Janez Janša, Premier ministre slovène : « L’UE n’est pas toujours un intermédiaire honnête »

En Afrique, plus particulièrement en République Démocratique du Congo, ses méthodes sont souvent remises en cause, notamment sa partialité dans la politique de la conservation de la nature où elle impose sa loi. Sur le vieux continent, l’Union européenne (UE) ne fait pas plus l’unanimité. Pendant ce temps, les dirigeants de l’Union européenne se sont réunis la semaine dernière en Slovénie pour évoquer les perspectives d’adhésion à l’UE de six pays des Balkans occidentaux malgré un pessimisme latent sur le sujet. Bruxelles veut jouer un rôle clé dans la région, mais n’a pas donné pour l’instant, d’échéance claire sur cet élargissement. Pour évoquer la question, ainsi que les défis auxquels l’UE doit faire face, Euronews a interrogé le Premier ministre slovène Janez Janša dont le pays assure actuellement la présidence semestrielle de l’UE. Son gouvernement est accusé de violer l’État de droit. La commissaire européenne en charge des Valeurs et de la Transparence, Vìra Jourová, a notamment épinglé des «développements inquiétants» pour la liberté et l’indépendance de la presse en Slovénie. Entretien.

Pour vous, y a-t-il un risque que l’Union européenne perde sa crédibilité si les pays qui remplissent les critères pour adhérer n’étaient finalement pas admis dans le club ? »

Oui, bien sûr, ce risque est évident. Mais depuis quelques années, l’élargissement – tel qu’il a été décidé au sommet de Thessalonique en 2003 où l’adhésion à l’Union européenne a été assurée aux pays des Balkans occidentaux – est de nouveau à l’ordre du jour. Je crois que nous sommes petit à petit en train de revenir à un moment propice même s’il reste un long chemin à parcourir. Néanmoins, nous avons réussi de haute lutte à faire inscrire le mot «élargissement » dans la déclaration. Aujourd’hui, il y a un consensus parmi les 27 États membres sur le fait que cet élargissement est de nouveau sur la table. Nous ne sommes pas en capacité de négocier un délai de dix ans pour ce processus, mais nous ne baissons pas les bras pour l’instant.

Mais on constate que les tensions augmentent dans la région, dans plusieurs pays des Balkans occidentaux. Pensez-vous que l’Union européenne en porte une certaine responsabilité puisque les citoyens perdent espoir de la rejoindre un jour ?»

         Cette région – les Balkans occidentaux, mais on peut dire les Balkans en général – a été un territoire de tensions au cours de l’histoire. On peut évoquer par exemple, la question des frontières. C’est un sujet qui est encore très important dans les Balkans occidentaux. Pour moi, il n’y a pas de solution idéale qui puisse être prise sur la base d’un consensus dans la région, mais aussi en Europe. Mais la solution à de tels problèmes, c’est de faire en sorte de rendre les frontières moins importantes et avec l’adhésion à l’UE, celles-ci sont effectivement moins importantes.

Mais ce n’est pas près d’arriver, du moins pour le moment?

Cela dépend…

Craignez-vous par exemple que si l’Union européenne ne change pas d’attitude ou qu’elle ne donne pas d’échéance spécifique pour l’élargissement, ces pays ne se tournent davantage vers la Russie ou la Chine ?

L’Union européenne est le premier investisseur dans la région. C’est très important et ces pays apprécient cela. Mais dans ces territoires, nous avons des concurrents. Vous l’avez dit, la Chine, la Russie et la Turquie sont également présentes. Elles apportent aussi des investissements et elles ne posent pas de conditions à leur octroi. Nous, nous les conditionnons aux standards européens, à l’État de droit, aux réformes et c’est acceptable quand on peut apercevoir le bout du tunnel. Mais si la perspective d’adhésion à l’Union n’est pas assurée, alors je crois que nous risquons de perdre cette compétition, cette concurrence… Il n’y a qu’une seule voie avantageuse de notre point de vue et c’est l’adhésion à l’Union européenne.

Passons à un autre sujet. On voit que la défense européenne et les migrations redeviennent d’actualité. Ce qui s’est passé en Afghanistan a représenté un moment décisif. Parlons de la migration puisque l’Union européenne vient d’organiser un Forum de haut niveau sur les «réinstallations» de ressortissants afghans en danger. L’UE doit-elle prendre des engagements concrets pour que les Afghans en détresse puissent immigrer légalement en Europe ?

Non.

L’Union européenne devrait-elle être à la hauteur de ses valeurs humanitaires ?

Les Afghans en détresse qui rentrent dans cette catégorie sont, je crois, déjà en Europe. Une partie d’entre eux se trouve aux États-Unis. Tous les autres qui veulent immigrer en Europe pour des raisons économiques et non parce qu’ils ont participé aux missions de l’OTAN ne sont pas en danger. Je crois que nous devons utiliser les procédures normales. S’ils remplissent les critères, alors c’est oui. Si ce n’est pas le cas, c’est non. Il n’y aura pas de couloirs humanitaires comme on les a appelés. Non, l’Union européenne ne répétera pas l’erreur que certains États membres ont commise en 2015 après la guerre en Syrie. Je pense que l’Allemagne a fait une erreur. Imaginez : la Slovénie est un pays d’environ deux millions d’habitants. Et en 2015, en l’espace de quelques semaines, un demi-million de personnes ont traversé notre pays. Notre frontière s’est effondrée et celles d’autres pays également. Ce ne sont pas seulement les conséquences finales qui posent problème, mais aussi la manière dont on gère cela et le trajet que les migrants font, etc. Et quand on se souvient de la campagne pour le Brexit, tout ce flux de migrants traversant la Croatie, la Slovénie, cela a été utilisé par ceux qui militaient pour le Brexit.

Vous parlez au passé. Mais cela fait encore partie de la propagande politique dans certains pays d’Europe

Vous savez, c’est difficile de voir des milliers de jeunes hommes aptes à se battre militairement traverser les frontières sans leur famille, sans femme, ni enfants et de les accepter tous comme réfugiés. Cela ne va pas. On ne peut pas défendre cette idée.

Je constate qu’il y a différentes approches au sein de l’Union européenne en matière de valeurs humanitaires. Certains États membres soulignent qu’ils veulent défendre l’État de droit et d’autres, en particulier les pays de l’Est de l’Europe, ont une opinion différente bien qu’ils aient signé les traités qui décrivent très clairement ce que sont ces valeurs. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Est-ce que ces divergences sont tenables sur la durée ?

Il y a d’un côté, ce qui est écrit dans le traité et de l’autre, l’usage politique ou l’utilisation abusive du terme d’« État de droit ». Donc il existe une charte européenne des droits de l’homme, mais au niveau politique, en particulier au Parlement européen, tout le monde peut ajouter ce qu’il veut à cette liste. Donc, c’est un terme qui est détourné politiquement et qui est utilisé dans le cadre de batailles politiques.

Mais la liberté de la presse et l’indépendance de la justice font partie de l’État de droit, non ?

Non, la liberté d’expression qui intègre aussi la liberté des médias et l’indépendance de la justice ne représentent pas uniquement des valeurs : elles font partie du système, non seulement de l’Union européenne, mais du système constitutionnel de chaque État membre. Si ce n’est pas le cas, vous ne pouvez pas devenir membre de l’Union européenne.

Mais considérez-vous que certains États membres – comme votre pays, mais on peut citer aussi la Hongrie et la Pologne – sont attaqués politiquement ?

Quand vous obtenez la majorité au Parlement européen et c’est cela, la majorité politique, eh bien vous pouvez désigner un pays et lui reprocher des choses. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose. Le Parlement européen, c’est un lieu pour les débats politiques, mais aussi pour les conflits politiques. Mais la Commission européenne et le Conseil européen, ce n’est pas pareil. D’après le traité, la Commission européenne devrait rester en dehors des batailles politiques. C’est ce qu’elle a fait jusqu’à la fin du mandat de la Commission Juncker, mais ensuite les choses ont changé et je pense qu’on est proche d’une violation de l’État de droit parce que la Commission doit être un intermédiaire honnête en gérant des questions…

Ce n’est pas ce qu’elle est ?

Pas toujours. Par exemple, la commissaire Vìra Jourová fait de mon point de vue des déclarations qui constituent clairement des violations au traité. Mais elle est soutenue par la presse européenne.

Mais pouvez-vous encore travailler sur les politiques européennes avec des personnes dont vous pensez qu’elles attaquent votre approche de la démocratie ?

Je pense que l’Union européenne survivra si nous sommes capables de combiner ces deux niveaux de décision démocratique : l’un, c’est le niveau national et l’autre, c’est le niveau européen. Et parfois, il y a des affrontements à cet échelon. Et c’est compréhensible parce que c’est une création nouvelle.

Econews avec Euronews