ses consultations, selon l’Élysée. « À la suite de ces discussions, il appartiendra au nouveau Premier ministre de proposer un gouvernement », a ajouté la présidence, qui inverse donc la méthode.
À l’orée de discussions délicates, l’entourage de Sébastien Lecornu loue le « calme » de l’ancien sénateur normand et son absence d’ambition présidentielle, un « négociateur » qu’a pu obtenir un « large consensus » sur la loi de programmation militaire.
Comme preuve de « changement de méthode », que devrait prôner le nouveau Premier ministre, selon une source au sein de l’exécutif (dixit l’AFP), le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, a demandé, mercredi 10 septembre, qu’il s’engage à ne pas recourir à l’article 49.3 de la Constitution, utilisé pour faire adopter sans vote tous les budgets depuis 2022.
Le président de la République a ainsi invité sa fragile coalition du centre et de la droite à « travailler » avec le Parti socialiste pour « élargir » son assise. Car pour tenir, le futur gouvernement devra obtenir à minima une non-censure du Parti socialiste indispensable pour doter la France d’un budget pour 2026, dont la préparation vient de faire tomber le gouvernement sortant qui avait présenté un effort de 44 milliards d’euros.
« Sans justice sociale, fiscale et écologique, sans mesures pour le pouvoir d’achat, les mêmes causes provoqueront les mêmes effets », a prévenu le Parti socialiste.
Selon un interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron, cité par une dépêche de l’AFP, ce dernier pourrait cette fois accepter de réelles concessions aux socialistes, par exemple sur la taxation des plus riches, jusqu’ici tabou pour lui.
HOMME AVERTI ET HABILE
Après avoir reconnu la défaite de son camp aux législatives de 2024, tenté une semi-cohabitation avec l’opposant Les Républicains (LR), Michel Barnier, puis avec le centriste Bayrou, Emmanuel Macron s’en remet donc à un macroniste pur sucre qui a grimpé les échelons jusqu’à devenir ministre des Armées en 2022. Déjà en décembre dernier, il avait voulu le nommer à Matignon, mais son allié historique, François Bayrou, avait fini par s’imposer à lui.
Cette fois, le président n’a pas tergiversé malgré une offre de service de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, cette nomination express semblant indiquer que le scénario avait été soigneusement préparé en amont.
Pour le président de la République, Sébastien Lecornu est un homme averti et habile, qui saura trouver des compromis raisonnables. Selon lui, un des atouts de Sébastien Lecornu est sa capacité à échanger avec les politiques de tous les horizons, du Rassemblement national (RN) jusqu’à la France insoumise (LFI). Il a « les qualités » pour « discuter » et « trouver un accord » avec les autres partis, a jugé l’ex-Premier ministre, Édouard Philippe, sur TF1. C’est « un vrai politique, avec une vraie culture politique, qui aime les rapports de force, les complots, des diners », résume le député insoumis des Hauts-de-Seine, Aurélien Saintoul, au journal Le Monde. Et le président des Républicains (LR) et ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est aussitôt dit prêt à « trouver des accords » avec Sébastien Lecornu afin de bâtir une « majorité nationale », signifiant ainsi sa volonté de rester au gouvernement.
Néanmoins, la tâche va être rude. Forger une majorité de compromis, notamment sur le budget 2026, ne sera pas une sinécure. À Sébastien Lecornu de trouver des accords avec les différents partis et de résoudre le casse-tête d’une Assemblée nationale plus fragmentée que jamais. Une mission à haut risque face à la menace permanente d’une censure.
En principe, le projet de loi de finances (PLF) doit être déposé au Parlement le premier mardi d’octobre au plus tard, soit cette année, le 7 octobre. Le PLF et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) doivent ensuite être examinés par l’Assemblée nationale et le Sénat pour une durée maximum de 70 jours pour le premier et 50 jours pour le second. Le budget doit obligatoirement être adopté avant le 31 décembre.
Or, la mission s’annonce compliquée. François Bayrou en a fait l’amère expérience puisqu’il doit sa chute au vote de confiance qu’il avait lui-même convoqué sur son projet de budget 2026. Avec un objectif fixé à 44 milliards d’euros d’économies et des mesures polémiques, l’ex-Premier ministre n’a pas su convaincre les oppositions. Sébastien Lecornu devra donc présenter un budget reprenant-ou non- certaines dispositions de celui de François Bayrou, puis le défendre devant les députés qui l’attendent au tournant, autant sur le fond que sur la forme.
LECORNU, LA DERNIÈRE CHANCE
Le Rassemblement national (RN) et les Insoumis ont pour leur part dénoncé la proximité entre le président et son nouveau chef du gouvernement, promettant de continuer à manier la censure faute de changement de cap politique.
« Le président tire la dernière cartouche du macronisme », a ironisé Marine Le Pen sur X, qui réclame une nouvelle dissolution, tandis que Jean-Luc Mélenchon dénonçait « une triste comédie de mépris du Parlement », a de nouveau appelé au « départ de Macron ». LFI compte d’ailleurs déposer une motion de censure spontanée dès la reprise de la session parlementaire. Une « provocation » et « un non respect total des Français », a renchéri la patronne des Écologistes, Marine Tondelier.
Emmanuel Macron le sait : s’il n’a que des cartes imparfaites entre les mains, l’atout qu’il a abattu risque d’être le dernier avant de devoir, en cas de nouvel échec, redissoudre l’Assemblée nationale, comme l’y invite le Rassemblement national (RN). En cas d’impasse prolongée, la pression monterait sur une démission d’Emmanuel Macron, espérée par l’extrême droite comme par la France insoumise (LFI). C’est donc dire que Sébastien Lecornu est le Premier ministre de la dernière chance.
COUP DE FOUDRE POLITIQUE
Sébastien Lecornu, nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, fait partie de la garde rapprochée du chef de l’État. Il est un des rares à avoir sa place dans le « boy’s club de l’Élysée ».
Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron, c’est un coup de foudre politique. L’histoire commence en 2017 lorsque les deux hommes se rencontrent lors d’un Conseil des ministres. Le chef de l’État venait de nommer secrétaire d’État à l’Écologie celui qui était alors conseillé départemental de l’Eure. Ils ne sont jamais quittés depuis. Sébastien Lecornu est le seul ministre à avoir pris part, et surtout à avoir survécu à tous les changements de gouvernement sous l’ère Macron. Jusqu’à devenir Premier ministre, le 9 septembre 2025, soit huit ans plus tard.
« Un exploit et une énigme », selon un ancien collègue du nouveau locataire de Matignon auprès du Monde. Un exploit parce que les embûches ont été nombreuses en particulier ces derniers mois : Michel Barnier ne voulait plus de lui au ministère des Armées en septembre 2024 et nombreux sont ceux à être opposés à sa nomination à Matignon lors de différents remaniements comme Gabriel Attal, François Bayrou ou encore Richard Ferrand. Une énigme pas vraiment. Sébastien Lecornu a, depuis 2017, toujours eu le soutien du président de la République. Une proximité qui a même fait naître des jalousies en Macronie.
La balle est désormais dans son camp : à lui de prouver qu’il peut réussir là où ses prédécesseurs, Michel Barnier et François Bayrou, avaient échoué
Robert Kongo (CP)