Immunités parlementaires de Matata : au Sénat, la politique supplante le droit

Lorsque la politique dans l’hémicycle met à mal le droit, c’est dire qu’il y a des kamikazes décidés de marcher sans reculer sur l’équité et la justice. Au Sénat de la République Démocratique du Congo, il se produit des épisodes qui révèlent chaque jour que la politique tient le droit à la gorge.

En fait, la réalité est que le leadership du Sénat pèche par une volonté non dissimulée d’en finir avec Augustin Matata Ponyo Mapon, ancien ministre des Finances et Premier ministre, devenu sénateur au terme des élections de décembre 2018. Pour cette raison, marcher sur le cadavre de la loi ne gêne plus.

Le très pondéré Modeste Bahati, président du Sénat, est sorti de sa réserve. Bahati a rugi comme un lion pour répondre à Matata Ponyo. Pour justifier sa prise de position, le président du Sénat assume sa volonté de déchirer l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui s’est déclarée incompétente pour juger un ancien Premier ministre.

Bahati ne l’entend pas de cette oreille. Selon lui, les procédures prévues dans la loi ne peuvent pas s’appliquer à Matata Ponyo. Haine ? Jalousie ?

Apparemment Bahati, l’un des grands bénéficiaires des nominations de Corneille Nangaa, (alors président de la CENI) serait compté parmi les grandes fortunes du pays. Lui-même l’a clamé du haut de la tribune du Sénat. Des épiphénomènes qui apportent la preuve que le refus de réhabiliter les immunités de Mapon est motivé par d’autres choses : des raisons politiques qui ne se retrouvent pas forcément dans les prescrits du système judiciaire congolais.

En réalité, les têtes couronnées de l’Union sacrée de la nation redoutent une seule chose : le ralliement de Matata au Chef de l’État qui est à la recherche d’un Congolais capable de booster l’action gouvernementale.

A lire de plus près, Bahati n’est que la partie visible de l’iceberg constitué d’une meute de gens déterminés à empêcher tout rapprochement entre Tshisekedi et Matata. L’allusion à des injures imaginaires de Matata au Chef de l’Etat est la parfaite illustration de cette volonté de faire barrage à cette éventualité. P

Pourquoi cette grande peur dans le chef des adversaires de Matata ? L’avenir promet des surprises.

Sans se lasser, Matata a encore récidivé lundi au Sénat, déterminé à recouvrer toutes ses immunités parlementaires.

Econews

Intervention de Matata au cours de la plénière du 13 décembre 2021 relative à la remise de ses immunités parlementaires

Honorable président,

Honorables sénateurs, chers collègues,

Comme vous le savez, le procès sur l’affaire Bukanga-Lonzo à mon encontre s’est clôturé par l’arrêt RP 0001 rendu le 15 novembre 2021 par la Cour constitutionnelle. Selon, cet arrêt, la Cour s’est déclarée incompétente pour juger un ancien premier ministre que je suis. Cette incompétence concerne aussi le Parquet général près la Cour constitutionnelle qui m’a poursuivi comme premier ministre en fonction en violation des articles 163,164,166 et 167 de la Constitution.

Cette incompétence s’applique également aux actes de procédure accomplis contre ma personne, dans la mesure où ils auront été accomplis par un organe poursuivant incompétent en la matière. Ceci induit que ces actes sont à considérer comme inconstitutionnels et illégaux car ayant été accomplis en violation des textes constitutionnel et légaux, avec comme conséquence que toute action de poursuite judiciaire menée par le Parquet général près la Cour constitutionnelle en mon encontre tombe caduque pour illégalité et inconstitutionnalité. Par conséquent, tous les actes posés à cet effet par ledit parquet sont nuls et de nul effet.

En effet, conformément aux prescrits de l’article 17, alinéa 1 de la Constitution, «nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu, et condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit». Or, j’ai été poursuivi et mis en résidence surveillée, en violation manifeste de cet article. Par ailleurs, les actions en justice initiées contre moi par ce Parquet général, l’ont été aussi en violation de l’article précité et de l’article 19, alinéa 1 de la Constitution qui stipule que «nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne».

A cet effet, le juge naturel d’un premier ministre honoraire n’est pas la Cour constitutionnelle. Cette juridiction n’existe pas car aucun texte constitutionnel ni légal ne l’a prévu. A partir du moment où la Cour constitutionnelle a reconnu qu’elle est incompétente en cette matière, le Parquet près la Cour constitutionnelle ne peut non plus être l’organe poursuivant des faits prétendument infractionnels qu’aurait commis un Premier ministre honoraire.

Cette incompétence frappe aussi le dossier des biens zaïrianisés qui, pour des raisons politiques, n’a jamais été clôturé définitivement par le Procureur général près la Cour constitutionnelle en dépit du fait que, selon ce dernier, il devait être classé sans suite faute de charges à mon encontre. Le procureur général s’était même excusé et m’avait demandé pardon pour avoir engagé des poursuites infondées contre moi, et ce, en présence de mon avocat conseil.

Dans tous les cas, l’arrêt RP0001 de la Cour constitutionnelle ci-dessus indiqué établissant l’incompétence de la Cour entraîne par la même occasion celle du Parquet général près la Cour constitutionnelle à pouvoir poser des actes de poursuite contre moi et n’offre aucune possibilité à ce dernier à poser encore un acte légal concernant un ancien premier ministre que je suis, y compris sur le dossier des biens zaïrianisés.

Comment le président du Sénat peut-il encore attendre la note de clôture du dossier d’un parquet général réputé incompétent pour le traiter et qui a été débouté par la Cour constitutionnelle pour violation des lois du pays ? Car en effet, tout acte posé par le parquet général près la Cour constitutionnelle me concernant n’est plus valable car ayant été accompli par un organe poursuivant qui n’en avait aucune compétence au regard de la Constitution et des lois de la République. Faut-il dire en passant que le pouvoir juridictionnel étant d’attribution, ce, par une loi et non par la volonté du procureur général près la Cour constitutionnelle, en l’absence d’une telle loi, le procureur qui ne tire son pouvoir que de la loi n’a aucune compétence.

Malheureusement, l’honorable président du Sénat, en dépit de l’arrêt rendu et de ses conséquences juridiques inéluctables, attend recevoir du Procureur général incompétent, un avis de clôture du dossier sur les biens zaïrianisés qui, pour des raisons politiques, ne pourrait jamais lui être adressé dans l’objectif de garder mes immunités levées de manière continue et créer d’autres dossiers judiciaires à mon encontre. Ce qui amènerait le bureau du Sénat à ne jamais reconnaître la remise en force automatique de mes immunités parlementaires pourtant légalement rétablies par l’arrêt de la Cour Constitutionnelle depuis le 15 novembre 2021.

Voilà pourquoi, honorable président, honorables sénateurs et chers collègues, conformément à l’article 28 de la Constitution qui indique que : «Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal. Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir de l’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte au respect des droits de l’homme et des libertés publiques et de bonnes mœurs», conformément à l’article 62 de la Constitution qui souligne que «nul n’est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter la loi et de se conformer aux lois de la République», conformément à l’article 151, alinéa 2 de la Constitution qui stipule que « le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur les différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution », conformément à l’article 168, alinéa 1 de la Constitution qui note que « les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers », conformément à l’article 94 de la loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui indique que : «Ils (Ndlr : les arrêts de la Cour) sont immédiatement exécutoires».

Tout comme l’article 95, alinéa 2 de la même loi organique de la Cour constitutionnelle qui rappelle que : «Ils (Ndlr : les arrêts de la Cour) sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles, civiles, militaires ainsi qu’à tous les particuliers».

J’informe le président du Sénat et les honorables collègues sénateurs que j’ai déjà formellement recouvré mes immunités depuis le 2 octobre 2021, date à laquelle l’arrêt RP 0001 de la Cour constitutionnelle a été dûment notifié au Sénat. Le rétablissement de mes immunités découlant immédiatement de cet arrêt de la Cour constitutionnelle implique le rétablissement automatique de mes libertés de mouvements conformément à l’article 109, alinéa 1 de la Constitution qui indique que «les députés nationaux et les sénateurs ont le droit de circuler sans restriction ni entrave à l’intérieur du territoire national et d’en sortir ».

Le sénateur Boshab, professeur de droit constitutionnel, l’a d’ailleurs rappelé à l’attention de tous les sénateurs dans cette salle en date du 6 décembre dernier en ces termes : « …la récupération de ses immunités est automatique. A partir du moment où l’arrêt a été rendu, le collègue Matata est libre, il peut aller se faire soigner là où il veut ».

De ce fait, j’invite toutes les juridictions judiciaires et institutions politiques ainsi que tous les services spécialisés prestant aux frontières, notamment la Direction Générale des Migrations, (DGM) à se conformer aux prescrits des articles 28, 62, 168 de la Constitution, et 94 et 95 de la loi organique organisant le fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

Je vous remercie.

Kinshasa, le 13 décembre 2021.

Matata Ponyo Mapon