Jeux de la Francophonie : participation canadienne incertaine, malgré les assurances de Kinshasa

Caroline St-Hilaire (à droite) a été nommée en mars 2023 au poste d’administratrice de l’OIF

Le niveau de préparation à Kinshasa, en République Démocratique du Congo (RDC), préoccupe Ottawa, Québec et Fredericton, qui s’interrogent sur la présence de leurs athlètes à l’événement. Caroline St-Hilaire, la nouvelle administratrice de l’OIF, pense d’ailleurs qu’il est temps de revoir la forme et l’ampleur de ces Jeux. A Kinshasa, par contre, on reste optimiste sur la tenue de ces Jeux à l’échéance convenue, soit du 28 juillet au 6 août 2023. Lundi devant la presse, conviée au traditionnel briefing, le chef de la diplomatie congolaise, Christophe Lutundula, a confirmé que «tout est prêt» pour la tenue des Jeux de la Francophonie à Kinshasa. Ce qui est loin de convaincre le Canada. Radio Canada s’est penchée sur ce dossier. Enquête.
Dans ses nouveaux bureaux au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), rue Bosquet, à Paris, Caroline St-Hilaire traverse déjà ses premières tempêtes. La première mission que lui a confiée la secrétaire générale, dans le cadre de ses nouvelles fonctions d’administratrice, a été de se rendre à Kinshasa, en République Démocratique du Congo (RDC), où doivent avoir lieu les prochains Jeux de la Francophonie, du 28 juillet au 6 août prochain.
Si elle dit avoir senti beaucoup de volonté, elle ne cache pas son inquiétude face aux retards dans les préparatifs. Et pas que sur des détails : quand nous l’avons rencontrée fin mai, le Comité international des Jeux de la Francophonie (CIJF) venait tout juste de commander une vingtaine d’ambulances. Les défis sanitaires et de sécurité étaient encore bien réels, sans parler des délais dans la construction d’infrastructures.
Est-ce qu’on a des préoccupations? Oui, dit la nouvelle administratrice sans détours. On en a depuis le début. Le temps passe, on est à chaque fois rassurés par les autorités congolaises qu’ils [sic] seront prêts. Je sais que le Québec, le Nouveau-Brunswick, le Canada, la France sont préoccupés. Tout le monde veut que ces Jeux se tiennent, que la jeunesse congolaise puisse participer à ces Jeux-là. Je pense que la volonté est forte, elle est généralisée, mais en même temps, oui, il y a des soucis.
Il y a une dizaine de jours, une délégation composée de représentants d’Ottawa, de Québec et du Nouveau-Brunswick revenait de Kinshasa pour s’enquérir de l’avancement des préparatifs. Leurs conclusions n’ont pas été rendues publiques. Mais une source bien informée du dossier a confié que la mission n’était pas aussi encourageante qu’espéré. Des inquiétudes demeurent avec l’état d’avancement des travaux, dit cette source.
À Ottawa, on ne cache pas que le départ des athlètes pour Kinshasa préoccupe tellement qu’on hésite encore à acheter des billets d’avion pour les athlètes. On fait remarquer que la question des retards dans les préparatifs et d’importants défis sanitaires s’ajoutent au contexte sécuritaire et politique général en RDC.

Un contexte sécuritaire précaire
Un avis du gouvernement du Canada d’éviter tout voyage non essentiel en RDC est d’ailleurs en vigueur. Non seulement il y a eu des affrontements entre manifestants, opposants et forces de l’ordre lors de manifestations politiques dans le contexte des élections générales prévues en décembre 2023, mais il y a des menaces d’actes terroristes plus particulièrement dans l’Est du pays, à la frontière du Rwanda et de l’Ouganda, où se trouvent des groupes rebelles et où la sécurité s’est détériorée. Toutes les options sont à l’étude, y compris celle de ne pas y aller, indique notre source.
Le Nouveau-Brunswick est aussi préoccupé à la suite de la mission. Cette visite de sept jours […] a permis de constater qu’il existe des défis au niveau de l’éloignement du site d’hébergement avec les sites de compétitions et l’aéroport. De plus, plusieurs infrastructures sportives sont toujours en construction et certains équipements ne sont toujours pas livrés, a indiqué Johanne Le Blanc, directrice des communications au ministère des Affaires intergouvernementales et de la Francophonie.
Fredericton, qui n’a pas non plus acheté les billets pour ses athlètes, est en réflexion quant à sa participation aux IXes Jeux de la Francophonie. À la suite de la visite à Kinshasa, une recommandation sera prochainement donnée, affirme Johanne Le Blanc.
À Québec, c’est le silence complet. Selon nos informations, on est aussi en réflexion.
Le directeur du Comité national des IXes Jeux de la Francophonie (CNJF) se fait rassurant : C’est très très avancé […] on a pris en compte toutes ces observations, notamment la question de la restauration, on a trouvé un prestataire, dit Isidore Kwandja.
Pour la question du transport, on a réglé ça : le gouvernement a mis à disposition une centaine d’autobus d’une cinquantaine de places pour les athlètes. Il y a une voie qui sera mise à disposition uniquement pour le transport des athlètes. Une vingtaine d’ambulances arriveront au plus tard le 15 juin, toutes les questions, y compris la sécurité, ont été prises en considération. La France a aussi offert la possibilité de former des médecins pour un «plan blanc (plan d’urgence pour la mise en œuvre rapide des mesures en cas d’afflux de victimes dans un établissement hospitalier, NDLR). Les pays apportent leur contribution. Tout est pris en considération ».

Malgré tout, Caroline St-Hilaire demeure inquiète.
Il y a des choses qui ne sont pas terminées. Moi, c’est ma première expérience comme administratrice. On me disait que ce n’est pas nouveau, que c’est souvent dans les derniers deux mois où tout va très vite. Est-ce qu’on s’en va vers ça? Je pense que oui. Elle assure qu’il y aura des Jeux, mais ne peut garantir comment ils se dérouleront.
Et pour cause : dans un rapport rédigé à la fin avril et dont Enquête a obtenu copie, Caroline St-Hilaire elle-même tirait la sonnette d’alarme. Elle exposait qu’elle avait relevé la faible prise en compte par la partie congolaise des recommandations faites en octobre dernier et qui, déjà, soulevaient plusieurs inquiétudes. Idem pour les recommandations des rapports de deux autres missions techniques envoyées en RDC en octobre et novembre, puis en janvier et février derniers.
Dans ce document, le Conseil d’orientation est sans équivoque : il recommande de finaliser et partager avec les États et gouvernements le plan opérationnel de sécurité détaillé basé sur les risques, au risque de voir plusieurs délégations réduire leur participation.
Non seulement la situation de chantiers essentiels apparaît comme critique, mais il manque du matériel médical, de sécurité et d’informatique. Le document demande aussi au CIJF de partager aux États le plan opérationnel de la production télé au risque de ne pas pouvoir produire et diffuser l’événement à l’international. Même les questions des transports, de l’accueil des athlètes et du protocole n’étaient pas réglées.

Réduire l’ampleur?
Questionnée sur le contenu de ce document, Caroline St-Hilaire ne se gêne pas pour poser elle-même la question : les Jeux de la Francophonie d’une telle ampleur, réunissant plus de 3000 athlètes de plus d’une quarantaine de pays, seront-ils encore possibles?
Je n’ai pas la solution, mais je pense qu’on doit s’asseoir pour réfléchir à comment on veut des Jeux de la Francophonie après 2023. Est-ce qu’ils peuvent être moins gros? Est-ce qu’on peut les faire plus modestement? Est-ce qu’on fait moins de disciplines, est-ce qu’on en fait moins? […] Il ne faut pas avoir peur de se remettre en question. […] Oui, ils ont une pertinence. Maintenant, est-ce qu’on peut revoir la forme? Moi, je n’ai pas peur de poser la question.
Sur l’ampleur des futurs Jeux, Québec va plus loin. Le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) dit suivre très attentivement la situation à Kinshasa. Si on ne veut pas élaborer sur le compte rendu de la mission de ses représentants sur le terrain ni le coût de celle-ci, il apparaît clair que Québec ne veut plus rejouer dans un tel film.
Le Québec souhaite une réforme en profondeur de la formule et de la gouvernance des Jeux de la Francophonie, a répondu Sylvie Leclerc de la direction des communications et des affaires publiques au MRIF, quand nous lui avons demandé si les prochains Jeux devaient être moins coûteux. Le Québec a plaidé à plusieurs reprises dans les instances de l’OIF pour des Jeux centrés sur la jeunesse, de dimension raisonnable, aux ambitions et budgets mesurés.
Officiellement, sur l’ampleur des Jeux, Ottawa se fait plus prudente. Le Canada […] s’est positionné en faveur d’un événement dont le format et l’envergure répondent aux aspirations et aux moyens des États et gouvernements membres de l’OIF, a indiqué Daniel Savoie, un porte-parole de Patrimoine canadien.
Avec radio-canada.ca