Grands Lacs : une nouvelle guerre régionale couve au Nord-Kivu

Des bruits de bottes se font une fois encore entendre dans le Nord-Kivu. Les observateurs redoutent un nouvel embrasement régional.

Une nouvelle guerre était-elle sur le point d’éclater au Nord-Kivu, avec une menace d’embrasement de toute la région ? Après le déclenchement des hostilités le 28 mars dernier, on a pu le craindre car, en dépit de l’état de siège, l’armée congolaise, une fois de plus, accusa des défaillances qui menèrent à un changement de commandement face à des éléments rebelles du M23. Ces derniers furent accusés d’avoir abattu un avion de la Monusco qui opérait un vol de reconnaissance au-dessus des forces en présence et huit Casques bleus y trouvèrent la mort. Même si les rebelles viennent de proclamer un cessez-le-feu provisoire, bien des questions demeurent.

En effet, le M23, qui avait été défait militairement, est composé essentiellement de soldats tutsis liés au Rwanda, qui avaient accepté, après leur reddition, de se réfugier provisoirement en Ouganda et à terme, d’être intégrés à leur tour dans de l’armée congolaise. Comme l’avaient été avant eux tous les autres rebelles soutenus par le Rwanda, depuis le RCD Goma qui avait lancé la deuxième guerre du Congo en août 1998 jusqu’au CNDP dirigé par Laurent Nkunda, qui coule toujours des jours tranquilles au Rwanda, ou Bosco Ntaganda, détenu à La Haye.

Opérations nocturnes

Las de devoir intégrer au sein de ses troupes des soldats rebelles connus pour leurs exactions sur le terrain et leurs liens avec Kigali, le gouvernement congolais avait tardé, durant dix ans, à tendre la main au M23 dirigé par un autre chef de guerre, Sultani Makenga. Dès le début des hostilités, le porte-parole de Kinshasa avait immédiatement dénoncé l’implication du Rwanda dans cette nouvelle rébellion.

Sur le terrain, tant les observateurs de la société civile que des journalistes locaux considèrent ce soutien rwandais comme une évidence : les affrontements ont lieu dans une zone d’altitude, dans un triangle d’accès difficile touchant les frontières du Rwanda et de l’Ouganda, et l’armée rwandaise, bien équipée en matériel de vision nocturne, mènerait des opérations de nuit, laissant opérer ses alliés une fois le jour levé.

A première vue, cette reprise des combats peut surprendre, non seulement parce que le Nord-Kivu est toujours en état de siège, mais aussi parce que, depuis son accession au pouvoir, le président Tshisekedi s’était montré désireux de se démarquer de son prédécesseur Kabila et d’établir une paix durable dans la région. Il avait donc tendu la main à son voisin Kagame et multiplié les gestes de bonne volonté : la compagnie Rwandair opère aujourd’hui sur tout le territoire congolais supplantant peu à peu ses rivales congolaises, l’or du Kivu est acheminé vers une raffinerie construite au Rwanda par le Belge Alain Goetz. En outre, les services de sécurité rwandais ont obtenu en territoire congolais une liberté de mouvements inédite afin de contrer les menées des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, en lutte contre Kagame depuis l’exode des forces génocidaires en 1994.

«Un risque majeur»

Cependant, lorsque le président Tshisekedi accepta que l’armée ougandaise prête main-forte aux forces armées congolaises (FARDC) dans la guerre menée en Ituri contre les groupes djihadistes ADF (Allied democratic forces) qui opèrent aussi en Ouganda, le Rwanda prit ombrage de cette «mutualisation» des forces dont il avait été écarté. Des observateurs comme Pierre Boisselet, rédacteur du Baromètre sécuritaire du Kivu, considèrent comme un «risque majeur» la possibilité d’une escalade régionale. Vingt ans après la «guerre des diamants» qui avait opposé à Kisangani les troupes du Rwanda et de l’Ouganda, faisant de nombreuses victimes congolaises, le même scénario pourrait se reproduire, avec une fois encore des prétextes sécuritaires (la maîtrise des groupes rebelles) et des enjeux économiques bien réels.

Pour Pierre Boisselet, «l’enjeu véritable est la maîtrise des routes commerciales, légales ou illégales, car les productions minières des régions enclavées du Kivu sont obligées de passer par les pays voisins pour gagner les ports de l’Océan Indien ». Or, en même temps qu’elle menait la guerre aux islamistes, l’armée ougandaise s’est employée à réhabiliter la route Goma-Bunagana, reliant l’Est de la RDC à l’Ouganda, ce qui réduira immanquablement au profit de Kampala le trafic commercial passant par le Rwanda.

Les Kivutiens relèvent aussi que des réalisations économiques qui pourraient faire concurrence au Rwanda ont été visées par les rebelles : ces derniers en effet se sont positionnés dans le parc des Virunga et des tirs ont été dirigés vers la centrale hydroélectrique de Matebe, où des combats ont eu lieu. Or le plus ancien parc d’Afrique, dirigé par le Belge Emmanuel de Mérode, avait maintenu ses activités en dépit du covid, accueillant un nombre croissant de touristes, faisant ainsi concurrence au Rwanda qui a fait de ses gorilles de montagne un atout touristique majeur. En outre, l’électricité de Matebe, qui approvisionne la ville de Goma et fait tourner les petites industries de la région est elle aussi en concurrence avec l’électricité produite sur la rivière Ruzizi sur la frontière rwandaise.

D’ici trois ans, une nouvelle centrale construite à Rwanguba devrait doubler la quantité d’énergie fournie à Goma et accélérer le développement de cette province dynamique, qui n’est freiné que par les guerres à répétition et l’éternelle résurgence de rebelles soutenus à l’extérieur du pays.

Par Colette Braeckman (Le Soir/Belgique)