Jeux de la Francophonie : désastre à Kinshasa

En visitant, ce mardi 14 juin de manière impromptue et en l’absence des responsables du Comité national des Jeux de la Francophonie (CNJF) et des membres du Comité de pilotage les chantiers des infrastructures devant abriter les IXèmes Jeux de la Francophonie de Kinshasa prévus du 28 juillet au 6 août 2023, le président de la République a pris la mesure de la lenteur des travaux à quelques sept semaines de l’ouverture officielle de la grande manifestation de la famille francophone.
Sur les différents sites (stades Tata Raphael et des Martyrs), une surprise l’attendait : les ouvriers étaient en grève. Faisant remonter à la surface les maux qui rongent l’organisation des Jeux de la Francophonie sans cesse dénoncés à intervalles réguliers par des observateurs que des proches du pouvoir ont toujours eu le tort d’assimiler à des opposants animés de mauvaise foi.
Il n’en demeure pas moins vrai que les délais de livraison (trois mois avant l’ouverture des Jeux) des ouvrages sont largement dépassés. Les pistes d’athlétisme, piscines, stades, et pire, les lieux d’hébergement ne sont guère prêts à accueillir environ 5.000 athlètes et autres artistes attendus de 130 pays, dont 360 Congolais.
Le village de la Francophonie, mitoyen au stade Tata Raphael, est encore hérissé de grues surplombant des bungalows à peine sortis de terre. Ici, le CNJF (Comité national des Jeux de la Francophonie) a trouvé la parade : les athlètes seraient logés dans les homes d’étudiants de l’Université de Kinshasa (UNIKIN), où les travaux de finissage seraient en cours.
Les manifestations culturelles du genre slam et autres concours seraient délocalisées… au Centre Wallonie-Bruxelles au centre-ville. Ces précisions avaient été livrées à la presse lors d’un briefing à l’invitation du ministre de la Communication et Médias. Isidore Kwandja, président du CNJF, assurait alors que les ouvrages devaient être livrés le 30 mai dernier.
Parmi les plus emblématiques, il avait cité deux gymnases construits sur le terrain annexe du stade des Martyrs, et deux autres sur le site de l’UNIKIN dont les voies d’accès étaient, selon lui, en pleine réhabilitation. Ce qui, à une quarantaine de jours de l’ouverture des Jeux, semble encore relever d’une pure chimère.

MARCHÉS DE GRÉ À GRÉ, MAFIA, CLANISME…
Le constat fait de visu par le chef de l’Etat en personne n’était qu’un secret de polichinelle. De source proche des services sécuritaires, il est connu de longue date que les différents comités d’organisation des Jeux de la Francophonie sont minés par une mauvaise gestion manifeste, une mafia matérialisée par une rétrocession de 14 % sous prétexte d’une taxe non versée au Trésor public, l’octroi de marchés de gré à gré à des entreprises créées pour le besoin de la cause, des mises à l’écart des membres des commissions sans notification et indemnités de sortie.
Superviseurs, superviseurs adjoints et autres rapporteurs régulièrement nommés naguère par Arrêté ministériel sont mis à la porte au nom d’un clanisme et d’un népotisme devenus monnaie courante.
Le fait que quatre comités se soient succédés, en l’espace de trois ans dans l’organisation des Jeux de Kinshasa suffit à démontrer le caractère désinvolte de la gestion d’un projet dont dépend l’image à l’internationale d’un pays à la quête d’une reconnaissance diplomatique encore hésitante.

AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD…
Le sommet de la Francophonie convoqué à Kinshasa pour le second semestre de 1990, dont les préparatifs étaient alors fort avancés fut relocalisé à l’Île Maurice à la suite de l’affaire dite du «massacre de l’université de Lubumbashi» dans la nuit du 10 mai la même année, un mois après le discours du Maréchal Mobutu à la cité de la Nsele, qui consacrait l’ouverture politique en République du Zaïre après 25 ans d’un règne sans partage. Le massacre d’étudiants de l’Université de Lubumbashi, fort médiatisé, émut la planète entière, quoique les échauffourées entre étudiants n’aient fait qu’un mort, comme les enquêtes ultérieures devaient le démontrer. Mais le vent de la perestroïka était passé par là. Pour l’Occident, le «sanguinaire Mobutu» devait partir.
L’embargo contre le Zaïre qui s’ensuivit et dont les retombées se ressentent encore ont laissé une société congolaise asphyxiée. Les pillages du tissu socio-économique et les rébellions subséquentes en sont les séquelles dont le pays a de la peine à se relever trente-trois plus tard.

Des têtes vont tomber
En improvisant une visite surprise dans les deux importants sites des Jeux de la Francophonie, à savoir le stade des Martyrs et le stade Tata Raphaël, le Président de la République a voulu certainement confronter les nombreux rapports – généralement positifs – qui lui parviennent aux dures réalités du terrain. Le constat a été désastreux. Et le Chef de l’Etat, qui n’a pas voulu se faire accompagner des membres du Comité national d’organisation des Jeux de Kinshasa, a découvert toute la forfaiture qui entoure ce grand rendez-vous culturel qui était censé ouvrir de nouvelles fenêtres d’opportunités pour la RDC.
Malheureusement, la fête est en train d’être gâchée Un épais nuage entoure ces Jeux, désormais plongés dans un capharnaüm.
Des sanctions vont tomber, annonce déjà la Présidence de la République.
«Des gens doivent rendre compte pour toute cette humiliation qu’on est en train de couvrir toute la République. J’espère qu’après sa visite de mercredi, le Président de la République s’est rendu compte de l’étendue des dégâts Il a certainement vu combien la République a été roulé dans la farine On attend qu’il sanctionne les coupables, sévèrement alors », a fait part à Econews un dirigeant sportif qui dit ne plus croire en la capacité de Kinshasa de remonter la pente, avant la date d’ouverture des Jeux, soit le juillet prochain.
Pessimiste, il note que «l’organisation des Jeux de la Francophonie à Kinshasa relève du miracle. Je ne vois comment on va rattraper tout le temps perdu ».
Il faut cependant sauver les Jeux de Kinshasa. Mais, par quel moyen ? Ni la mise à l’écart du comité Kwandja, ni la sollicitation de leur report, encore moins leur délocalisation ne seraient à même de rétablir un prestige sérieusement entamé par la légèreté des gestionnaires recrutés sur une base indéfinissable.
Kinshasa est sur le point de rater ses Jeux. Le temps joue en sa défaveur.

Econews